Les Rues d’Aix – Rue Sainte Claire


Les Rues d’Aix
ou recherches historiques sur l’ancienne capitale de Provence
par Roux-Alpheran en 2 tomes 1848 et 1851
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RUE SAINTE-CLAIRE

N l’appelait anciennement la rue des Templiers, à cause des chevaliers du Temple, dont le premier établissement dans Aix fut fait en 1154, ou peu d’années auparavant. Nous avons parlé 1 de la chapelle qu’ils avaient fondée, sous le titre de Sainte Catherine, et qui a été démolie en 1787, pour la construction des prisons actuelles. Leur cloître était situé non loin de cette chapelle, et leurs écuries se trouvaient dans la rue dont nous parlons, d’où vient que tout ce quartier a porté pendant longtemps le nom de Puy de la Cavalerie.

En 1362, les religieuses de Sainte-Claire furent transférées dans une partie des bâtiments qui avaient appartenu aux templiers et donnèrent leur nom à cette rue. Elles avaient été fondées (suivant quelques auteurs en 1310, mais plus vraisemblablement en 1337, comme le rapporte de Haitze) par la reine Sanche d’Aragon, seconde femme de Robert d’Anjou, dit le Sage, roi de Naples et comte de Provence. Elles furent logées d’abord hors des murs et au levant de la ville, dans le quartier alors appelé lou galet cantant, à peu près où se trouve aujourd’hui le jeu de mail ; 2 mais les guerres survenues en Provence sous le règne de la fameuse Jeanne de Naples, petite-fille et héritière du roi Robert, furent cause de leur translation dans la ville.
Le 18 mai 1361, Jeanne Babote, abbesse de Sainte-Claire, attendu la guerre et ensuite de l’ordonnance du conseil de la maison de ville, du vouloir et consentement de Roger de Saint-Séverin, sénéchal, acheta deux maisons dans la ville, de Guillaume Neble, notaire, joignant celle dudit Neble et par derrière celle des hoirs de Rixende Michaelis, au prix de 500 florins d’or, saut le droit de l’hôpital Saint-Jean, à la cense de six sols à la Noël ; plus une autre maison contiguë par derrière aux précédentes, au prix de 50 florins, à la cense de seize deniers au même hôpital. 3
La reine Sanche leur avait donné sa couronne d’or, dont elles employèrent plus tard la matière à un ostensoir qu’on voyait encore dans leur sacristie, lors de leur suppression. On voyait aussi dans leur église quelques peintures gothiques et un petit tableau assez curieux représentant saint Louis, évêque de Toulouse, ayant à ses pieds le roi Robert, son frère, et la reine Sanche, sa belle-sœur. Ceux-ci avaient donné ce tableau, en 1340, aux religieuses qui, en quittant leur couvent, en firent cadeau aux présidents de Saint-Vincens. Il est actuellement dans le musée de la ville.
Deux grandes statues en pierre, représentant Robert et Sanche, existaient encore dans cette église et ont disparu lors de sa démolition, ainsi que deux bas-reliefs en pierre incrustés dans la partie extérieure du couvent en face de la rue des Marchands, et où étaient sculptés deux templiers à cheval armés et cuirassés. La perte de ces monuments est à regretter. On nous a assure qu’ils ont été enfouis dans les fondations de la maison neuve qui fait le coin de cette rue et de la rue Rifle-Rafle. Il ne serait donc pas impossible qu’on les retrouve quelque jour.
Dans l’épaisseur du mur de l’église de Sainte-Claire, du côté de l’évangile reposait le corps du bienheureux Jacques Forestier, religieux franciscain, natif d’Aix, confesseur et directeur de ces religieuses, mort le 16 décembre 1387 et dont les annales de l’ordre de saint François parlent honorablement. Les clefs de son cercueil étaient conservées à l’Hôtel-de-Ville par MM. les consuls, et sa mémoire a été, pendant 400 ans, dans la plus haute vénération à Aix, à cause d’une grande quantité de miracles qui, par son intercession, s’étaient opérés sur son tombeau, ce qui était attesté par les nombreux ex-voto suspendus à son entour.
