Les Rues d’Aix – Cérémonies de la Fête-Dieu


Les Rues d’Aix
ou recherches historiques sur l’ancienne capitale de Provence
par Roux-Alpheran en 2 tomes 1848 et 1851
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CÉRÉMONIES DE LA FÊTE-DIEU

NCIENNEMENT la Fête-Dieu était une époque de joie et de bonheur pour les habitants d’Aix. Grands et petits, riches et pauvres, tous prenaient part aux divertissements, les hommes comme les femmes, les vieillards comme les enfants. Les étrangers accouraient en foule et contribuaient puissamment à animer le tableau ; en un mot, c’était alors le bon temps de la ville d’Aix. La révolution a tout détruit, et bientôt le souvenir de ces grandes réjouissances sera effacé en entier de la mémoire des Provençaux.
En vain a-t-on essayé à diverses reprises, notamment en 1803, après le rétablissement du culte catholique ; en 1807, à l’occasion du séjour de la princesse Pauline, la sœur bien-aimée de Bonaparte ; en 1814, lors du passage de MONSIEUR, comte d’Artois, le noble modèle des chevaliers français ; enfin en 1823, en présence de l’auguste fille de Louis XVI ; en vain, disons nous, a-t-on essayé plusieurs fois de reproduire ces cérémonies et ces jeux qui plaisaient tant à nos pères, les circonstances seules donnèrent quelque importance à ces essais, et les esprits forts de ce siècle n’y virent plus des pauvretés et des niaiseries. Le charme était détruit et il est permis de douter qu’on pût les ressusciter de nouveau avec quelque apparence d’applaudissement. D’ailleurs ne faudrait-il pas en demander la permission à nos seigneurs les bureaucrates de Paris, et ceux-ci voudraient-ils autoriser à Aix ce qui ne se fait nulle autre part en France ? Uniformité complète, dégoût général, extinction totale de l’esprit public des communes et des provinces, voilà ce qu’il faut à ces messieurs pour nous gouverner à leur guise.
Un ouvrage fort curieux, qui devient chaque jour plus rare, 1 quoiqu’il ne date que de soixante-neuf ans, rappellera sans doute à nos neveux les principales cérémonies qui avaient lieu dans cette ville à l’époque de la Fête-Dieu ; mais les traditions se perdront insensiblement pour mille et mille détails. Qui sera bientôt celui qui saura manier une pique ou un drapeau, faire tournoyer le bâton, ou saluer les dames avec grâce, un bouquet de fleurs à la main ? N’a-t-on pas sans doute oublié déjà ce que c’était qu’un
Réguigneou ? et qui rirait aujourd’hui de voir leis Tirassouns se vautrant dans la poussière ?
Gaspard Grégoire, né à Aix en 1715, mort en 1795, est l’auteur de l’ouvrage dont nous venons de parler. Il le publia en cette ville en 1777, chez Esprit David, sous le titre d’Explication des cérémonies de la Fête-dieu d’Aix, en Provence, in-2, orné des figures du Lieutenant de Prince d’Amour, du Roi et des Bâtonniers de la Bazoche, de l’Abbé de la Ville, des jeux des Diables, des Razcassettos, des Apôtres, de la reine de Saba, des Tirassouns, des Chevaux-Frux, etc., etc., et des airs notés, consacrés à cette fête; enfin, du portrait du bon roi René, qui avait institué tous ces jeux vers l’an 1462. Deux enfants de cet auteur, aussi aimable que spirituel et bon poète provençal, Gaspard et Paul Grégoire, avaient aidé leur père dans cet ouvrage dont l’un avait gravé les figures que l’autre avait dessinées.
C’est là que nous puiserons l’analyse succincte que nous allons en donner.
Dès le lundi, seconde fête de la Pentecôte, le conseil de ville procédait solennellement à la nomination du Lieutenant de Prince et à celle de l’Abbé, après quoi MM. les consuls et assesseur allaient en corps de ville et précédés par les tambours, chez les élus pour leur faire part de leur nomination. Avant 1668, on nommait aussi un Prince d’Amour, qui jouait le premier rôle dans ces réjouissances. Il était choisi parmi les jeunes gens des familles les plus qualifiées de la province, et les dépenses considérables auxquelles il était soumis, exigeaient qu’il fût pris aussi parmi les plus riches. Nicolas-Claude Fabri, qui fut depuis le grand Peiresc, avait été Prince d’Amour en 1593, à l’âge de treize ans, étant né en 1580, et Charles de Grimaldi, marquis de Regusse, président au parlement, qui nous a laissé des
mémoires manuscrits très curieux sur les événements de son temps, nous apprend dans ces mémoires qu’il était né en 1612, et qu’il fut Prince d’Amour en 1627, c’est-à-dire à l’âge de quinze ans.
Cette charge fut supprimée par Louis XIV en 1668, sur les remontrances de la noblesse qui se plaignit des trop grandes dépenses qu’elle faisait à cette occasion. ” On a cherché inutilement jusqu’à ce jour, dit M. Grégoire, 2 en quoi elles consistaient. On sait seulement par tradition qu’il avait une nombreuse suite de personnes à sa petite cour ; qu’il était obligé de faire des présents, de donner de très grands repas, etc., etc.
Nous devons à l’obligeance de M. R…. de T…, notre parent et notre ami, un mémoire sur le festin donné par le sieur de Seillon (de la noble maison d’Agoult), lorsqu’il fut Prince d’Amour à Aix, c’est-à-dire en l’année 1612. Celle pièce, ainsi cotée sur le dos, et dont l’écriture est bien du commencement du XVIIe siècle , porte en tête de la première pag. : Rolle pour M. le Prince d’Amours de la viande qu’il luy faut pour traicter cent hommes. Nous sommes persuadé que ce n’est pas seulement un état de ce qui parut réellement à ce festin, mais un véritable programme auquel l’usage et peut-être les règlements avaient soumis le sieur de Seillon. Son prédécesseur ou les personnes qui présidaient aux préparatifs de la fête, lui auraient fourni ce programme que les Princes d’Amour se seraient transmis de l’un à l’autre, ou dont l’usage se serait perpétué depuis le temps même du roi René.
C’est ainsi que, jusqu’à la révolution, le chapitre de Saint-Sauveur donnait, chaque année, le jour de la Fête-Dieu, au parlement, aux consuls, etc., un repas dont M. Grégoire nous a conservé les détails, 3 qui était constamment composé des mêmes services, depuis plus de 300 ans.
Nous aimons à croire qu’on ne sera pas fâché de connaître la pièce dont nous parlons, et nous avouerons que bien des mots dans le rôle du dessert nous ont embarrassé, et que nous ne saurions en donner aucune explication satisfaisante. Quelqu’un de plus instruit que nous pourra y pourvoir.

Rolle pour M. le Prince d’Amours

de la viande qu’il luy faut pour traicter cent hommes.


