Les Rues d’Aix
ou recherches historiques sur l’ancienne capitale de Provence
par Roux-Alpheran en 2 tomes 1848 et 1851
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RUE SAINTE-CROIX
OLIN BARTHELEMI, seigneur de Sainte-Croix, a donné son nom à cette rue où était située la maison qu’il habitait. C’était un personnage de mérite, un bon citoyen et dont aucun biographe ne fait mention. Nous allons tâcher de réparer cet oubli.
Il était né à Aix avant le milieu du XVe siècle, de Jean Barthélemi, seigneur de Sainte-Croix, qui fut deux fois assesseur d’Aix, en 1433 et 1456, puis maître-rational, enfin juge-mage de Provence en 1465 jusqu’en 1474, époque de sa mort.
Rolin Barthélemi, fut, comme son père, un habile jurisconsulte et assesseur d’Aix depuis le mois de novembre 1482, jusqu’à la fin du mois d’octobre de l’année suivante. La réputation qu’il acquit dans l’exercice de ses fonctions, lui valut l’honneur d’être député, en 1486, avec Jean-Baptiste de Pontevès, baron de Cotignac, auprès du roi Charles VIII, pour demander la réunion définitive et irrévocable de la Provence à la couronne de France.
Sa négociation ayant réussi au gré des Provençaux , il revint à Aix, où les états-généraux du pays ayant été assemblés, au mois d’août de la même année, il fut résolu » de se donner, d’un cœur franc au roi dé France et de le prier de recevoir les Provençaux en bons et fidèles sujets, les laissant vivre dans leurs statuts, coutumes, libertés et privilèges, avec assurance de n’être jamais désunis de la royale couronne de France a laquelle ils prétendaient d’être inséparablement attachés et unis, non comme un accessoire à son principal, mais principalement et séparément du reste du royaume, conformément au testament de Charles III d’Anjou, dernier comte de Provence, mort quatre ans auparavant.
Les vœux des Provençaux ne tardèrent pas à être comblés par le célèbre édit donné à Compiègne au mois d’octobre 1486, portant Union de la Provence à la couronne de France et par lequel Charles VIII » jura et promit, eu bonne fois et parole de roi, de nous unir à la couronne, sans nous subalterner à la France et de maintenir nos privilèges, libertés, etc. » Cet édit fut accueilli avec des transports de joie extraordinaires, et de nouveaux états ayant été tenus à Aix, au mois d’avril 1487, plus nombreux qu’aucuns de ceux qui avaient eu lieu jusqu’alors, l’union fut jurée par tous les assistants ; d’où se forma ce contrat solennel en vertu duquel les rois de France ont régné pendant trois siècles et jusqu’à la révolution, sur la Provence, non comme rois de France, mais comme comtes de Provence, ainsi qu’ils en prenaient le titre, depuis lors, dans tous leurs édits, déclarations et lettres-patentes concernant ce pays.
En récompense de ses services, Rolin Barthélemi fut nommé par le roi, président de la cour des maîtres-rationaux de Provence, séant à Aix, et fut reçu en cette qualité le 15 janvier 1488. Louis XII le nomma depuis maître des requêtes de son hôtel, enfin conseiller d’état. Il mourut à Aix en 1512 et fut enseveli dans l’église de l’Observance. Son fils et son petit-fils furent de bons citoyens comme lui, et exercèrent chacun, à trois reprises différentes, la charge de premier consul d’Aix, procureur du pays de Provence. Cette honorable famille est éteinte depuis au-delà de deux siècles, Lucrèce de Barthélemi, dame de Sainte-Croix, fille unique, ayant épousé, en 1605, Jean-François de Forbin, seigneur de La Fare, cadet de la branche des Forbin-Maynier d’Oppède, et de ce mariage sont issus MM. de Forbin de Sainte-Croix marquis des Issarts, résidant actuellement à Avignon.
Rolin Barthélemi avait publié, de son vivant, un traité des formes observées dans les procédures devant la cour des maîtres-rationaux, sous ce titre : Statuta venerande curie camere regie rationum civitatis Aquensis, etc. Ce livre, imprimé à Lyon, par Etienne Baland, au mois d’octobre 1508, petit in-4° de 31 pag. seulement, parait avoir échappé aux recherches de nos bibliographes. Il en existe un exemplaire dans la riche bibliothèque de notre compatriote et ami, M. Charles Giraud, naguère avocat et professeur en droit à Aix, aujourd’hui inspecteur général des écoles de droit, membre de l’institut, etc. Il est curieux, non seulement par son ancienneté et sa rareté (cet exemplaire est peut-être unique), mais aussi parce qu’on y trouve cités plusieurs personnages qui vivaient à Aix dans ce temps-là et qui avaient eu quelque célébrité. Rolin Barthélemi y prend les titres de professeur en droit, président de la cour, maître-rational et conseiller du roi.
La rue Sainte-Croix a quelquefois été nommée, dans le XVIe siècle, la rue Malespine, à cause des Malespine, seigneurs de Monjustin, qui y demeuraient. Charles de Malespine, le même peut-être que nous avons déjà cité, 1 fut élu second consul d’Aix au mois d’octobre 1536, pour entrer en exercice avec Balthazar de Rodulphe, seigneur de Châteauneuf, Philippe Boissoni et Honoré Feraporte, assesseur, le 1er novembre d’après, et demeurer en fonctions jusqu’au 31 octobre de l’année suivante 1537, ce qu’il est facile de prouver par les registres de l’Hôtel-de-Ville. Cependant Pitton rapporte, dans son Histoire d’Aix, 2 que ces quatre magistrats étaient en charge lors de l’entrée de l’empereur Charles Quint dans cette ville, au mois d’août 1536, et il ajoute que :
» Malespine qui, d’autre part, négocioit en laines et en draps, estoit bien en peine se trouvant chargé de diverses étoffes et ayant presque tout son vallant en marchandises. Il avoit demandé au grand-maistre de Montmorency de quelle façon il se devoit conduire, qui luy répondit qu’il fisse ce qu’il pourroit dans une saison de désordre. Ce consul bien avisé, eut, par le moyen de quelque amy, une sauvegarde de l’empereur, et comme il fut arrivé et qu’il l’eut salué, il prit la liberté de le convier à diner. L’empereur surpris d’une telle offre, et pour le mieux mettre en peine, le prit au mot, luy demandant combien désiroit-il qu’il menât de gens avec luy. Monjustin repart qu’il en pourvoit avoir tout autant qu’il trouveroit à propos, ce qui fut exécuté le lendemain le long de la rivière de l’Arc, avec tel ordre, qu’on avoit disposé grand nombre de personnes à quelques pas les unes des autres qui, dans presque un instant, couvrirent la table, quoy que tous les mets fussent apprestéz dans la ville, et les plats garnis donnés de main en main jusqu’à ce qu’ils fussent sur la table.
Pitton n’eût pas rapporté ce conte ridicule, s’il eût fait attention que Malespine et ses collègues n’entrèrent en fonctions que deux mois après la retraite de Charles-Quint, c’est-à-dire le 1er novembre 1536, et non le 1er janvier précédent ; et s’il était vrai que Malespine eût traité l’empereur, quelque excusable qu’on puisse trouver ce régal, attendu la circonstance, du moins est-il certain qu’on n’eût pas choisi celui qui l’avait offert, pour en faire un consul deux mois après ce manque de fidélité envers son légitime souverain. Aussi n’hésiterons-nous pas à rejeter ce prétendu dîner comme entièrement apocryphe.
1 Voyez ci-dessus pag. 48. Retour
2 Livre IV, chap. VI, pag. 265 et suivantes. Retour