Les Rues d’Aix – Rue du Bon Pasteur inférieure


Les Rues d’Aix
ou recherches historiques sur l’ancienne capitale de Provence
par Roux-Alpheran en 2 tomes 1848 et 1851
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PARTIE INFÉRIEURE

DE LA

RUE DU BON PASTEUR

ORSQUE la partie supérieure de cette rue s’appelait la rue du Puits-Chaud , la partie inférieure se nommait la rue des Trabaux, du nom d’une ancienne famille qui y fesait sa demeure.
En 1629, trois vertueux habitants d’Aix, Jean-Nicolas de Mimata, chanoine de Saint-Sauveur ; François de Beaumont, écuyer, et Michel Estienne, receveur du domaine, fondèrent dans cette rue, à la persuasion du R. P. Isnard, jésuite, recteur du collège Royal-Bourbon, une maison hospitalière en faveur des filles, qui, ayant mené jusqu’alors une vie peu régulière, voulaient revenir à Dieu. Cet établissement qu’on appela les Filles Repenties ou les Filles du Bon-Pasteur, et qui a subsisté jusqu’à la révolution, a donné à toute la rue le nom qu’elle porte encore aujourd’hui.
Vis-à-vis la maison du Bon-Pasteur était celle où logeait le pieux Jacques de la Roque, fondateur de l’hôpital Saint-Jacques de cette ville en 1519, sur lequel nous ne dirons rien, renvoyant le lecteur à l’intéressante notice que M. Mouan, avocat, a publiée en 1834 sur ce respectable personnage, et nous parlerons des Alagonia, seigneurs de Meyrargues, dont la maison d’habitation était voisine de celle de la Roque.
Artaluche d’Alagonia était un très grand seigneur du royaume de Naples, et y possédait des biens immenses. Ayant embrassé le parti du roi René contre Alphonse, roi d’Aragon , il suivit la fortune du premier, et se retira avec lui en Provence lorsqu’il abandonna le royaume de Naples à son heureux compétiteur. René, pour le dédommager des biens qu’il abandonnait en Italie, lui donna, en 1443, la terre et le château de Meyrargues, sur quoi il disait assez plaisamment qu’on lui donnait un poulailler (un gallinaro) en échange de trente mille ducats de rente qu’il avait perdus. Cet Artaluche d’Alagonia avait composé un Traité de la Fauconnerie, qui avait eu quelque réputation, et qui est oublié depuis longtemps.
Claude d’Alagonia, son arrière petit-fils, seigneur de Meyrargues, avait été créé chevalier de l’ordre du roi, par Charles IX, en 1568, et avait exercé trois fois les fonctions de premier consul d’Aix, procureur du pays de Provence.1
Louis d’Alagonia, fils aîné de Claude et seigneur de Meyrargues, né à Aix en 1563, eut le malheur de conspirer contre la France, et expia sur l’échafaud sa criminelle entreprise. Se trouvant à Paris en qualité de député des Etats de Provence à la cour, il eut la coupable audace et la témérité de proposer à l’ambassadeur d’Espagne, Balthazar de Zuniga, de livrer à cette couronne le port et la ville de Marseille, où il commandait deux galères. Plus imprudent encore, il confia son projet à un forçat, homme de cœur, qu’il jugea capable de le seconder dans son dessein. Celui-ci, dans l’espérance d’obtenir sa liberté et une grosse récompense, découvrit le complot au duc de Guise, gouverneur de Provence, qui en avertit le roi. Des ordres furent donnés aussitôt, et dans la soirée du lundi, 5 décembre 1605 Meyrargues fut arrêté dans l’appartement qu’il occupait chez un nommé Georges de Romencq, dit le Fresne, sur la place Saint-Germain-l’Auxerois à Paris. Il avait passé une partie de cette soirée avec Marc-Antoine d’Honorat sieur de Pourcieux, ci-devant second consul d’Aix, et député comme lui des Etats de Provence à la cour. Après que celui-ci se fut retiré, Jacques Bruneau, flammand, natif de Gand, secrétaire de l’ambassadeur, était arrivé chez Meyrargues et causait avec lui de la conspiration, lorsque le lieutenant-criminel se présenta vers les neuf ou dix heures, et les constitua prisonniers l’un et l’autre. On les fouilla, et l’on trouva dans l’un des bas de Bruneau, au-dessous de la jarretière, un écrit de la main de Meyrargues, intitulé l’Accord du fasché, où il découvrait son plan, et se plaignait du peu de cas que le roi Henri IV faisait de ses services, ajoutant que ses ancêtres descendaient de la maison d’Aragon et des ducs de Terra-Nova, ce qui lui faisait désirer de servir le roi d’Espagne.
