Les Rues d’Aix
ou recherches historiques sur l’ancienne capitale de Provence
par Roux-Alpheran en 2 tomes 1848 et 1851
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LA ROTONDE
Nous réunirons dans cet article les divers souvenirs attachés à cette partie des alentours de la ville qui s’étend depuis l’ancien chemin conduisant à Marseille, autrement dit de Saint-Lazare, et celui qui borde du côté du couchant le couvent des Dames du Saint-Sacrement, autrefois des Minimes, et va se perdre au midi en descendant vers la rivière de l’Arc. Cette vaste étendue de terre était ce qu’on nommait anciennement le Pré Bataillier ou Camp-Long, dont nous avons parlé vers la fin de notre premier volume, 1 et qui se trouve maintenant traversé par la grande route d’Aix à Marseille.
La maladrerie Saint-Lazare, destinée aux lépreux, fut fondée au plus tard dans les commencements du XIIIe siècle, sur le bord de ce chemin, non loin de la porte des Marseillais, qu’on nomma ensuite des Augustins, et est abandonnée depuis fort longtemps, quoique ses bâtiments subsistent encore. En 1768, le ministère y forma un dépôt de mendicité où furent renfermés les mendiants surpris en état de vagabondage dans toute l’étendue de la province ; mais cet établissement bien insuffisant pour une pareille destination, ne subsista que pendant peu d’années.
Jusqu’en 1775 environ, le grand chemin d’Aix à Marseille bordait la maladrerie Saint-Lazare du côté du levant, lorsque M. de Boisgelin, archevêque d’Aix, et en cette qualité premier procureur du pays, président-né des états de Provence, ayant conçu le projet d’ouvrir une nouvelle route infiniment plus belle et plus large que l’autre, le coteau dit à la fin du XVIe siècle de Sabatier 2 et qu’on nomme aujourd’hui le Mont-Perrin, fut tranché vers le milieu pour laisser le passage au chemin neuf. Les terres provenant de ce coupement servirent à élever la chaussée au milieu de laquelle passe le chemin en question, et où furent plantés quatre rangs d’ormeaux qui forment une promenade des plus agréables, sauf l’inconvénient de la poussière, et qu’on appelle les allées de Marseille. L’on y découvre d’un côté tout le pays jusqu’à Sainte-Victoire, les collines de Saint-Antonin, Porcieux, Trets, etc., et de l’autre jusqu’à Ventabren, Roquefavour et tous les quartiers de Bouffan, de Patheron, de Saint-Mitre et du Pey-Blanc.
Vers le même temps avait lieu la démolition de l’ancien palais des comtes de Provence et des constructions romaines qui y étaient enclavées. 3 Les déblais en provenant servirent encore à exhausser le terrain situé en dehors du Cours, et à former cette belle place qu’on nomme la Rotonde, ce qui donna un nouvel aspect à cet abord de la ville dans laquelle on n’entrait auparavant, de ce côté, que par la porte des Augustins.
Divers plans furent proposés pour l’embellissement de la Rotonde, et celui qui avait pour but d’ouvrir une nouvelle entrée au bout du Cours, fut malheureusement adopté, car depuis lors cette magnifique promenade a perdu une bonne partie de ses agréments, la grande allée du Cours étant devenue un chemin public, où la poussière est insupportable en été et que la boue rend presque impraticable en hiver. 4
Le plan qu’avait donné un très habile artiste, notre compatriote, 5 eut été bien préférable selon nous. Il consistait à laisser subsister la belle fontaine dite des Chevaux-Marins et la balustrade en pierre qui terminaient le Cours, et à ouvrir deux entrées aux voitures publiques, toutes deux se fermant à volonté par des grilles de fer, l’une à gauche où était la porte des Augustins à laquelle aboutit la Grande-Rue-Saint-Esprit, l’autre à droite en face de la rue Mazarine. De grandes et superbes façades ornées de colonnades et de frontons aux armes de France et de Provence, eussent remplacé ces mesquines façades de côté de l’hôtel des Princes et de celui qu’avait habité le duc de Villars. Un boulingrin en avant de la balustrade du Cours eût invité les habitants à venir s’y reposer dans les belles soirées d’été pour respirer le frais ; le tout enfin eût été plus digne, ce nous semble, d’une capitale telle qu’était alors la ville d’Aix.