Premièrement une biche et un senglier.
Plus deux mottons.
Davantaige cinquante livres de bœuf.
Plus vingt quodindes.
Encor douze chevreaux.
Plus vingt-quatre dindons.
Davantaige cinquante pères de poullets.
Plus cinquante pères de pigeons.
Encor cinquante pères de perdrix.
Davantaige douze lapins.
Plus douze levreaux.
Plus douze petits lapareaux.
Plus quatre douzainnes de tourtarelles.
Plus quatre douzainnes de cailles.
Plus quatre douzainnes d’ortollan.
Oavantaige trente-six chapons.
Encores huit chambons.
Plus douze couchons de lait.
Plus six livres de soussisses d’Espaigne.
Plus deux quintaulx de lar.


Rolle de la Pâtissarié.


Premièrement cinq patais de quodinde.
Plus cinq patais de chapons.
Encor dix patais de veau.
Plus cinq patais à l’amollun.
Plus cinq patais de lapin.
Plus cinq patais de quodiveau.
Davantaige cinq patais de langue de bœuf à la sauce douce.
Plus cinq patais de chevreaux à la sauce blanche.
Encor cinq patais de pigeon.
Plus cinq patais de poullets.
Davantaige cinq tourta-grasse de blanc de chapon.
Plus quatre douzainnes de patais de deux soulx.
Plus cinq patais de biche.
Plus cinq patais de senglier.


Role du Dessert


Premièrement cinq tartres de thoume.
Plus cinq plats de cachemuzeaux.
Plus cinq popullins.
Plus cinq tartres de pinneon.
Plus cinq tartres de crême.
Davantaige cinq tartres de grosse gruette.
Plus cinq tartres de pomme.
Plus cinq tartres de raizin de Corinte.
Davantaige cinquante… (mot illisible)…, blanches.

On regrettera sans doute avec nous de ne pas trouver dans cet état l’indication des vins que le Prince d’Amour faisait servir à ses convives : c’est peut-être parce qu’on ne connaissait alors que le vin du pays. Nous laissons à d’autres le soin de discuter ce point important de l’art de la gueule chez nos pères ; mais quel que fût leur appétit, il nous paraît impossible que cent personnes dévorassent cette énorme quantité de viandes et de pâtisseries. La desserte était apparemment livrée aux valets du Prince d’Amour et de ses convives.
Revenons au Lieutenant de Prince et à l’Abbé. L’un était pris parmi les fils des bourgeois ou les étudiants en droit ; l’autre parmi les artisans.
Le même jour, lundi de la Pentecôte, deux conseillers-commissaires du parlement, assistés d’un de MM. les gens du Roi après avoir entendu la messe dans la chapelle du palais, présidaient à la nomination du Roi de la Bazoche que faisaient, dans la grande chambre, les syndics des procureurs au parlement, les syndics des notaires et ceux des procureurs en la sénéchaussée, parmi les clercs desdits procureurs et notaires. Les praticiens qui se trouvaient présents, donnaient aussi leurs voix pour cette nomination, et celui qui avait réuni le plus de suffrages, était proclamé par le plus ancien des conseillers.
Le samedi suivant, veille du jour de la Trinité, les tambours du Lieutenant et du Guidon de Prince, ceux du Roi de la Bazoche et de l’Abbé sortaient à midi et commençaient à donner des aubades. C’était véritablement alors que s’annonçait la fête.
Le lendemain, dimanche de la Trinité, le Roi de la Bazoche, entouré de son Capitaine des gardes et de ses Bâtonniers, de son Porte-Enseigne, de son Lieutenant et de son Guidon, allait, précédé des tambours et des violons, entendre la messe dans l’église des Prêcheurs où il faisait l’offrande. Il était décoré du cordon bleu et de la plaque de l’ordre du St-Esprit, et après la messe il venait au palais où il se plaçait sur le trône. Son Capitaine des gardes, debout devant, lui, proclamait alors à haute voix les officiers de la Bazoche, dont les principaux étaient le Connétable, l’Amiral, le Grand-maître et un Chevalier d’honneur.
Ce même jour de la Trinité, MM. les consuls nommaient le Guidon du Prince, qu’ils choisissaient parmi les trois sujets que les syndics des marchands avaient, l’honneur de leur présenter. Le conseil de ville approuvait ensuite cette élection et celle des officiers de l’Abbé, qui étaient un Lieutenant d’Abbé, un Guidon d’Abbé et six Bâtonniers. Le Lieutenant de Prince avait quatre Bâtonniers et le Guidon de Prince n’en avait que deux. Ces nominations faites, MM. les consuls et assesseur allaient encore en corps de ville, avec les tambours, chez les nouveaux élus, comme ils avaient fait le lundi de la Pentecôte à l’égard du Lieutenant de Prince et de l’Abbé.
Tous ces officiers représentaient, suivant M. Grégoire, les hauts chevaliers qui figuraient anciennement dans les tournois; car c’était un tournoi que le roi René avait voulu entremêler dans les augustes cérémonies de la religion, à l’époque solennelle de la Fête-Dieu. M. Millin ne partage pas cette opinion, dans le second volume de son Voyage dans les départements du Midi de la France, où il parle aussi de la Fête-Dieu d’Aix ; mais les rapprochements qu’a fait M. Grégoire de ces cérémonies avec celles qui s’observaient dans les tournois, sont si frappants, qu’il ne nous parait guère possible de se refuser à la justesse de ses explications. Nous renvoyons à son ouvrage lui-même où il donne les plus fortes preuves de son opinion. Le même ouvrage donne le nom d’entremets ou d’intermèdes aux jeux qui paraissaient aussi à la Fête-Dieu d’Aix , et qui sortaient une première fois le dimanche de la Trinité, comme pour s’essayer.
Le principal de ces jeux était sans doute le grand jeu des Diables (lou grand juec deis Diablés), dans lequel on voyait le Roi Hérode entouré d’une douzaine de Démons, armés de longues fourches, qui cherchaient à le tourmenter et dont il tâchait de se débarrasser avec le secours de son sceptre.


Lou grand Juec deis Diablés.

