Les Rues d’Aix – Partie intermédiaire de la Grande rue Saint Esprit


Les Rues d’Aix
ou recherches historiques sur l’ancienne capitale de Provence
par Roux-Alpheran en 2 tomes 1848 et 1851
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PARTIE INTERMÉDIAIRE

DE LA


GRANDE RUE SAINT-ESPRIT

ous venons de dire que lors de cet agrandissement , la porte dite de Marseille ou des Augustins, qui était située à l’extrémité inférieure de la rue Beauvezet, fut transférée dans celle du Saint-Esprit, entre la rue Isolette et celle du Trésor. Cette partie de rue fut donc une prolongation de celle des Salins, et elle en prit le nom. On lui donna aussi, tantôt le nom de rue des Augustins, tantôt celui des Hôtelleries ou des Auberges, à cause de quelques hôtelleries qui y furent établies, telles que celles aux enseignes du Lion et du Sarrasin qui étaient fort renommées en ce temps-là. Les Puget, seigneurs de Tourtour y faisaient leur demeure au XVIe siècle, de même que les Rici et quelques autres familles nobles dont aucune ne subsiste plus depuis longtemps.
Un peu au-dessus de la maison des Puget produit plusieurs hommes de mérite. Nous citerons parmi eux 1° André de Colonia, religieux minime, bon prédicateur, auteur de divers ouvrages, dont l’un notamment, intitulé Eclaircissements sur le légitime commerce des intérêts, eut successivement quatre éditions, à Lyon, à Bordeaux et à Marseille, et fut néanmoins condamné par le cardinal Grimaldi, archevêque d’Aix, et par l’évêque de Grenoble, le Camus. André était né à Aix le 10 septembre 1616, et mourut à Marseille en 1688 ; 2° Dominique de Colonia, jésuite, né à Aix le 31 mai 1658, et non le 25 août 1660, comme le disent les biographes, mort à Lyon le 12 septembre 1741. Celui-ci a laissé un plus grand nombre d’ouvrages que son oncle, entre autres les Antiquités de la ville de Lyon et l’Histoire littéraire de la même ville, avec une bibliothèque des auteurs lyonnais sacrés et profanes, dans lesquels il fait preuve d’érudition, mais où on lui reproche des omissions et quelquefois un peu de vague dans ses indications. 1
L’église paroissiale de Saint-Jérôme, vulgairement dite du Saint-Esprit, est située au bas de cette portion de rue , sur l’emplacement de l’ancien hôpital Saint-Esprit, destiné aux enfants trouvés, et fondé au commencement du XIIIe siècle, sous l’épiscopat de Bernard Cornuti, d’une famille noble de cette ville, lequel fut d’abord prévôt du chapitre de Saint-Sauveur, puis évêque de Fréjus, enfin archevêque d’Aix en 1212. Une nouvelle paroisse ayant été jugée nécessaire attendu l’augmentation de la population, l’église de l’hôpital Saint-Esprit fut choisie, en 1670, pour y établir le culte paroissial, et le cardinal Grimaldi, archevêque d’Aix, la plaça sous l’invocation de son patron saint Jérôme ; mais le nom de Saint-Esprit a continué de prévaloir et s’est perpétué jusqu’à nous dans l’usage habituel et journalier, lorsqu’on parle de cette paroisse. La bâtisse de l’église actuelle ne fut entreprise qu’en 1706, et la première pierre en fut posée le 4 mars, sous l’épiscopat de Daniel de Cosnac, en présence du chapitre, par MM. les consuls et assesseur. Elle a été consacrée, un siècle plus tard, le 24 octobre 1806, par Mgr. Jérôme-Marie Champion de Cicé, archevêque d’Aix, assisté de Mgr. Arnaud-Ferdinand de la Porte, évêque de Carcassonne.
Un tableau historique assez curieux, provenant de l’ancienne chapelle du parlement au palais, auquel on fait néanmoins peu d’attention, est actuellement conservé dans cette église. Il est peint sur bois et représente l’assomption de la Sainte-Vierge. On assure que chacune des figures des apôtres qui entourent le cercueil, est le vrai portrait de l’un des douze membres de l’institution du parlement d’Aix, créé par Louis XII, en 1501 et 1502. 2 Ce tableau date de quatre ou cinq ans plus tard.
L’église des Augustins, détruite pendant la révolution, avait son entrée en face de l’église du Saint-Esprit, sur la ligne méridionale de la rue. Il n’en subsiste plus que le clocher en forme de tour octogone reposant sur un massif carré, construit peu après le milieu du XVe siècle, aux frais de noble Jean Guiran, notaire, mort en 1483, et dont on voit encore les armes en relief sur plusieurs faces du clocher. 3 Cet écu atteste que Jean Guiran appartenait à la noble famille de ce nom, qui, dès le commencement du même siècle, avait fourni à notre ville une foule de syndics et de consuls, de maîtres-rationaux et de magistrats à la cour des comptes, aides et finances, etc. Cette famille, après avoir possédé les seigneuries du Castelet, de la Brillane et autres, s’est éteinte, en 1790 ou 1791, en la personne de Henri-François de Guiran de la Brillane, bailli, grand’croix de l’ordre de Malte , né à Aix le 11 septembre 1727. 4 Il était, à l’époque de sa mort, ambassadeur de son ordre auprès du malheureux Louis XVI, et passait pour un habile diplomate. Les services qu’il avait rendus auraient pu le faire arriver au magistère, s’il eût vécu lors d’une vacance ; et s’il eût succédé au grand-maître de Rohan, on peut conjecturer d’après l’énergie de son caractère, que l’île de Malte ne se fût pas rendue aussi lâchement qu’elle le fit en 1798. 5