Sur la place de la Rotonde se croisent, avons-nous dit plus haut, 6 les grandes routes de Paris, de Marseille, d’Italie et de la Haute-Provence. C’est là aussi que viendra aboutir l’embranchement du chemin de fer, si jamais cet embranchement a lieu….. En attendant, continuons notre description. La croix monumentale qu’on voit à l’extrémité de la Rotonde, en face de la grande allée du Cours, fut plantée le 24 avril 1820, à la suite d’une célèbre mission donnée simultanément dans les cinq églises paroissiales de la ville et du faubourg, pendant les mois de mars et d’avril de ladite année. De nombreuses relations de cette mission qui produisit tant de fruits, furent publiées à cette époque, et nous y renvoyons nos lecteurs, 7 pour rappeler que vers le lieu même où existe la croix dont nous parlons, furent bâtis, en 1664, l’église et le couvent des pères Carmes-Déchaussés attirés à Aix depuis 1636 par la même Aymare de Castellane-la-Verdière, alors veuve du premier président d’Oppède, laquelle, onze ans auparavant, avait fondé le couvent des Carmélites dans Aix. 8 Quelques beaux tableaux de Daret ornaient cette église, et l’on voyait dans le cloître le portrait du père Jean-Joseph de la Mère de Dieu, religieux de ce couvent, qui mourut en odeur de sainteté en 1659, à Saïd dans la Haute-Egypte, étant vicaire général de son ordre. Cc saint personnage était né à Aix, le 10 janvier 1605 et avait porté les armes avec distinction dans sa jeunesse, étant connu alors sous le nom de Balthazar d’Estienne. En 1778 les bâtiments et l’église de Carmes-Déchaussés furent abattus pour la construction de la place de la Rotonde, et la ville donna en échange à ces religieux ceux qu’occupaient auparavant les pères Servites. 9
En-delà de la Rotonde, en se dirigeant vers le couchant. continue ce qu’on appelait jadis le Pré Bataillier. Là se trouvait, au XVIIe siècle, un Jeu de Mail qui a subsisté longtemps encore après la construction de celui dont nous avons parlé tantôt, et qui avoisine le cours Saint-Louis et la Plate-Forme. De belles auberges la rue de l’Aigle-d’Or dont les maisons sont toutes accompagnées de jardins, les aires publiques dites de Saint-Roch, 10 et le cours des Minimes occupent aujourd’hui ce vaste emplacement qui rejoint, du côté du nord, le couvent du Saint-Sacrement, la montée d’Avignon et le cours Sextius par lequel nous avons commencé cette dernière partie de notre travail.
2 Voyez ci-dessus, pag. 477. Le fort Saint-Roch qui y fut bâti en 1593 par les habitants d’Aix que le duc d’Epernon commençait à assiéger, fut ainsi nommé parce que la première pierre en fut posée le 16 août, jour auquel l’église célèbre la fête de saint Roch. Retour
3 Voyez notre 1er vol., pag. 14 et suiv. Retour
4 Voyez ci-dessus, pag. 127. Retour
5 GiIles-Paul Cauvet, sculpteur de Monsieur (comte de Provence, depuis Louis XVIII), né à Aix le 17 avril 1731, mort à Paris le 15 novembre 1788. Voyez la Biographie universelle de Michaud, tom. VII, pag. 437. – Nous possédons l’original de ce projet, dessiné et signé par cet artiste. Retour
6 Voyez ci-dessus, pag. 131. Retour
7 Relation de la mission d’Aix, en mars et avril 1820 ; par M. G… , Aix, Chevalier, 44 pag. in-8°. – Relation de la procession solennelle faite à Aix, le 24 avril 1820, pour la plantation de la croix de la mission ; Aix, Mouret, 17 pag. in-8°. – Lettres sur la mission d’Aix, en 1820 ; Aix, Mouret, 21 pag. in-8°. – Quelques lettres sur la mission d’Aix ; Aix, Pontier, 45 pag. in-8° – Sur la mission donnée à Aix en 1820 ; Paris, Boucher, 4 pag. in-8°. – Un mot de plus sur les missionnaires, par Augustin Fabre, étudiant en droit à la faculté d’Aix ; Aix, Mouret, 12 pag. in-8°. Retour
8 Voyez ci-dessus, pag. 223. Retour
9 Voyez notre 1er vol., pag. 212. Retour
10 Ainsi nommées à cause d’une petite chapelle maintenant détruite, qui y fut élevée en l’honneur de Saint-Roch, en 1721, après la cessation de la peste. – Là avaient été établies des huttes comme au Jeu de Mail, où furent soignés un nombre infini de pestiférés. L’hôpital de la Charité et le couvent des Minimes furent convertis en infirmeries, et il périt dans celle des Minimes à peu près dix fois moins de malades que dans l’autre. Voyez ci-après, l’état général des personnes qui décédèrent de la peste du 1er août 1720 au 31 juillet 1721. Retour