La Diablesse probablement la femme du grand Diable, coiffée grotesquement et parée suivant la mode la plus nouvelle, qu’elle outrait même jusqu’à la caricature, paraissait vouloir faire sa cour au roi en brossant son habit.
Le petit jeu (lou pichoun juec deis Diablés ou l’Armetto suivait immédiatement le grand jeu. Un très jeune homme, les bras et les jambes nus, tenait de la main droite une croix que les Diables tâchaient de lui enlever et qu’il défendait avec l’aide de son bon Ange gardien. Celui-ci, qui tient la même croix de la main gauche, reçoit sur son dos, garni d’un très bon coussin, les coups de tricot que lui porte l’un des Diables, et danse ensuite pour se réjouir de ce que la croix et l’Armetto (la petite âme) ont échappé au danger. 4


L’armetto

Le jeu du Veau d’or, appelé plus ordinairement lou juec d’oou Cat par le peuple, parce qu’un des Juifs qui adorent le veau d’or jette en l’air un pauvre chat enveloppé dans un sac de toile, ayant soin toutefois de ne pas le laisser tomber par terre ; ce jeu, disons-nous, représentait le Veau d’or adoré par les Juifs qui, en roulant autour de lui, paraissaient mépriser le Grand-Prêtre et Moïse leur montrant les Tables de la loi, et leur criaient ouhoou ! ouhoou ! 5


Lou Juec doou Cat


La reine de Saba (la reino Sabo) allant visiter le roi Salomon, faisait le sujet du quatrième jeu. Elle était accompagnée par trois dames d’atour et par un danseur élégamment habillé, portant dans la main droite une épée nue surmontée d’un château de fer-blanc, qu il agitait agréablement en dansant avec les dames d ‘atour devant la reine qui leur rendait leurs saluts avec gravité.


La reino Sabo

L’air de cette danse était, dit-on, de la composition du bon roi René. 6


Air dé la reino Sabo

La belle Etoile (La bello Estello) conduisait les trois Mages allant à Bethléem suivis de leurs pag.. Le porteur de l’étoile l’agitait à droite et à gauche, et les rois comme les pages, suivaient les mouvements qu’elle faisait ; après quoi celui des pages qui se trouvait le plus près, saluait d’abord l’étoile, ensuite son maître et terminait ses saluts par un réguigneou. 7 Les autres pages faisaient de même à leur tour, et lorsque le dernier avait, fini, le troisième roi qui se trouvait à la queue de la troupe donnait sa bénédiction à tous.


La bello Estello

Leis Tirassouns (qui se traînent par terre) représentaient le massacre des Innocents ordonné par le roi Hérode. Sept ou huit petits enfants, courant en cercle à quatre pas les uns des autres, avec un air effrayé et en criaillant devant le roi , tombaient au moment où était lâché un coup de fusil que ce prince faisait tirer, et se traînaient par terre et même dans les ruisseaux, ce qui avait valu à ce jeu le nom sous lequel il était plus connu que sous son nom véritable. 8


Leis Tirassouns

Les Apôtres (leis Apotros) et les Evangélistes rangés en haie, venaient ensuite et voyaient passer au milieu d’eux le traître Judas, suivi de saint Paul qui le menaçait de son épée. Judas faisait plusieurs fois le tour du Christ paraissant courbé sous le poids de la croix, lui montrait la bourse des trente deniers et finissait par lui donner le baiser. Il repassait ensuite devant les Apôtres et les Evangélistes qui, tous, lui frappaient sur la tête avec une petite planche longue et étroite qu’ils tenaient en main et sur laquelle étaient inscrits divers passages du symbole. 9


Leis Apotros

Leis Chivaoux frux (chevaux fringants) étaient plus agréables à voir que la plupart des jeux qui ont précédé. Huit ou dix jeunes gens élégamment vêtus paraissaient montés sur des chevaux de carton peint, dont la tête et le poitrail d’un côté et la croupe de l’autre laissaient entre-deux un vide dans lequel les cavaliers passaient la moitié de leur corps. Ils exécutaient, sur un air attribué au roi René, des danses joyeuses en faisant mouvoir leurs chevaux dans tous les sens. 10


Leis Chivaoux frux.

Air deis Chivaoux frux.

Les Danseurs (leis Dansaïrés) qui venaient après, n’étaient pas moins agréables; ils dansaient comme eux au son du fifre et du tambourin, les contredanses nouvelles, et une troupe de petits danseurs qui les suivaient, méritait, comme les grands, les applaudissements du public. 11

Leis Dansaïrès

Les Lépreux de l’Evangile (leis razcassettos) paraissaient ensuite , au nombre de quatre seulement. L’un d’eux portait sur sa testière, une vieille et sale perruque que les autres trois peignaient, brossaient et agitaient avec un peigne, une brosse ou des ciseaux qu’ils tenaient en main.

Leis Razcassettos

On ne saurait dire ce que cela pouvait signifier, et quant au nom de Razcassettos, que le peuple avait donné à ce jeu, on ne pourrait guère en donner d’explication plus satisfaisante que celle qu’on trouve dans M. Grégoire. 12

Saint Christophe ( Sant-Christoou et La Mort (la Mouert ) terminaient la série des jeux qu’on donnait encore en spectacle lors de la révolution ; 13

Sant Christoou. La Mouert.

car plus anciennement il en paraissait bien d’autres qui avaient été supprimés successivement, tels que le Paradis Terrestre ou l’histoire d’Adam et d’Eve, celles de Caïn et d’Abraham ; les Maries qui suivaient la Véronique, et autres dont on petit voir l’énumération dans le compte trésoraire de la ville de l’année 1600, et qui ne se faisaient déjà plus lorsque M. Grégoire a écrit son livre.
Le mercredi, veille de la Fête-Dieu, à midi, les Diables et les autres jeux se répandaient de nouveau dans la ville et recommençaient d’amuser le public jusqu’au soir.
A l’entrée de la nuit, les Bâtonniers du roi de la Bazoche et ceux de l’Abbé se réunissaient devant l’église de Saint-Sauveur, et après que ceux-ci avaient salué les premiers, les Bâtonniers de l’Abbé commençaient le Pas d’Armes, qu’on appelait vulgairement la Passado, en suivant le tour que la procession devait faire le lendemain. Dix minutes après, les Bâtonniers de la Bazoche faisaient de même leur Passado.

