Les Rues d’Aix – Rue du Séminaire


Les Rues d’Aix
ou recherches historiques sur l’ancienne capitale de Provence
par Roux-Alpheran en 2 tomes 1848 et 1851
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RUE DU SEMINAIRE

VANT la réunion du bourg Saint-Sauveur à la ville comtale, cette rue était un chemin public qui longeait le bourg du côté du levant. Une porte publique s’y ouvrait à l’extrémité de la rue de la Porte-Peinte et s’appelait le Portail d’Anchali, du nom d’une famille qui faisait sa demeure là proche et qui y possédait un four alors très fréquenté.
En remontant vers le nord à quelque distance de ce portail, existait, beaucoup plus anciennement, à peu près sur le sol aujourd’hui occupé par le palais archiépiscopal, l’hospice das Crotas ou de Crotis ; en sorte qu’après l’agrandissement de la ville par le quartier de Bellegarde, le chemin public devint une grande rue qu’on appela soit la rue das Crotas, soit la rue d’Anchali ou du Four d’Anchali. Plus tard on la nomma aussi la rue Matheron parce qu’elle est réellement la continuation de cette rue dont nous parlerons plus bas. Enfin, le cardinal Grimaldi, archevêque d’Aix, y ayant fait bâtir, en 1656, le grand Séminaire encore existant, le nom de cet important établissement est demeuré à cette partie de la rue Matheron.
Elle a toujours été fort bien habitée. Nous mentionnerons ci-après l’hôtel des marquis de Thomassin-Peynier faisant le coin de la rue Loubet. 1 Au-dessous de cet hôtel, en descendant vers la rue du Puits-Neuf, était la maison des Galice qui avaient fourni cinq magistrats aux cours souveraines de Provence, le premier desquels mourut doyen de la cour des comptes, aides et finances en 1608 ; et le dernier, doyen du parlement en 1765. Celui-ci avait fait peindre sur des Paravents qui existent encore, tous les jeux et la procession de la Fête-Dieu d’Aix ; peintures très remarquables par les figures et les costumes qu’elles représentent et qui mériteraient bien d’être conservées dans un établissement public tel que la bibliothèque ou le musée de cette ville. Puisse l’honorable propriétaire exaucer à cet égard les vœux de ses concitoyens dont nous osons ici nous dire l’interprète !
Du côté opposé, c’est-à-dire sur la ligne occidentale de cette rue, demeurait, au temps de la ligue, le fameux président Louis du Chaine, si recommandable par sa science et par son attachement à Henri IV. Le père Bougerel, de l’oratoire, a fait imprimer la vie de ce grand magistrat, 2 en sorte qu’il nous suffira d’en dire quelques mots. Né à Aix en 1543, il fut reçu conseiller au parlement en 1578, et président à mortier, huit ans après. Lorsque au mois de mai 1588, les habitants d’Aix signèrent la Sainte-Union, il se déclara ouvertement pour le parti du roi, et fut emprisonné dans l’archevêché, avec son collègue le président d’Estienne-Saint-Jean, 3 par ordre du baron de Vins, chef de la ligue en Provence, qui voulut, dit-on, se venger d ‘un soufflet qu’il en avait reçu un an auparavant. Mis en liberté, après environ vingt mois de détention, mais à la condition qu’il quitterait la ville, il se retira auprès de son beau-père, Nicolas de Bausset, gouverneur du Château d’If, non loin de l’entrée du port de Marseille, et contribua puissamment à maintenir cette place forte sous l’indépendance des ligueurs.
Cependant au mois de décembre 1591, il revint à Aix et rentra dans le parlement, quoique celui-ci fut entièrement dévoué à la ligue et au duc de Savoie, mais ce fut pour tâcher de ramener la compagnie à son devoir. Ses vœux furent accomplis au bout de deux ans. En effet, le mercredi 5 janvier 1594, dans l’après-midi, le parlement ligueur demeuré à Aix, entraîné par l’exemple qu’avaient donné, le matin, le conseil de ville et le corps de la noblesse, fit arrêt portant qu’on reconnaîtrait le roi de Navarre, Henri de Bourbon, pour légitime roi de France et comte de Provence, et lorsque le parlement royaliste, qui avait siégé successivement pendant six ans, à Pertuis, à Manosque, à Sisteron, puis encore à Manosque, se fut enfin réuni à celui d’Aix, au mois de juin de la même année, le président du Chaine, après avoir prêté serment de fidélité à Henri IV, entre les mains du conseiller Louis d’Antelmi, alors à la tête du parlement royaliste, reçut le même serment de tous les membres des deux corps réunis en un seul.