Meyrargues fut conduit sur le champ au grand Châtelet et Bruneau au petit Châtelet. Mais celui-ci fut relâché quelque temps après, sur les instances de l’ambassadeur, son maître, et non sans grandes difficultés de la part d’Henri IV, qui ne voulait pas laisser impunie cette violation de la foi publique. Quand à Meyrargues, il fut interrogé dans la même nuit au grand Châtelet par les conseillers d’Etat Pierre Jeannin et Antoine de Loménie, et il chercha à nier son crime, disant qu’il avait seulement demandé d’obtenir du service en Flandre sous l’archiduc. Bruneau fut interrogé à son tour, ainsi que Romencq, un nommé Etienne Vallon, lorrain, laquais de Meyrargues, et Jean-Baptiste Gueret, peintre, natif de Bordeaux, qu’il avait employé à copier un pourtraict, c’est-à-dire un plan de la ville de Marseille. Ces trois individus furent ensuite confrontés avec l’accusé, et il en résulta la preuve complète des entrevues de Meyrargues, tant avec l’ambassadeur d’Espagne qu’avec son secrétaire, dans le but de la conspiration. L’instruction étant achevée, le procès criminel fut renvoyé, par lettres-patentes du roi, à la grand-chambre du parlement de Paris réunie à la Tournelle et à la chambre de l’édit. Meyrargues fut déclaré atteint et convaincu du crime de lèze-majesté et prodition contre le roi et son Etat, et condamné a être décapité sur un échafaud dressé en place de Grève ; son corps mis ensuite en quatre quartiers et attachés à des potences plantées aux quatre principales portes de Paris, et sa tête portée à Marseille pour y être mise au bout d’une lance sur la principale porte de ladite ville ; ses biens confisqués, etc. 2
Cet arrêt fut exécuté le jour même où il fut prononcé, le lundi 19 décembre 1605, quelque espérance que put avoir Meyrargues d’obtenir sa grâce, à la considération de Marie de Berton, sa femme, nièce du brave Crillon, et parente des ducs de Joyeuse et de Montpensier. Mais par ses lettres-patentes du dernier jour de janvier 1606, enregistrées le 16 mars suivant au parlement d’Aix, Henri IV remit à Honoré d’Alagonia, chevalier de Malte, la confiscation des biens de son frère qui ne laissait point d’enfants. Cet honoré d’Alagonia fut le dernier mâle de sa famille, dont la succession fut recueillie par la maison de Valbelle.
Les Boutaric, dont nous avons déjà parlé, 3 demeuraient dans la rue des Trabaux au commencement du XIVe siècle, avant d’aller habiter la rue Rifle-Rafle ; et le célèbre médecin Antoine Mérindol y était né le 20 octobre 1570. Louis XIII l’avait choisi pour son médecin ordinaire en 1616, et il était premier professeur royal de médecine à l’université d’Aix, lorsqu’il mourut en cette ville, le 26 décembre 1624. Ses oeuvres furent publiées par Jean Mérindol, son fils, en un vol. in-fol. 4, dont on n’a pas cessé de faire cas. Ce savant homme, avait publié, en 1600, divers traités sur les eaux thermales d’Aix et dans lesquels il établit la supériorité de la source dite de l’Observance sur celle des Bagniers, contre l’opinion du médecin spargirique Castelmont, qui soutenait le contraire. 5
Mitre Mérindol, son neveu et non son fils, Oratorien, né à Aix le 5 juillet 1599, mort supérieur du collège de Toulon le 1er septembre 1666, a laissé plusieurs ouvrages destinés à faciliter l’étude de la langue grecque. 6
Deux autres Oratoriens de la même famille qui est aujourd’hui éteinte, ont mérité d’être mentionnés honorablement dans le Dictionnaire des Hommes illustres de Provence, 7 et nous les citons ici avec les dates de leur naissance et de leur décès Jacques Mérindol, aumônier du roi, né à Aix le 7 février 1580, mort à la Ciotat le 18 novembre 1656; et Jean Mérindol, né à Aix le 7 avril 1660, mort à Paris le 20 mai 1732.
En 1318, Hugon Isnard prit à nouveau bail, des anniversaires de Saint-Sauveur une maison située dans la rue des Trabaux que ses descendants ont occupée pendant quatre cents ans, ce qui est assurément très rare et ce qui est prouvé par les reconnaissances ou titres nouvels de la cense imposée sur cette maison, passées par les Isnard, savoir : par Isnard Isnard, docteur en droit, avocat du conseil de ville, en 1351; Guillen Isnard, en 1485 ; un autre Guillen Isnard, en 1527 ; Isnard Isnard, en 1594 ; Esprit Isnard, en 1643; et Jacques Isnard, en 1688. C’est à la mort de celui-ci que la maison dont nous parlons fut vendue en 1718. Nous ignorons ce qu’est devenue depuis lors cette très ancienne famille.

1 Savoir en 1562-63, en 1578-79 et en 1587-88. Retour

2 Nous possédons parmi nos manuscrits une copie entière du procès criminel de Louis d’Alagonia, et des lettres-patentes en faveur de son frère le chevalier de Meyrargues. Retour

3 Voyez ci-dessus pag. 177. Retour

4 Dictionnaire des hommes illustres de Provence, tom. 1er, pag. 511. Retour

5 Essai historique et médical sur les eaux de Sextius, par M. le doct. Robert, pag. 52 et suiv. – Aix ancien et moderne, par M. Porte, 1ere édition, pag. 100 ; 2eme édition, pag. 143. Retour

6 Biographie universelle de Michaud , tome XXVIII, pag. 377. Retour

7 Tome 1er, pag. 512 et 515. Retour