Ce saint homme appartenait à une famille de cette ville, pins distinguée par sa probité que par ses richesses et qui s’est éteinte en mâle, au mois d’avril 1811, en la personne de Jean-Pierre Forestier, honnête artisan que nous avons connu. Sa veuve et ses filles, qui vivent encore, n’ont pu nous dire où furent portés les ossements de leur saint parent, lors de la démolition de l’église qui les renfermait. Elles croient, sans en être assurées, que ce fut dans l’église des Minimes ; d’autres personnes nous ont dit que ce fut dans celle des Cordeliers et d’autres à Saint-Sauveur. Ce qu’il y a de plus certain, c’est que cette famille possède encore un grand carton sur lequel sont écrits à la main une trentaine de vers français composés à la fin du XVIe siècle en l’honneur du bienheureux Forestier; ce carton, qui était resté suspendu pendant deux cents ans dans l’église de Sainte-Claire, fut donné par les religieuses, lors de leur destruction, aux derniers neveux du directeur de leurs devancières.
Voici une anecdote de l’année 1611, concernant les religieuses de Sainte-Claire, qui peint bien l’esprit du temps. Il faut se rappeler qu’en cette même année on vit s’élever sur la place des Prêcheurs, le bûcher du prêtre Louis Gaufridi brûlé comme sorcier et magicien.4 Peu de mois après, les bonnes religieuses s’imaginèrent que les esprits malins s’étaient emparés de leur couvent. Elles demandèrent à en sortir, et avec la permission du parlement et de l’archevêque, elles se mirent en marche, le jeudi 20 octobre, à une heure après minuit, rangées en procession et accompagnées par les PP. Observantins. Elles se retirèrent à l’archevêché pour y demeurer, disent les registres de Saint-Sauveur, jusqu’à ce que Dieu, par sa bonté et miséricorde, y eut mis la main, en les délivrant des troubles et infestations des démons.
Le lendemain les consuls suivis d’un grand nombre de personnes de distinction, furent prier le chapitre d’ordonner des processions pour la guérison de ces nones, ce qui leur fut accordé, et pendant trois jours consécutifs le chapitre mena processionnellement après lui, dans toute la ville, les consuls et le public qui s’intéressaient de bonne foi à la triste situation de ces religieuses. Le 25 mars 1612, jour de l’Annonciation, une nouvelle procession eut lieu, et le vendredi 17 avril, à dix heures du soir, les religieuses, munies de la bénédiction de l’archevêque, rentrèrent dans leur couvent que les démons avaient heureusement abandonné.
Le monastère de Sainte-Claire fut supprimé par arrêt du conseil d’Etat du roi, du 22 septembre 1787, suivi d’un décret de Mgr. l’archevêque d’Aix, du 13 février suivant. Quelques années plus tard il eût subi la loi générale et eût été détruit comme tous les autres établissements religieux de cette ville. De belles maisons et une partie des prisons actuelles ont été bâties sur son emplacement, et c’est à peine si l’on en aperçoit encore quelques vestiges.
M. Arnoux, propriétaire de l’une de ces maisons, possède une petite statue en pierre à laquelle on a coupé la tête, mais qu’à la robe et au cordon de saint François, on reconnaît pour être celle du père Forestier. Il possède aussi le fragment d’un pendentif d’arceau où sont sculptées les armes de la maison d’Anjou Sicile, qui sont d’azur, semé de fleurs de lis d’or, au lambel de gueules de quatre pièces. Cet écu est soutenu par le bras d’un personnage dont la tête a été mutilée.

 

1 Pag. 18 Retour

2 Leur habitation se trouvait, dit-on, là même où est ce pâté de maisons qui subsiste aujourd’hui au fond de la ruelle située hors la ville, à peu de distance et en face de la porte de la Plate-Forme. Retour

3 Archives du prieuré de Saint-Jean, au primum sumptum de Jacques de Velaux, notaire. Retour

4 Voyez ci-après, rue Peiresc et Matheron. Retour