Louis du Chaine se lia depuis, de la plus étroite amitié avec le célèbre premier président Duvair, et celui-ci prononça son éloge à sa mort, arrivée le 25 avril 1613. 4 Il était alors âgé de soixante-dix ans, et avait été assesseur d’Aix en 1574-75, avant d’entrer au parlement. Il a laissé quelques ouvrages sur le droit, qui sont demeurés manuscrits. Louis du Chaine, son fils cadet, né à Aix, le 7 juillet 1589, pendant la détention de son père, fut sacré évêque de Sénez, en 1623, et se fit remarquer par sa charité, la régularité de sa conduite et sa grande érudition. Il mourut à Aix, le 1er mars 1671 et fut enterré dans l’église des Minimes, auprès de son père et de tous les siens. Cette famille s’étant éteinte, une branche de la famille d’Albert, également éteinte avait joint le nom de du Chaine au sien, et de cette branche était sorti Antoine d’Albert du Chaine, marquis de Fos Amphoux, célèbre marin, né à Aix en 1686, mort à Paris en 1751. Il était alors chef d’escadre depuis quatre ans, époque à laquelle une violente tempête l’ayant accueilli au sortir du port de Brest, et l’ayant porté seul et sans voiles au milieu de neuf vaisseaux anglais, il combattit pendant six heures avec une valeur incroyable, et ne se rendit qu’après avoir épuisé tous ses moyens de défense. Son éloge se trouve dans les mémoires de l’académie des sciences dont il était associé libre (année 1751 pag. 195 et suiv.). 5
Sur la maison au midi de celle des du Chaine on voyait encore, il n’y a pas vingt-cinq ans, un boulet de canon parti en 1593 du fort que le duc d’Epernon avait construit sur les hauteurs de Saint-Eutrope, lorsqu’il faisait le siège de la ville d’Aix. Ce boulet avait frappé apparemment contre cette maison et le propriétaire l’avait fait incruster extérieurement dans l’angle formant le coin des rues du Grand-Séminaire et de la Porte-Peinte. On a eu tort, selon nous, de l’enlever ; c’était un souvenir de plus de deux cent cinquante ans, qu’on aurait dû conserver comme monument curieux et inoffensif de nos anciennes guerres civiles.
En delà de la maison des du Chaine est celle qu’habitaient au XVIe siècle les Albi, seigneurs de Brès, tombés en quenouille en 1612, dans la famille d’Aimar de Châteaurenard qui a fini à son tour. Après les Albi, les Forbin, seigneurs de La Fare et de Sainte-Croix, cadets des Forbin-d’Oppède, ont possédé cette maison jusqu’au moment où ils ont quitté Aix (vers 1720) pour se retirer à Avignon où ils sont connus actuellement sous le titre de marquis des Issards. C’est ici qu’était né, en 1611, Vincent de Forbin-la-Fare, mort grand-prieur de Toulouse, en 1688, et enterré dans l’église de Saint-Jean d’Aix, où il avait fait bâtir une chapelle.
Entre cette maison et les bâtiments de l’archevêché, est un bel hôtel qui appartenait, en 1789, aux Fulque, marquis d’Oraison. C’est là qu’habitait, lorsqu’il venait à Aix, le duc de Guise (Charles de Lorraine), fils du Balafré, gouverneur de Provence depuis 1594 jusqu’en 1631 ; car ce prince faisait sa résidence presque habituelle à Marseille. En 1600, le conseil de ville acheta, pour être affecté au logement du gouverneur, cet hôtel 6 qui appartenait alors à Henri de Raffelis, nouvellement marié à Julie de Vincent-d’Agoult, dame de Rognes, dont les descendants ont pris le nom. Jean de Rafflelis, seigneur de Courmes et de Saint-Martin, père de cet Henri, et deux fois premier consul d’Aix, en 1579-80 et en 1595-96, l’avait acquis de la succession d’un célèbre avocat que son mérite avait fait entrer dans la magistrature. Boniface Pellicot, natif de Marseille, assesseur d’Aix en 1556-57, fut reçu conseiller au parlement en mai 1573, puis président à mortier en septembre de la même année, le roi lui ayant donné cette dernière charge en récompense de ses services, et il en jouit jusqu’à sa mort arrivée en 1585, dans la maison ou l’hôtel dont nous parlons. Boniface Pellicot avait rempli les fonctions de procureur-général auprès de la commission tirée du parlement de Paris, que Charles IX envoya en Provence, en 1564, pour remplacer momentanément le parlement d’Aix pendant son interdiction que les protestants avaient obtenue de ce prince. Ce fut le seul Provençal employé dans cette commission dont la durée ne fut que de huit mois.