Les religieux Augustins avaient été reçus dans Aix vers la fin du XIIIe siècle. Leur église était par conséquent l’une des plus anciennes de la ville. Elle n’avait rien de bien curieux, si ce n’est une grande niche placée derrière le maître-autel, dans laquelle étaient deux figures en pierre et de grandeur naturelle, dont l’une représentait Jésus-Christ, portant la Croix et montant au Calvaire. Saint Augustin l’accompagnait, la mitre en tête et la crosse à la main, et au haut du Calvaire étaient placés le soleil et la lune peints sur verre et qu’on pouvait éclairer par derrière, au moyen d’un petit escalier pratiqué dans le mur. Au bas de la niche, qui datait du temps du roi René, ce prince avait fait placer une vingtaine de vers de sa composition, en caractères gothiques, et entourés d’un cadre bleu parsemé de fleurs de lys d’or en relief. Nous ne rapporterons pas ces vers qui ont été imprimés plusieurs fois, 6 et nous dirons seulement que ce monument a été transporté, sous la restauration, dans l’ancienne église des Capucins, dépendante aujourd’hui de l’hôpital Saint-Jacques ou Hôtel-Dieu, où on l’a replacé à peu près tel qu’il existait chez les Augustins.
Nous connaissons très peu de familles qui eussent leur sépulture dans l’église de ceux-ci : nous ne pouvons même citer que les Colonia, les Duranti, 7 les Pigenat et les Tressemanes, 8 parmi les familles de marque qui y reposaient. Ces derniers étaient divisés, depuis l’avant dernier siècle, en deux branches encore existantes, qui possédaient, l’une, la seigneurie de Brunet, l’autre, celles de Chasteuil et de Rousset, et qui, plus qu’aucune maison d’Aix, avaient fourni un nombre considérable de chevaliers de Malte.
André de Tressemanes-Chasteuil, l’un d’eux, né à Aix le 20 septembre 1653, mourut à Grenoble le 10 mai 1718, étant lieutenant-général des armées du roi, et commandant en chef pour S. M. en Dauphiné. Il avait été auparavant inspecteur-général de l’infanterie française. C’était un très bon militaire que Louis XIV envoya, en 1714, au grand-maître Perellos, comme le plus capable de commander les troupes de l’Ordre dans l’île de Malte et celles que la France se proposait de faire passer au secours de cette île alors menacée par les Turcs. Mais on apprit que les armements de ceux-ci étaient dirigés contre les Vénitiens, et les craintes du grand-maître furent dissipées.
Gaspard de Tressemanes-Brunet, chanoine de Saint-Sauveur, né au château de Brunet, près Riez, au commencement du XVIe siècle, fut nommé et sacré évêque de Glandèves en 1755, et se démit de son évêché en 1771 pour se retirer dans son abbaye de Saint-André, à Villeneuve-lez-Avignon, puis à Franconville-la-Garenne dans les environs de Paris, où il mourut le 6 septembre 1784. Il était, dit-on, d’un caractère inconstant et difficile, et il aimait les procès plus qu’il ne convenait à son état.
Au pied du maître-autel était la sépulture de Pierre Marini, religieux de cette maison des Augustins, évêque de Glandèves, confesseur et prédicateur du roi René, mort à Aix en 1467. M. le président de Saint-Vincens, le fils, a publié sur cet évêque une très curieuse notice à laquelle nous renvoyons nos lecteurs qui ne connaîtront pas sans plaisir les sermons de ce P. Marini, dont M. de Saint-Vincens possédait le manuscrit. 9
Un autre religieux de cette maison, Hyacinthe le Blanc, né à Aix le 5 mai 1696, personnage d’un mérite distingué, fut nommé par le pape Benoît XIII, à l’évêché de Joppé, in partibus infidelium, et sacré à Rome en cette qualité, le 18 avril 1728, par le cardinal de Polignac. Il était chanoine et grand vicaire de Rheims, lorsqu’il mourut dans ladite ville, le 26 avril 1755. au moment où il allait être pourvu d’un évêché en France.
Au temps de la ligue, Gaspard de Pontevès, comte de Carces, l’un de ses chefs en Provence où il fut depuis grand-sénéchal et lieutenant-général, habitait le couvent des Augustins, lorsqu’il était à Aix. Jean de Pontevès, son père, premier comte de Carces, avait occupé les mêmes charges, et l’un et l’autre s’étaient distingués par leur bravoure et leur zèle pour les intérêts du pays, comme on peut le voir dans tous les historiens de Provence. 10 Le fils avait épousé une fille du premier lit de la duchesse de Mayenne, 11 ce qui justifie en grande partie son attachement à la ligue ; il était d’ailleurs cousin germain du célèbre baron de Vins, duquel nous avons parlé plus haut. 12
Nous ne saurions dire où M. Prosper Mérimée a trouvé que le clocher des Augustins est appelé la tour de César ou de la Caïrié. 13 La tour qu’on nomme ainsi, est située, nous le savons tous, à la distance d’une lieue environ au nord-est de la ville.