La Passado

Air dé la Passado

Les tambours accompagnaient les uns et les autres et leur exercice consistait à faire rouler leurs bâtons de droite et de gauche, comme s’ils allaient forcer un poste en se courant après, de deux à deux, à quelques pas de distance. Parfois ils s’arrêtaient devant les dames et figuraient entre eux un combat de courtoisie qui leur méritait les applaudissements du beau sexe. De retour devant Saint-Sauveur, les Bâtonniers de la Bazoche rendaient le salut à ceux de l’Abbé et l’on se séparait. La Passado était un des divertissements de la Fête-Dieu que l’on voyait ordinairement avec plus de plaisir.
A dix heures du soir, le Guet sortait de l’Hôtel-de-ville et parcourait les rues jusqu’à minuit, sans suivre de route déterminée. Il allait passer devant les maisons des hautes puissances, devant celles de MM. les présidents, de MM. les consuls, etc., en sorte que sa marche variait bien souvent. Presque tous les Dieux de la fable, à cheval et distingués par leurs attributs, la plupart des jeux qui avaient paru dans la journée et le dimanche de la Trinité, force tambourins, fifres et tambours, et grand nombre de flambeaux composaient ce fameux Guet, dans lequel le Roi René avait voulu présenter le paganisme détruit, le lendemain, par le grand jour du christianisme. Dans ce Guet marchaient encore les chevaliers du Croissant, en souvenir de l’ordre du même nom que le roi René avait institué ; le duc et la duchesse d’Urbin, montés sur des ânes, dont René, qui avait eu à se plaindre d’un duc d’Urbin , avait voulu ridiculiser la mémoire, etc. La marche était terminée par un grand char dans lequel étaient assis Jupiter armé de la foudre, la belle Junon l’aimable Vénus, les Ris, les Plaisirs, etc., et derrière ce char, les trois Parques à cheval annonçaient que tout finit en ce monde. 14
Le lendemain jeudi, jour de la Fête-Dieu, dès quatre heures du matin, le grand et le petit jeu des Diables s’assemblaient sur la place de la métropole. Le petit faisait son jeu accoutumé et se mettait aussitôt à courir aussi vite qu’il pouvait, en suivant le tour ordinaire de la procession. Le grand jeu faisait alors le sien et courait ensuite après l’autre. S’il parvenait à l’atteindre et à lui enlever l’Armette, le petit jeu lui payait à déjeuner. S’il ne le pouvait pas, le grand jeu régalait le petit: c’est ce qu’on nommait la Gageure des Diables.15 Il faut dire qu’auparavant, tous avaient entendu la première messe à Saint-Sauveur et avaient fait bénir leurs testières, après quoi ils avaient eu soin de se compter pour s’assurer que le vrai diable n’était point venu se mêler avec eux, comme cela était arrivé autrefois, disaient-ils. 16 Naïve simplicité de ces temps réputés barbares, où nos Diables, après s’être dépouillés de leurs infernaux accoutrements, s’occupaient à cultiver la terre, plutôt qu’à faire de la politique !
A huit heures, les Bâtonniers de la Bazoche et leurs tambours allaient prendre les grands officiers (le Connétable, l’Amiral, le Grand-Maître et le Chevalier d’honneur), et les conduisaient chez le roi, où les attendait un déjeuner splendide. Tous ensemble allaient ensuite au palais où le parlement était réuni, et recevait la Bazoche dans la grande chambre. On allait de là à Saint-Sauveur, la Bazoche précédant le parlement, et après la grand’messe, la Bazoche allait dîner aux frais des procureurs et des notaires, tandis que MM. du parlement passaient dans la salle capitulaire où un dîner était servi aux dépens du chapitre. 17 A ce dîner assistaient aussi MM. les consuls et assesseur qui avaient entendu la même grand’messe et qui s’y étaient rendus précédés du Guidon de Prince et du Lieutenant de Prince accompagnés de leurs Bâtonniers, avec musique et tambours. Le Lieutenant et le Guidon de Prince étaient également invités au dîner, de même que MM. les trésoriers-généraux de France. Quant à la sénéchaussée, comme elle avait entendu séparément une messe basse à Saint-Sauveur, à l’autel de Corpus Domini , elle recevait du chapitre une invitation particulière à un dîner à peu près semblable à celui du parlement. 18 On prétend que l’usage de ces dîners, donnés par le chapitre, provenait de ce qu’un jour de Fête-Dieu, une pluie à verse ayant empêché de sortir de Saint-Sauveur après la grand’messe, les chanoines avaient, par courtoisie, offert à manger au parlement, aux consuls, au Prince d’Amour, etc., ce qui avait été exigé l’année suivante comme un droit acquis, auquel le chapitre n’avait plus été le maître de se soustraire. Ce qu’il y a de certain, c’est que cet usage existait déjà dès l’an 1495, ainsi qu’il résulte des registres capitulaires, et, ce qui est plus certain encore, c’est qu’il a fini à la révolution et n’a plus été renouvelé depuis à aucune des diverses fois qu’on on a tenté de ressusciter les anciennes cérémonies de la Fête-Dieu. Or, plût au ciel que la révolution eût mis fin de même à tous les abus !
Cependant les jeux des Diables et autres parcouraient les rues dès le matin. A l’issue de la grand’messe de Saint-Sauveur, à onze heures et demie, la croix de la métropole avec la bannière aux armes de la ville, sortait de cette église, et toutes les rues par lesquelles la procession allait passer étaient richement tapissées. Cette bannière était suivie d’un grand nombre d’autres sous lesquelles marchaient les diverses confréries et les corporations des arts et métiers. Venaient ensuite les oeuvres pies et les hôpitaux, et à la suite de ceux-ci les corps religieux de la ville suivant l’ordre d’ancienneté de leur établissement dans Aix.
Quand tout ce cortège avait défilé, il y avait un assez long intervalle de temps pendant lequel les habitants et les étrangers allaient dîner, et vers les deux heures et demie, les chevaliers du Croissant ouvraient de nouveau la marche, tandis que les jeux ou entremets recommençaient leurs divertissements.
La bravade de l’Abbé de la ville, qu’on appelait l’Abbadie,

L’Abbé de la Villo

entrait à la même heure à Saint-Sauveur, son capitaine des gardes en tête, et les Bâtonniers jouaient de leurs bâtons dans le chœur, devant le maître-autel et devant le parlement qui s y trouvait, ainsi qu’en d’autres endroits de l’église, après quoi elle faisait le tour de la procession. Chaque compagnie de fusiliers, dirigée par les Bâtonniers, faisait de nombreuses décharges de mousqueterie dans les rues, après en avoir fait dans l’église même. Venaient ensuite le Guidon d’Abbé, le Lieutenant d’Abbé

Lou Rei de la Bazoche Capitani deis Gardos Bastounié doou rei

et l’Abbé, en habits noirs, plumes et cocarde au chapeau, épée et hausse-col, et un bouquet à la main avec lequel ils saluaient les dames.
La Bravade de la Bazoche suivait celle de l’Abbadie et le Capitaine des Gardes, le Porte-Enseigne et les Bâtonniers jouaient encore dans le chœur devant le maître-autel et le parlement puis continuaient le tour de la procession, ainsi que le Connétable, l’Amiral, le Grand-Maître, le Chevalier-d’Honneur, le Guidon de Roi, le Lieutenant de Roi, et le Roi de la Bazoche.
Le Guidon de Prince et le Lieutenant de Prince venaient ensuite avec leurs Bâtonniers, et étaient considérés comme les personnages les plus importants de la fête, depuis la suppression du Prince d’Amour. Ces grands officiers portaient, comme ceux de l’Abbadie et de la Bazoche, des bouquets de fleurs à la main, et les costumes des uns et des autres, en soie blanche, verte, jaune, rose ou bleue de ciel, produisaient un effet des plus agréables par leur élégance et cette diversité de couleurs. Tous ces personnages, précédés par des tambours, ne paraissaient que successivement et à de certaines distances, s’arrêtant devant les dames, soit pour les saluer, soit pour faire admirer à celles-ci leur adresse à manier la pique ou le drapeau, ou à jouer du bâton. C’est ainsi que, pendant quatre ou cinq heures de temps et dans tous les quartiers de la ville, les rues, transformées en lices des anciens tournois, étaient garnies d’une foule immense, tant le long des maisons qu’à toutes les fenêtres et aux balcons où se trouvaient par centaines des femmes richement parées, la plupart couvertes de diamants, car, en ce temps-là, les grandes fortunes abondaient à Aix. Des collations, des rafraîchissements étaient offerts de toutes parts, et les Bâtonniers, après avoir amusé les dames ou les grands officiers, après les avoir saluées, étaient attirés avec empressement dans les maisons et accueillis avec courtoisie pour se délasser de leurs fatigues.