Le duc de Guise s’était brouillé avec le cardinal de Richelieu, premier ministre sous Louis XIII, à raison de l’amirauté des mers du Levant depuis longtemps réunie au gouvernement de Provence. Le cardinal voulant d’une part remplir les coffres du roi, et de l’autre perdre son ennemi, donna commission à celui-ci de faire exécuter divers édits odieux aux Provençaux, notamment celui des Elus, espérant que la soumission du duc de Guise le perdrait dans l’esprit du peuple dont il était adoré, ou que sa résistance aux volontés de la cour indisposerait le monarque contre lui.
D’Aubray, maître des requêtes, fût envoyé dans ces circonstances en Provence, en qualité d’intendant, charge inconnue jusqu’alors dans notre pays, et arriva à Tarascon au mois d’avril 1630. Les esprits étaient singulièrement échauffés, tant à Aix que dans le reste de la province ; en sorte que d’Aubray ne se résolut à entrer dans cette ville que le 19 septembre. Il fut se loger à l’hôtel du duc de Guise que les consuls venaient de faire meubler convenablement, et peu d’instants après ils lui envoyèrent le présent d’honneur, consistant en confitures, en vins et en bougies. Le peuple ne doutant pas que d’Aubray ne vint pour mettre à exécution l’édit des Elus et pour effectuer la translation de la cour des comptes à Toulon dont on parlait depuis quelques jours, s’émut aussitôt, courut à l’Hôtel-de-Ville et se mit à sonner le tocsin à la Grande-Horloge. De là il fut investir la maison du premier président d’Oppède, à qui toutefois il n’arriva aucun mal, et celle de l’intendant qui eut bien de la peine à se soustraire à la fureur du peuple en s’esquivant, par le toit, dans la maison du conseiller de Forbin-la-Fare, voisine, comme nous l’avons dit plus haut, de l’hôtel de Guise. Un de ses valets reçut plusieurs coups d’épée, et les mutins s’étant emparés de ses principaux meubles et de son carrosse, les traînèrent sur la place des Prêcheurs où le tout fut brûlé publiquement aux acclamations de la populace.
Quant à l’intendant, les conseillers d’Agut et de Boyer, l’avocat-général Decormis et quelques autres, favorisèrent, à l’entrée de la nuit, son évasion, par la porte Notre-Dame, et l’accompagnèrent même jusqu’à Eguilles sous bonne escorte, en sorte qu’il en fut quitte pour la peur et pour la perte de son mobilier. Il se retira de là à Cavaillon d’où il écrivit à M. d’Agut la lettre suivante que celui-ci rapporte dans ses mémoires manuscrits : ” Je vous supplie d’excuser ma demeure 7 et de croire que j’aurai à jamais un ressouvenir de votre bienveillance et que vous avez beaucoup contribué à me garantir. Je ne puis rien faire pour votre service qui approche de ce bien. Je me dévoue entièrement à vous et aux vôtres et tiendrai à avantage si je puis faire paroitre en quelque occasion, le désir que j’ai, Monsieur, d’être à jamais votre très humble serviteur. ”
Nous avons déjà parlé et nous parlerons encore 8 des malheureuses suites de cette journée, telles que la révolte des Cascaveoux, le pillage de diverses maisons, la dévastation du bois de La Barben, etc., et nous mentionnerons, pour finir ce qui concerne cette rue, deux frères qui y étaient nés dans la maison qui fait le coin à droite avant d’entrer dans la rue du Puits-Neuf, en montant au grand Séminaire.
L’un est Jean-François-Pierre Peyron, né le 15 décembre 1744, mort à Paris, le 20 janvier 1814 ; peintre d’histoire distingué et habile graveur, reçu membre de l’académie de peinture en 1783, et directeur de la manufacture des Gobelins en 1785.
L’autre est Jean François Peyron né le 4 octobre 1748, mort à Goudelour, dans l’Inde, le 18 août 1784. Ce littérateur estimable avait traduit divers ouvrages de l’anglais et de l’espagnol ; mais il doit principalement sa réputation à ses Essais sur l’Espagne, voyage fait en 1777 et 1778, où il fait preuve de grandes connaissances dans les beaux-arts et en antiquités. L’éloge de ces deux compatriotes est consigné. dans la Biographie universelle de Michaud, ce qui nous dispense d’en parler plus longuement ici. 9