1 Voyez, sur André et Dominique de Colonia, la Biographie Universelle de Michaud, tom. IX, pag. 313 et suiv. ; le Dictionnaire des Hommes illustres de Provence, tom. 1er, pag. 185 et 186 ; Mémoires de Trévoux, novembre 1741, etc. – Joseph-Jules-François de Colonia, né à Aix en 1716, y mourut en 1766, avec la réputation d’un des plus célèbres avocats de son temps. Voyez Ch.Fr. Bouche, Essai sur l’Histoire de Provence, tom. II, pag. 332, à la notice des Provençaux célèbres. – M. Pierre-Joseph de Colonia, son fils, né à Aix en 1746, fut d’abord avocat-général au parlement d’Aix, en 1766, puis maître des requêtes aux conseils du roi sous Louis XVI, enfin conseiller d’État et vice président du comité des finances, sous Louis XVIII. il mourut, en 1823, à Paris, où il avait établi son honorable famille au retour de l’émigration. Retour

2 Ces magistrats étaient Antoine Mulet ou Muleti, président ; Louis de Forbin, seigneur du Luc, fils du grand Palamède, premier conseiller ; Guillaume de Puget, prévôt de l’église de Saint-Sauveur, conseiller-clerc ; Jean de Cuers, prévôt de l’église de Marseille, conseiller-clerc ; Raymond Picard, prévôt de Ventabren, conseiller-clerc ; Pierre de Brandis, conseiller-clerc ; Bertrand Durand ou Duranti, seigneur de Fuveau et de Peynier, conseiller-laïque; Melchior de Séguiran, seigneur de Vauvenargues, conseiller-laïque ; Pierre Mathei, seigneur du Revest, conseiller-laïque ; Simon de Tributiis, seigneur de Sainte-Marguerite, conseiller-laïque ; Michel Audibert, conseiller-laïque ; et Gaspard Dupérier, conseiller-laïque. Retour