Pourtur dé ciergis, dé souliers mouchoirs et bouquets.

Marcho doou Luténen dé Princé.

A quatre heures, quand tout ce bruyant cortège avait fini de passer à Saint-Sauveur, on y exposait le Saint-Sacrement, et aussitôt après les vêpres, le reste de la procession se mettait en marche dans l’ordre suivant: les notaires, le corps de l’université, savoir : les quatre prieurs de Saint-Yves, le massier, le recteur et les quatre facultés : de théologie, de droit, de médecine et des arts; suivaient les procureurs au parlement et ceux à la sénéchaussée ; la confrérie de Corpus Domini ; le clergé de la métropole en chape, et le très Saint-Sacrement, porté ordinairement par monseigneur l’archevêque, sous un riche dais, dont les cordons étaient tenus par MM. les consuls et assesseur. A la suite du Saint-Sacrement venaient le parlement en robes rouges, les trésoriers-généraux de France, la sénéchaussée et la maréchaussée qui fermait la marche.19 Après la procession, le rendez-vous général était au Cours où la promenade était des plus brillantes, et où plus de cent carrosses à livrées des grandes maisons, marchant au pas, se succédaient, sans interruption, dans l’allée du milieu, pleins de darnes et sur le marchepied des portières, de jeunes cavaliers qui débitaient des douceurs aux plus aimables et aux plus belles.
Nous le répétons, la reproduction de ces cérémonies serait-elle possible avec apparence de succès ? Nous en doutons (quelque désir que nous eussions de les revoir), aujourd’hui que n’existent plus les confréries, les corporations et les corps religieux qui marchaient jadis à la procession. Les notaires et les procureurs, ou plutôt les avoués, voudraient-ils y assister et pourrait-on les y contraindre ? Les grands corps de magistrature ont disparu, et la majeure partie de ceux qui les remplacent ne se dispenseraient-ils pas de ce qui ne serait plus à leurs yeux qu’une corvée ? Que sont devenus tous ces carrosses ? Où sont ces riches parures, ces pierreries, ces habits brodés ou galonnés, en or ou en soie, qui éblouissaient tous les yeux du temps de nos pères ? C’est tout cela cependant. qui donnait de l’éclat à la fête, bien autant que l’Abbadie, la Bazoche et le Prince d’Amour. On pourrait sans doute nommer un lieutenant de Prince et même un Prince d’Amour ; mais trouverait-on facilement des familles qui voulussent en supporter la dépense, en sus de ce que la ville pourrait fournir ? Quant à l’Abbadie et à la Bazoche, les corps qui en faisaient les frais ne subsistent plus, et charger la ville de cette triple dépense, ne serait-ce pas vouloir excéder les forces de son budget ?
Au reste, nous renvoyons, pour de plus amples détails sur cette fête, à l’ouvrage de M. Grégoire. Nous y avons puisé à peu près tout ce que nous venons de dire ; nous l’avons même copié plusieurs fois, ce dont nous avertissons le lecteur, à l’exemple de tous ceux qui font des livres avec des livres, et qui n’oublient jamais, comme on sait, d’indiquer scrupuleusement les sources fécondes de leurs plagiats.

1 A raison de cette rareté, nous en rapporterons plus bas, textuellement, quelques passages, qui nous paraissent nécessaires pour la plus grande intelligence de ce qui va suivre. Retour

2 Pag. 64, note 14. Retour

3 Pag. 160 et 162. Retour

4 ” Il faut dire quel est l’uniforme de tous les diables : ils ont un corset et de très longues culottes noires cousus ensemble, et des flammes rouges peintes sur cet habillement. La testière est noire et rouge, au goût du peintre, avec d’assez longues cornes, formant une vraie tête de diable. Le grand diable a une testière plus hideuse et quelques cornes de plus. Ils ont tous deux rangs de quinze à vingt sonnettes chacun qu’ils portent en bandoulière et en sautoir ; il est aisé d’imaginer le bruit infernal qu’ils font et que l’on entend d’assez loin. Ils ont tous des fourches d’une main et une tire-lire de l’autre, pour recevoir ce qu’on leur donne ; ils font bourse commune. La diablesse est toujours distinguée par son habillement et surtout par sa coiffure, qui est ordinairement la parodie des modes du moment. Elle paraît, dans son jeu, vouloir brosser l’habit du roi Hérode. – Ce roi est en espèce de casaque courte, cramoisie, avec des ornements jaunes, des rubans de diverses couleurs aux bras ; sa testière porte une couronne, et il a un sceptre à la main ; il ne demande rien, mais il a sa part de la bourse commune comme un diable. – On comprendra, en voyant les planches des jeux, que les porteurs de testières sont souvent forcés de les retenir avec la main, surtout en courant ou en se démenant, pour empêcher qu’elles ne les blessent ; il y en a qui les tiennent quelque temps à la main, pour se délasser de ce poids sur la tête ; d’autres s’en servent pour demander aux spectateurs de leur jeter dedans quelques pièces, etc. ” (Grégoire, pag. 85 et suiv.). Les masques qui servent pour les différents rôles, sont de grosses masses de carton peint, qui emboîtent toute la tête ; c’est pourquoi on les nomme testiéros (testières). Avec quel dégoût on doit engloutir sa tête dans cette enveloppe hideuse et profonde où, depuis trois siècles et demi, trois cent cinquante couches de crasse et de sueur se sont accumulées et superposées ! (Millin , Voyage dans les départements du midi, tom. II, pag. 311, not. 2). Retour

5 Moïse a une testière à barbe vénérable, et sur le front les deux rayons qui le caractérisent ; il a une longue robe violette ; il porte les tables de la Loi qu’il montre aux Juifs avec une baguette. – Le grand-prêtre est, dans le costume ordinaire, avec le pectoral, etc. ; sa testière est surmontée d’une tiare. – Les Juifs sont habillés de noir, avec de petits manteaux noirs qui leur vont jusqu’aux genoux. Leurs testières ont, aux deux côtés de la tête, des renflements extraordinaires, qui forment urne assez laide coiffure. ” (Grégoire, pag. 89). Retour