1 Voyez rue Loubet. Retour

2 Hommes illustres de Provence, pag. 103 à 126. Retour

3 François d’Estienne, seigneur de Monfuron et de Saint-Jean de la Sale, fut l’un des meilleurs jurisconsultes et des plus grands magistrats de son temps. Il fut successivement conseiller, président aux enquêtes, enfin président à mortier au parlement en 1585. Les fureurs de la ligue ne purent le détourner de son devoir et de la fidélité qu’il devait à ses légitimes souverains Henri III et Henri IV. Aussi fut-il proscrit dans sa ville natale et forcé de se réfugier à Avignon où il mourut le 2 octobre 1593 ; mais quatorze mois après, son corps fut apporté à Aix et enterré à St-Sauveur avec la plus grande magnificence. Son recueil d’arrêts et décisions du parlement d’Aix, imprimé sous le titre de Stephani Decisiones, etc. atteste encore ses vastes connaissances dans la science du droit. Sa postérité tomba en quenouille en 1664, dans la famille de Martiny, qui possède depuis lors la terre de Saint-Jean de la Sale (Sanctus-Joannes à Saliis) à une lieue d’Aix et qui a vendu, il y a peu d’années, la maison de ce magistrat située dans la rue de la Grande horloge, au coin de celle des Brémondi, à l’opposite de l’ancien hôtel de Châteaurenard ; maison remarquable principalement par sa belle façade rebâtie à la fin du XVIIe siècle, sur les dessins du célèbre Puget. – La perte d’une page de notre manuscrit, arrivée lorsque la dix-huitième feuille de ce volume était sous presse et dont nous ne nous aperçûmes pas dans le moment, fut cause d’une omission que nous réparons par cette note, autant qu’il peut dépendre de nous. Retour

4 Oeuvres de Duvair ; Paris, 1625, in-f°., pag. 776. Retour

5 Dans cet éloge, il est mal à propos nommé Charles au lieu d’Antoine, ainsi que dans le Dictionnaire des Hommes illustres de Provence, in-4°, tome 1, pag. 13. Retour

6 De cet hôtel dépendait alors un vaste et beau jardin, mais qui en était séparé par la rue das Crotas ou Matheron et qui occupait l’emplacement où a été bâti depuis le grand Séminaire. Voyez l’acte du 27 septembre 1600, reçu par Granier, notaire à Aix, dans l’étude de Me Pison. Retour

7 C’est-à-dire mon retard à vous écrire. Retour

8 Voyez ci-dessus, pag. 46 et 224 ; et ci-après, Place de la Plate-forme et rue Villeverte. Retour

9 Voyez aussi l’éloge du peintre, dans le Moniteur universel du 6 février 1814, n° 37, art. Nécrologie. Retour