3 L’horloge publique qui le surmonte, y fut placée en 1677. Retour

4 On lit dans l’excellente histoire de Malte, par M. Miége, ancien consul de France à Malte, etc. (Paris, 1840, 3 vol. in-8°), et au tom. II, pag. 332 et suiv.; que le bailli de la Brillane se montra le défenseur intrépide de l’Ordre dès les premiers jours de la révolution de France, et qu’il mourut subitement en sortant d’une conférence avec le ministre Montmorin.- Nous parlerons, dans notre second volume (église de Saint-Jean), des obligations que nous avons à M. Miége, dont. la politesse égale le savoir. Retour

5 MM. les chevaliers Alexandre et Melchior de Lestang-Parade, conservent dans leur cabinet à Aix, les originaux des bulles portant : 1° Approbation de la part du pape Pie VI, des nouveaux statuts de l’ordre de Saint-Jean-de-Jérusalem ou de Malte, dressés par le chapitre général dudit ordre en 1777 ; 2° Création de la langue anglo-bavaroise, la 8me de cet ordre, en 1782. Dans ces bulles se trouvent consignées les preuves de ce que nous disons de l’expérience et de la capacité que le bailli de la Brillane déploya dans ces deux circonstances où il fut l’un des principaux délibérants et négociateurs, tant à Malte, qu’à la cour de Rome et à celle de Bavière. Retour

6 Millin, Voyage dans les Départements du Midi, tom. II, pag. 338 ; M. de Saint-Vincens, Description des Antiquités, Monuments et Curiosités de la ville d’Aix, Aix, Pontier, 1818, in-8°, pag. 29; et M. Porte, Aix ancien et moderne, 1re édition, pag. 104, 2ème édition, pag. 147. Retour

7 Voyez ci-dessus, pag. 48, not. 2. Retour

8 Voyez ci-dessus, pag. 316, not. 5. Retour

9 Notice sur un manuscrit de la bibliothèque Saint-Vincens, à Aix, contenant les sermons de Pierre de Marini, etc. – Dans le Magasin encyclopédique , mai 1813 ; et chez Pontier, Aix, 1816. in-8°. Retour

10 Voyez aussi les Mémoires des généreuses actions de feus messeigneurs Jean et Gaspard de Pontevès, père et fils, comtes de Carces, chevaliers des ordres du roi,* conseillers en ses conseils d’Etat et privé, capitaines de cinquante hommes d’armes de ses ordonnances, grands-sénéchaux et lieutenants-généraux pour S. M. en Provence ; à madame, madame la comtesse de Carces, par Barthélemy Augier,** leur secrétaire. Manuscrit in-fol. fort épais, dont nous possédons une copie in-4° prise en 1803, sur l’original de B. Augier, conservé au château de Tournefort, commune de Rognes, dans la bibliothèque de M. de Sermet de Tournefort fils, neveu et gendre de quatre de nos plus anciens et meilleurs amis. La bibliothèque Méjanes a aussi une copie de ces mémoires, de même que celle de Carpentras et quelques autres.

* Ils n’étaient que chevaliers de Saint-Michel, et n’avaient jamais appartenu à l’ordre dit du Saint-Esprit.
** Barthélemy Augier était natif d’Aix, ainsi que nous le lisons dans un acte du 20 août 1587, Honoré Rigault, notaire à Barjol, recevant ledit acte au château de Carces. Retour

11 Du 27 février 1588, Guillaume Présan, notaire à Dijon, contrat de mariage entre Gaspard de Pontevès, comte de Carces, etc., et Léonor Despréz, fille de feu Melchior, seigneur de Montpezat, etc. , ” et de très illustre princesse madame Henrye de Savoye, duchesse du Mayenne, à présent fame et compaigne de très illustre prince monseigneur Charles de Lorraine, duc du Mayenne, pair et grand-chambellan de France, gouverneur et lieutenant-général pour le roy en ses pays et duché de Bourgogne, etc. ” Retour

12 Voyez ci-dessus, pag. 24 et suiv. Retour

13 Notes d’un voyage dans le midi de la France, Paris, 1855, in-8°, pag. 233. Les voyageurs ne sauraient trop se méfier de leurs souvenirs ou des fausses indications qu’on leur donne. Retour