Les Rues d’Aix – Rue Papassaudi


Les Rues d’Aix
ou recherches historiques sur l’ancienne capitale de Provence
par Roux-Alpheran en 2 tomes 1848 et 1851
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RUE PAPASSAUDI

NCIENNEMENT elle s’appelait la rue de la Couronne, et elle était ainsi nommée parce qu’il y avait eu là une hôtellerie dite le Logis de la Couronne que Louis III d’Anjou, roi de Naples et comte de Provence, donna à Pierre de Beauvau gouverneur et lieutenant-général, en le chargeant de faire vendre les biens meubles et immeubles de Poncet et Rosetto, condamné à perdre la tête par la cour majeure pour crime de lèze-majesté, en 1429.
A l’extrémité orientale de cette rue, fut bâtie, un siècle plus tard par la famille Papassaudi, une grande et belle maison qui a aujourd’hui son entrée dans la rue de la Miséricorde, et dont une partie qui en a été démembrée fait face actuellement à la place Saint-Honoré. On y voit encore dans un vestibule les armes des Papassaudi, sculptées sur une pierre de quelques pieds en carré. Le logis de la Couronne ayant disparu, on s’accoutuma peu à peu à donner à cette rue le nom de Papassaudi, bien que la famille de ce nom se soit éteinte depuis plus de deux siècles, dans la personne de Honorade de Papassaudi, laquelle avait épousé Gaspard, baron d’Ansouis, de l’illustre maison de Sabran.
Vers le milieu de la ligne méridionale de cette rue, se trouve une autre grande maison qui appartenait, au moment de la révolution, aux Meyronnet, barons de Saint-Marc, et qui était, à la fin du XVIe siècle, à la famille Pignoli, éteinte peu après, mais dont le souvenir mérite d’être conservé, à cause du noble dévoûment de Louis Pignoli, premier consul d’Aix en 1580.
En cette année mémorable dans notre histoire, la peste se déclara en cette ville dès le commencement de l’été, et fit de tels ravages que les cours souveraines furent contraintes d’en sortir, ainsi que la majeure partie des plus notables habitants.
L’époque de l’élection consulaire étant arrivée à la fin de septembre, les suffrages du conseil de ville se portèrent sur Honoré de Nas, N… Castillon et Jean Bon, auxquels on donna pour assesseur l’avocat Honoré Guiran, sieur de la Brillane. Le 1er novembre, jour de la Toussaint, était alors celui de l’installation de ces magistrats municipaux. L’assesseur Guiran et Bon, dernier consul, se présentèrent seuls à la cérémonie, Nas et Castillon ayant refusé de rentrer dans la ville dont ils étaient sortis précédemment. Le conseil les fit inviter de se rendre à leur poste, mais inutilement ; et dans une nouvelle assemblée tenue le 28 novembre, on nomma Louis Pignoli, premier consul, et Jean Salla, troisième consul, en remplacement de Bon, qu’on fit monter au second rang, en reconnaissance de son zèle. Ni lui ni Pignoli, n’étaient cependant de la qualité requise pour occuper la première et la seconde place. ” Mais cela fut faict, disent les registres 1 pour les urgentes nécessités de la ville, lors grandement affligée de la contagion. L’un et l’autre se montrèrent dignes de l’honorable exception qui fut faite en leur faveur. Pignoli surtout se dévoua avec tant d’ardeur au service des pestiférés, qu’il fut bientôt lui-même atteint du mal sous lequel il succomba moins de quinze jours après son entrée en fonctions. Il fut enterré dans le cimetière de Saint-Lazare, le long de l’ancien chemin qui conduisait à Marseille, dans le voisinage de la boucherie, au pied d’une croix de pierre abattue en 1795, et dont on voit encore une partie du massif en maçonnerie qui la supportait ; monument qui, à notre avis, devrait être rétabli pour perpétuer la mémoire du généreux Pignoli.
C’est pendant cette peste qui dura un an, et qui moissonna près du tiers des habitants d’Aix, que parut un ermite italien nommé frère Valère des Champs, de Sainte-Colombe. Les soins qu’il prodiguait aux malades, la guérison de plusieurs d’entre eux qu’il opéra au moyen des remèdes qu’il leur donnait, lui acquirent la plus grande réputation. Le peuple d’Aix le considérait comme un saint. On grava son portrait, et chacun voulut avoir son image à côté de son lit ; on la plaça même sur l’autel de la chapelle de Saint-Eutrope, hors la porte Bellegarde, sur la route de Pertuis. C’était un homme âgé d’environ cinquante ans, d’une taille élevée et bien proportionné dans tous ses membres ; il avait le nez aquilin, le regard gracieux, la barbe longue et bien fournie ; il marchait la tête et les pieds nus et n’avait pour tout vêtement qu’une soutane grossière qui lui descendait jusqu’aux genoux ; enfin, il était ceint d’une corde à laquelle pendaient un chapelet et un crucifix.
La peste ayant reparu vers la fin de l’année 1586, et une seconde fois pendant l’été de l’année suivante, on commença a soupçonner l’ermite d’entretenir le mal contagieux pour se faire valoir. Il graissait, disait-on, avec des drogues de sa composition, les marteaux des portes de certaines maisons. On observa d’ailleurs du changement dans ses mœurs et ses habitudes ; on s’aperçut qu’il fréquentait des hommes accusés de crimes et des femmes de mauvaise vie, principalement la nommée Arnaude. On résolut de l’arrêter, mais on n’osa pas le faire publiquement, dans la crainte d’un soulèvement, tant était grand le crédit qu’il avait acquis dans l’esprit du peuple.
Il avait poussé l’audace jusqu’à enlever des mains des exécuteurs dans la rue des Trois-Ormeaux, un criminel qu’on menait au supplice, et auquel il accorda la vie de sa propre autorité. Un jour qu’il était allé visiter les prisonniers, le guichetier eut ordre de le retenir dans les prisons, ce qui fut fait sans bruit et sans causer le moindre tumulte. Son procès fut instruit aussitôt, et sur les nombreuses preuves qu’on recueillit de sa vie licencieuse, il fut condamné à être brûlé vif, ce qui fut exécuté sur la place des Prêcheurs, le 23 décembre 1588. On rapporte qu’en allant au bûcher, ce malheureux ne cessait de répéter ces paroles : A peccato vecchio, penitenza nuova. Sa concubine en fut quitte pour être fustigée par le bourreau dans tous les carrefours de la ville, pendant trois jours consécutifs. 2

1 Voyez la note mise en tête du Livre rouge, aux archives de l’Hôtel-de-Ville. Retour

2 Voyez sur cet ermite tous les historiens de Provence et d’Aix. Retour