6 La reine a une ceinture riche, en chaîne d’argent, etc. Le danseur est lestement habillé; il a nombre de petits grelots aux jarretières , il porte une épée nue à la main droite, au bout de laquelle il y a un petit château peint, doré et surmonté de cinq girouettes en clinquant. – Les dames d’atour portent chacune une coupe d’argent à la main, pour figurer, sans doute, les riches présents que cette reine allait porter à Salomon. – La princesse est en habit du costume ancien ; elle a un voile de gaze qui lui pend derrière, attaché avec assez de goût ; une couronne rayonnante sur la tête; elle est bien coiffée et elle met beaucoup de rouge. – Les trois dames sont habillées plus simplement et à peu près de même, sans voile. – Le jeu consiste en ce que la reine de Saba met ses deux mains sur les côtés et s’agite noblement, sans bouger de place, tandis que le porteur de château danse agréablement devant elle, et toutes les fois qu’il baisse le château pour la saluer, sa majesté lui rend, de la tête et du corps, un grand salut en forme de demi cercle. Après le troisième salut, les trois dames d’atour prennent la place du danseur et forment entre elles une danse qui parait fort applaudie par les mouvements graves et cadencés de cette belle reine. (Grégoire, pag. 90 et 91). Retour

7 Si on veut savoir absolument ce que c’est qu’un réguigneou, on saura que c’est une polissonnerie faite pour amuser le peuple qui lui a donne ce nom, elle consiste dans un mouvement vif et successif des fesses de messieurs les pag., de droite à gauche et de gauche à droite, en faisant leur dernier salut. Celui qui le fait le mieux, amasse quelques pièces de monnaie de plus que les autres ; il est juste d’encourager les talents. – Une grande étoile dorée est portée par un homme en longue robe blanche, au bout d’une barre peinte en blanc et en or. Les trois mages viennent ensuite, en habits de diverses couleurs, avec des manteaux assortis aux rubans qui bordent leurs habits ; ils ont tous des
testières portant des couronnes royales. Chacun est précédé de son pag., en testière coiffée en cône, ou en forme de pain de sucre, avec des habits bigarrés de la couleur de celui de son maître. Ils ont tous une espèce de boite en pyramide, qui désigne les présents d’or, de myrrhe et d’encens que les mages vont offrir. ” (Grégoire, pag. 92 et 95). Retour

8 Le roi Hérode a un porte-enseigne, un tambour et un fusilier qui l’accompagnent, pour marquer qu’il employa ses troupes à satisfaire sa rage. On a déjà vu comment est habillé le roi (grand jeu des diables, ci-dessus) ; il l’est de même à ce jeu. – Les enfants ont tous une testière, et on leur fait présent à chacun d’une chemise de toile écrue qui leur tombe jusqu’aux talons. Ce rôle est toujours rempli par la fine-fleur des petits polissons de la ville.
– On ne sait pas pourquoi ni comment, Moïse s’est introduit dans ce jeu, ni ce que signifie cette figure qui est à côte de lui, avec un livre à la main, et qui n’a l’air tout au plus que du maître d’école des tirassons. (Grégoire, pag. 96 et 97). Retour

9 Judas ouvre la marche ; il a en main la bourse des trente deniers; il est suivi de saint Paul, caractérisé par une grand épée nue qu’il porte à la main. Les apôtres et les évangélistes viennent ensuite sur deux files, et enfin Jésus-Christ qui est en robe longue, en ceinture de corde, avec une testière dont le visage est fort ensanglanté; il paraît courbé sous le poids de la croix. – Les apôtres, les évangélistes et Judas lui-même, sont tous en dalmatiques ornées de rubans de diverses couleurs : ils sont seulement distingués par leurs attributs : saint Pierre a les clefs, saint Jacques est en coquilles de pèlerin, saint André porte sa croix, saint Luc a pour testière une espèce de tête de bœuf, saint Mathieu a une testière d’ange, saint Marc en a une de lion, etc. La testière de Judas est désignée par des cheveux roussâtres; saint Jean est représenté par un jeune enfant vêtu d’une peau de mouton, ayant les bras nus et portant un livre sur lequel il y a un agneau en relief. – On sera surpris de voir dans ce jeu, saint Siméon en mitre et en chape, donnant la bénédiction, et portant de la main gauche un panier avec des œufs. ” (Grégoire pag. 98 et suivantes). Retour

10 Ce jeu est composé de huit ou dix jeunes gens, portant tous des chapeaux gris avec un plumet haut et une cocarde (ce devaient être autrefois des heaumes ou casques). Ils sont en habits blancs, garnis de rubans de diverses couleurs, au cou, aux bras, derrière la tête, ayant aussi dus épaulettes en or et des scapulaires de Notre-Dame-du-Mont-Carmel . Ils paraissent enjambés sur leur cheval d’où pend une espèce de caparaçon en couleur de rose, pour cacher les jambes des cavaliers. Ce cheval de carton porte sur leurs épaules par deux rubans en sautoir. Ils ont tous à la main droite un petit bâton orné de plusieurs rangs de ruban. ” (Grégoire , pag. 101 et 102). Retour

11” Ils sont en corsets, culottes, bas et souliers blancs, ornés partout de rubans, avec un casque garni de ces gros diamants de théâtre ou strass, de diverses couleurs, surmonté de plumes en hauteur et de couleurs variées, et toujours des scapulaires. Ils ont, au-dessous du genou, des jarretières garnies de petits grelots, et en main une baguette ornée de rubans, qui leur sert de temps en temps à marquer la cadence. ” (Grégoire, pag. 106). Retour

12” Leur pauvre habillement consiste en deux tabliers de mulets à franges, qu’ils mettent, l’un devant, l’autre derrière, avec deux rangs de gros grelots en bandoulière et en sautoir. Ils ont, l’un un grand peigne, l’autre une brosse, le troisième des ciseaux de tondeur. Ces trois ont une testière rase, c’est-à-dire sans cheveux, et ils sont comme tondus. (Grégoire, pag. 108). On croit que le nom de razcassettos, qui n’est pas provençal, est dû à la guerre qui eut lieu entre les Razats et les Carcistes. On appelait Razats ceux que les gens du comte de Carces, lieutenant du roi avaient dépouillés et comme rasés, et Carcistes, ceux qui, pendant les troubles que ces vexations occasionnaient, tenaient pour son parti. On croit que Catherine de Médicis, qui était venue pour apaiser ces troubles (en 1579), ayant demandé l’explication du jeu des Lépreux, un plaisant lui répondit que c’étaient les Razats qui peignaient un Carciste. De là, l’on nomma ce jeu celui des Razats et des Carcistes, et par corruption, des razcassettos. C’est ainsi que Millin analyse en peu de mots l’opinion de M. Grégoire (Voyage dans les départements du midi tome II. pag. 310), sans se donner la peine de citer cet auteur qui, le premier, a trouvé cette étymologie qui nous paraît aussi vraisemblable qu’ingénieuse. (Grégoire, pag. 109 à 115). Retour

