Les Rues d’Aix – Rue de la Monnaie


Les Rues d’Aix
ou recherches historiques sur l’ancienne capitale de Provence
par Roux-Alpheran en 2 tomes 1848 et 1851
>>> Retour Accueil du Blog <<<

RUE DE LA MONNAIE

N lui donna d’abord le nom de rue du Cheval-Blanc à cause d’une auberge portant un cheval blanc pour enseigne, située anciennement, avons-nous dit ailleurs, 1 sur l’un des coins de la rue des Grands-Carmes et transférée plus tard dans celle-ci. L’établissement de l’Hôtel de la Monnaie dans la rue dont nous parlons, ainsi que nous allons le rapporter, fit donner à celle-ci, par le public, le nom de rue de la Monnaie qu’elle a porté pendant plus de cent ans concurremment avec l’autre ; enfin, depuis quelques années, l’administration parait l’avoir adopté définitivement, en quoi on ne saurait trop l’applaudir, puisqu’elle conserve par là le souvenir d’un établissement que nous avons perdu malheureusement comme tant d’autres.
Jusque vers le milieu du XVIe siècle, l’hôtel de la Monnaie fut situé dans la rue des Cordeliers, d’où il fut transféré, à cette époque, dans celle de la Haute-Tannerie, appelée aujourd’hui la rue de Magnan. En 1695, Pierre-Cardin Le Bret, premier président du parlement et intendant de Provence, agissant au nom du roi, et Daniel de Cosnac, archevêque d’Aix, convinrent de placer cet hôtel dans la rue du Cheval-Blanc, au quartier d’Orbitelle, et dans la maison d’un nommé Bouchaud, relevant de la directe de l’archevêque. C’est là qu’il a subsisté jusqu’à sa suppression en 1786. Les bâtiments furent vendus alors à Joseph Philippe Bonnet de la Beaume, conseiller au parlement, qui, les ayant fait abattre, fit construire sur leur emplacement le superbe hôtel duquel nous avons parlé plus haut, 2 et dont la principale façade est tournée aujourd’hui au midi, sur la rue du Bœuf.

On ne connaît pas précisément depuis quel temps on avait commencé à battre monnaie à Aix. Mais des lettres-patentes du bon roi René, de l’an 1467, portent que dans cette ville seulement on travaillera à la fabrication des espèces d’or et d’argent, et que les ouvriers se présenteront à la cour ordinaire d’Aix pour prêter serment de fidélité. Louis XII maintint ces dispositions en 1503, et depuis lors presque tous nos souverains les avaient confirmées successivement.
Plusieurs fois néanmoins, la ville de Marseille avait fait des tentatives pour attirer dans ses murs la fabrication de la monnaie. Ses prétentions avaient constamment échoué devant les privilèges de la ville d’Aix et les réclamations de la province ; mais elle les renouvela en 1784 et finit par obtenir, deux ans après, que l’hôtel de la fabrication serait transféré à Marseille et la juridiction conservée à Aix ; terme moyen qu’imagina le juste-milieu de ce temps-là. Telle fut la première violation de nos anciens priviléges, que d’autres violations bien plus funestes devaient suivre bientôt après. En vain, M. Siméon, 3 alors assesseur d’Aix, procureur du pays de Provence, fit-il adopter par l’assemblée des communautés tenue à Lambesc, au mois de décembre 1784, d’énergiques remontrances contre cette translation. ” L’hôtel des Monnaies, disait-il, 4 est établi à Aix comme tous les tribunaux souverains du pays, comme toutes les institutions utiles, le parlement, la cour des comptes, aides et finances, le bureau des trésoriers de France, l’université. On ne peut pas lui ôter l’hôtel des monnaies qu’on ne lui ôte la juridiction des monnaies, tandis que par un autre privilège toutes les juridictions du pays doivent avoir leur siége. Elle ne peut pas perdre l’hôtel et la juridiction des monnaies, que ses droits et sa possession touchant la séance des autres corps ne soient entamés. Dés lors, le moindre prétexte d’utilité générale, et il est aisé d’en supposer, lui enlèvera, après l’hôtel des monnaies, quelque autre établissement. L’exemple sera donné, et des privilèges déjà enfreints ne seront plus que d’inutiles garants.
La ville d’Aix ne se soutient que par les corps qui y sont établis. A la monnaie sont attachés plusieurs offices qui constituent l’état, la fortune de plusieurs familles. Elle donne lieu à un travail qui occupe divers artisans, qui procure un profit précieux dans une ville où les ressources sont si modiques. Marseille nous enlève, par sa position et par sa célébrité, tout le commerce que nous pourrions faire : qu’elle nous laisse au moins les établissements qui n’en sont qu’un faible dédommagement.
Sans doute, il serait plus commode à quelques-uns de ses habitants de trouver à leurs portes toutes les institutions auxquelles l’état de société a forcé de recourir. Ils voudraient bien ne pas venir plaider à Aix, comme ils voudraient ne pas venir y changer leurs espèces étrangères d’or et d’argent. Mais faut-il tout accumuler dans une même ville ? Si elle a tous les avantages, elle ruinera ses voisins. On a dit que les grandes villes sont le tombeau des campagnes : elles le sont bien plus encore des petites villes. Il est des principes d’une bonne administration de retenir dans celles-ci tout ce qui peut y fixer des habitants, y rappeler même une partie des richesses et de la population que les grandes villes absorbent. Le moyen est simple : c’est de multiplier, au moins de ne pas détruire, les rapports qui forcent les villes du premier ordre à recourir à celles du second. On regrette un court trajet de cinq lieues pour le transport et l’échange des matières d’or et d’argent de Marseille à Aix. Cette même dépense, qui ne se ressent pas dans la masse du commerce, tourne au profit d’une ville bornée où des objets, modiques dans une plus grande sphère, deviennent importants.
La ville d’Aix n’existe que par le produit de ses impositions sur les consommations. Tout ce qui diminue ses impositions la ruine. Tout ce qui lui enlèvera les établissements dont elle jouit, lui ôtera le concours des personnes qu’ils y attirent, lui fera perdre une partie des citoyens que les charges ou les offices lui donnent où lui conservent. ”
Sages et prophétiques paroles d’un bon citoyen qui, pendant tout le cours d’une longue vie et dans quelque position que la fortune l’ait placé, n’a cessé de consacrer son crédit et ses talents à la défense des intérêts de sa ville natale. Tout fut inutile. Les motifs les plus spécieux, tirés, dit-on, de l’intérêt général prévalurent. Désirons que de pareils motifs ne l’emportent pas aujourd’hui en faveur de la ville de Paris contre celle de Marseille, menacée à son tour de perdre cet établissement qu’elle nous a enlevé et qu’elle n’a guère possédé que pendant un demi-siècle, tandis que nous en jouissions auparavant depuis un temps immémorial.

1 Ci-dessus, pag. 156. Retour

2 Ci-dessus, pag. 277. Retour

3M. Joseph-Jérôme Siméon, duquel il est parlé ci-dessus, pag. 30 et 31. Un de ses derniers rapports à la chambre des pairs est celui qu’il fit le 26 juin 1838 à l’âge de quatre-vingt-neuf ans, sur le projet de loi tendant à autoriser les villes de Marseille et d’Aix à ouvrir, à leurs frais, des canaux dérivés de la Durance. Retour

4 Abrégé (imprimé) du cahier des délibérations de l’assemblée générale des communautés du pays de Provence, convoquées à Lambesc, au 5 décembre 1784, etc.., pag. 120 et suiv. Retour