13 Saint Christophe est une figure colossale faite avec des morceaux de bois et des cercles fort légers, enveloppés d’une aube en toile blanche ; ses deux bras sont étendus en croix, le bras droit porte la figure d’un Jésus attaché par dessus ; le tout est surmonté d’une grande testière assez proportionnée, à barbe vénérable, avec une grande auréole. Elle a neuf à dix pieds d’élévation ; elle est portée par un homme qui s’y met dedans et qui fait saluer saint Christophe tant qu’il peut, afin que son quêteur ramasse un peut plus d’argent, en reconnaissance de cette politesse.
La mort est représentée par une figure noire avec des ossements de squelette peints dessus, avec une laide testière très bien caractérisée. Tout son jeu consiste a faire aller et venir sa faux sur le pavé et l’approcher des pieds de tout le monde qui, pour s’en débarrasser, donne quelque chose à son quêteur. (Grégoire, pag. 116 et 118). Retour

14 Voici l’ordre observé dans la marche du guet :

LA RENOMMÉE A CHEVAL, sonnant de la trompette. – Elle a une longue robe retroussée ; elle était messagère de Jupiter; elle annonçait les bonnes et les mauvaises nouvelles elle a des ailes sur le dos et à la tête. Elle est suivie de tambours et fifres, jouant l’air du Guet.
Il vient ensuite nombre de chevaliers du Guet, en corsets et culottes rouges, un bonnet avec un croissant et une pique à la main.-Autres tambours habillés comme les chevaliers, jouant la même marche.
LE PORTEUR DE DRAPEAU DU GUET, – précédé et suivi d’autres chevaliers avec le même uniforme.-Autres tambours et fifres jouant les airs qu’on leur prescrit.
LE DUC ET LA DUCHESSE D’URBIN, montés sur des ânes. – Le duc a un habit et un manteau rouges et rubans jaunes, et un casque avec des plumes. il a un bouquet à la main pour saluer. La duchesse, en robe et en manteau de la même couleur que l’habit du duc, son époux, et un grand éventail à la main. Ils sont suivis de quatre chevaliers du Guet et d’autres tambours et fifres.
MOMUS, DIEU DE LA SATYRE, est à cheval. – Son habit et son bonnet sont garnis de grelots ; il a une marotte d’une main et un masque de l’autre, pour désigner la liberté qu’il a de démasquer les actions des hommes.
MERCURE ET LA NUIT, à cheval. – Mercure, messager des Dieux, a des ailes à la tête et aux talons, pour marquer la vitesse de ses courses, et le caducée, qui est une verge avec deux serpents, qu’il porte comme un symbole de la paix.
La nuit a sa robe noire parsemée d’étoiles, et une plante de pavots à la main.
LEIS RAZCASSETTOS. – LOU JUEC DOOU CAT. – PLUTON ET PROSERPINE, à cheval. – Pluton , Dieu des enfers, est habillé de noir, avec une couronne, un sceptre à la main et des clefs de sa triste demeure. Proserpine est habillée de même que Pluton, son époux, avec les mêmes attributs.
LOU PICHOUN JUEC DEIS DIABLÉS, sans l’ange ni l’armetto. – LOU GRAND JUEC DEIS DIABLES. – NEPTUNE ET AMPHITRITE, à cheval. – Neptune, Dieu de la mer, est avec son trident. Amphitrite, femme de Neptune, porte deux dauphins à la main, pour désigner qu’elle est la déesse de la mer.
TROUPE DE FAUNES ET DE DRYADES, dansant au son des tambours, fifres, timpanons et palets. – Les faunes, divinités champêtres, et les dryades, qui président aux bois et aux forêts , sont caractérisés par les lierres qui bordent leurs habillements.
” PAN ET SYRINX, à cheval. – Pan, Dieu des bergers, est désigné poétiquement par des cornes sur sa tête, un habit de peau de bouc, des étoiles sur l’estomac, et jouant de la flûte dont il est l’inventeur. Syrinx, nymphe que le Dieu Pan poursuivit jusqu’au fleuve Landon, qui la protégea et la changea en roseau, a un roseau à la main.
” BACCHUS, Dieu de la treille. – Bacchus est dans un petit char, assis sur
un tonneau, tenant une coupe d’une main et un tyrse de l’autre (espèce de bâton dont il se servait pour faire couler des fontaines de vin).
” MARS ET MINERVE, à cheval. – Mars, Dieu des guerriers, est en casque, cuirasse, épée et bouclier. Minerve, autrement Pallas (qui n’est ici que comme déesse de la guerre), est en casque, bouclier et porte une lance à la main.
” APOLLON ET DIANE, à cheval. – Apollon est toujours désigné par sa lyre qu’il tient d’une main et un coq de l’autre ; cet animal lut avait été consacré. Diane, sœur d’Apollon, déesse de la chasse, porte un croissant sur sa tête, un arc et des flèches en mains et un carquois sur l’épaule.
LA REINO SABO et ses tambourins. – SATURNE ET CYBELLE, à cheval. – Saturne ou le temps, a une faux pour marquer que le temps détruit tout ; il porte aussi un serpent qui se mord la queue, formant un cercle, qui désigne la suite des années et des siècles. Cybelle, femme de Saturne, porte une tour sur sa tête pour représenter la terre; elle a un disque d’une main et une branche de pin de l’autre ; cet arbre lui était consacré.
LEIS GRANDS DANSAÏRÉS et leurs tambourins. – LEIS PICHOUNS DANSAÏRÉS. – LE GRAND CHAR , très brillant, dont le fond est fort élevé. – On v voit Jupiter, Junon, Vénus, Cupidon, les Ris, les Jeux et les Plaisirs. – Jupiter. maître du ciel et de la terre, est désigné par une couronne sur sa tête ; il a la foudre en main et un aigle, oiseau protégé par ce Dieu. Junon, reine des Dieux, femme de Jupiter, porte un sceptre doré et un paon, que l’on peint toujours à côté de cette déesse. Vénus est coiffée et habillée en déesse de l’amour ; elle porte un très grand bouquet de fleurs à la main. Cupidon, son fils, a l’arc et le carquois. Les Jeux, les Ris et les Plaisirs sont désignés par de jeunes enfants habillés de blanc, avec beaucoup de rubans couleur de rose, et de petites ailes, pour marquer qu’ils s’envolent bien vite ; ils sont tous armés de flèches. Ce char est suivi des trois Parques, à cheval ; elles ont toutes leurs attributs, pour désigner leur pouvoir sur la vie des hommes : Clothon tient la quenouille ; Lachesis fait tourner le fuseau : Atropos est armée de ciseaux pour couper le fil.
Cette marche est terminée par des tambours et des fifres. ” (Grégoire, pag. 129 à 136).
Voici ce que nous lisons dans le manuscrit intitulé : Mémoires pour servir au cérémonial de la ville, etc., dont nous avons parlé ci-dessus, pag. 80, note 1.
Le 14 juin 1775, veille de la Fête-Dieu, la ville, qui donnait le Guet à entreprise, l’a fait faire. J’en ai fourni le plan (c’est l’auteur du manuscrit qui parle) et je l’ai fait exécuter. Il a été applaudi. J’avais dit qu’il ferait le tour de la procession, avec cette différence que lorsqu’il serait au coin de la Miséricorde (sur le Cours), il descendrait aux Chevaux-Marins (à l’extrémité de cette promenade), et remonterait au coin de M. de Saint-André (où est aujourd’hui le cabinet littéraire de M. Richaud), et, de là, irait finir le tour. Mais les présidents du parlement ont prétendu avoir le droit d’exiger qu’il passât devant chez eux ;
il y a eut des conférences chez M. le premier président ; enfin M. le premier consul (le marquis de Vauvenargues) a dit : Messieurs, st vous prétendez que le Guet passe chez vous, comme en ayant le droit, jamais nous ne vous l’accorderons; mais s’il vous fait plaisir qu’il y passe, nous y consentons. Chacun sourit et tout fut fini.
Suit, dans le manuscrit, l’ordre de la marche du Guet, tel qu’on vient de le lire, et qui fut imprimé deux ans après par M. Grégoire, pag. 128 et suivantes; après quoi l’auteur continue :
Quand j’ai donne cette idée, ce n’a pas été pour le Guet, mais pour tâcher de relever la fête, s’il est possible. Je me suis pourtant conformé, autant que j’ai pu, à l’intention du roi René, qui a été de représenter. la veille, le paganisme détruit, le lendemain, par le christianisme.

On voit, par cette citation, qu’avant 1775 le Guet n’ était déjà plus tel qu’il a été depuis. En effet, que de changements devait avoir subi l’institution primitive dans le cours de plus de trois siècles ! Q’on en juge seulement par le petit livre de de Haitze, publié en 1708, intitulé : l‘Esprit du cérémonial d’Aix, en la célébration de la Fête-Dieu, et dont il y a eu trois éditions différentes, comparé avec celui de M. Grégoire qui a paru moins de 70 ans plus tard. Retour

15 Un honnête bourgeois d’une ville voisine, connue par la simplicité de ses habitants, vint, dit-on, à Aix, pour voir les jeux de la Fête-Dieu. Il ne trouvait de logement nulle part, les lits de toutes les auberges étant occupés par deux personnes ; enfin il en découvre un où un seul homme était couché ; mais cet homme était un Maure, et l’aubergiste, voyait bientôt à qui il avait affaire, en avertit le nouveau venu, en lui disant – Prenez garde à vous, monsieur, les Maures suent beaucoup pendant la nuit et communiquent leur couleur à ceux qui ont l’imprudence de les toucher. – N’importe, répondit le benêt. je me tiendrai sur le bord du lit, en tournant le dos à cet homme, en sorte que je n’aurai rien à craindre.-Soit, dit l’aubergiste en lui indiquant la chambre où reposait le Maure.- Réveillez-moi de grand matin, dit encore l’étranger, je veux aller voir la gageure des diables. – Oui, monsieur. Quand le pauvre hère fut endormi, un jeune marmiton s’approcha de lui avec le moindre bruit possible et lui passa légèrement sur la figure une plume de coq trempée dans de la suie. Le lendemain, au point du jour, on vient frapper à sa porte, comme il l’avait demandé. Il se lève, et passant devant le miroir de la chambre – Oh! oh ! dit-il, ce butor a réveillé le Maure ; recouchons-nous. Et sur cette réflexion il rentre dans le lit et se rendort. Retour

16 Ce fut, dit-on, le conseiller Gaspard de Venel qui leur fit cette plaisanterie. Il avait endossé des habillements pareils à ceux des diables, et s’étant mêlé avec eux pendant la messe de l’aurore, il leur fit une peur effroyable en leur persuadant que l’un d’eux était le vrai diable. – Voyez, sur ce facétieux personnage, ci-dessous, rue Venel. Retour

17 Ce dîner est composé de cinq soupes de riz et deux poules dans chaque soupe; – cinq pâtés de veau ou d’agneau de quatre livres de viande chacun;- cinq tourtes; – cinq pièces de veau rôti; – cinq plats de jambon coupé à tranches ; – cinq plats de saucissons; – cinq plats de beurre; – cinq plats de fraises avec du sucre; – cinq plats de recuites; – cinq plats de caillé avec du sucre; – cinq plats de cerises ou autres fruits, s’il s’en trouve; – du vin blanc, du vin rouge à la glace. – La table est de forme angulaire; il n’y a que des assiettes et des serviettes ; point de cueillers, ni couteaux, ni fourchettes, et point de chaises ni de bancs pour s’asseoir. ” (Grégoire, pag. 160). Retour

18 Ce dîner se compose de deux soupes et deux poules dans chaque soupe; deux pâtés; – deux pièces de veau rôti; – deux plats de jambon coupé à tranches ; – deux plats de saucissons ; – deux plats de beurre ; – deux plats de recuites; – deux plats de caillé; – deux plats de cerises – du vin blanc et du vin rouge à la glace. – Outre cette table, il y en a une autre dans le fond, couverte seulement d’une nappe, avec des assiettes et des serviettes ; elle est destinée pour les huissiers, auxquels on fait passer quelques plats de la grande table. – En arrivant dans la grande salle, tous les officiers de la sénéchaussée se rangent autour de la table avec les deux députés du chapitre il y a des chaises, des couteaux et des fourchettes. On présente quatre verres ; les deux députés en prennent un chacun, et les deux officiers de la tête de la sénéchaussée prennent les deux autres; on mange un morceau de pain, on choque les verres et on boit respectivement à la santé des deux compagnies. – Les députés retirés, on s’assied, on dîne en robe et l’on est servi par les gens du chapitre. (Grégoire, pag. 162 et 163). – On ne comprend pas pourquoi cette différence entre le cérémonial observé pour le parlement, les trésoriers de France, les consuls, etc., et celui-ci. Pourquoi les uns ont-ils des couteaux, des fourchettes, des chaises, etc., tandis que les autres n’en ont pas ? -Voyez ci-dessus, pag. 110 et suiv., le dîner que donnait anciennement le Prince d’amour. Retour

19 La cour des comptes, aides et finances, n’assistait point à cette procession; mais elle suivait celle qui avait lieu le jour de l’octave de la Fête-Dieu, où il n’y avait plus de jeux, ni Bazoche ni Abbadie, etc. Retour