Les Rues d’Aix – Rue de l’Ancienne Magdelaine


Les Rues d’Aix
ou recherches historiques sur l’ancienne capitale de Provence
par Roux-Alpheran en 2 tomes 1848 et 1851
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RUE DE L’ANCIENNE-MAGDELAINE

ETTE rue a été percée en 1792 sur l’emplacement de l’église paroissiale de Sainte-Magdelaine, détruite à cette époque et d’où le culte paroissial avait été transporté (par le clergé constitutionnel), depuis le 7 mai de l’année précédente, dans l’église des religieux Prêcheurs ou Dominicains, ou il est encore exercé aujourd’hui.
Très anciennement, cette paroisse, la seule de la ville comtale, était située hors des murs, au lieu à peu près où est actuellement l’hôtel de la Mule-Noire, au levant du Pont-Moreau ; mais vers le milieu du XIVe siècle, on l’avait transférée dans la ville, au midi du palais de nos comtes, et moins de cinquante ans plus tard , elle fut rebâtie sur le même local , par les soins et en grande partie par les libéralités de Guigonnet Gerente ou Jarente seigneur de Monclar et de Gémenos.
Guigonnet avait été l’un des plus zélés partisans de la seconde maison d’Anjou, lorsqu’elle s’établit en Provence, après la mort de la reine Jeanne. Il était secrétaire rational et archivaire depuis 1366, lorsque cette princesse le fit son avocat et procureur fiscal en 1378, puis maître-rational en 1380. Le journal manuscrit de Jean Lefèvre, évêque de Chartres, 1 chancelier de Louis 1er et de Louis II d’Anjou, rois de Naples et comtes de Provence, nous représente Guigonnet comme un homme infatigable, sans cesse en mouvement pour faire triompher la cause de ces princes contre Charles de Duras, le meurtrier et le successeur de la reine Jeanne, sa bienfaitrice, alors seul héritier de la première maison d’Anjou, qui occupait le trône de Naples.
La ville d’Aix et quelques autres avaient formé, en faveur de ce prince, une ligue connue dans l’histoire de Provence, sous le titre d’Union d’Aix, laquelle résista longtemps aux efforts de ses compétiteurs. Mais Charles de Duras étant mort, cette ligue se soumit enfin à Louis II et à la reine Marie de Blois, sa mère et sa tutrice, qui firent leur entrée solennelle dans Aix, le 21 octobre 1387. Guigonnet Jarente se fit remarquer plus tard par sa prudence et la sagesse de ses conseils dans la guerre contre Raymond de Turenne qui eut lieu pendant les dernières années de ce siècle.
C’est à cette même époque qu’il contribua puissamment à la reconstruction de l’église paroissiale de Sainte-Magdelaine ; mais il ne survécut pas longtemps à cette reconstruction. Il mourut le 20 janvier 1401, et fut inhumé dans le sanctuaire de cette église au pied du maître-autel. Il était représenté en habit de maître-rational sur le marbre qui couvrait sa tombe et on y lisait son épitaphe. L’une et l’autre furent respectées et rétablies dans le même état, lors d’une nouvelle construction de cette église à laquelle on voulut donner une étendue plus considérable en 1676.
On y voyait encore, lors de sa démolition en 1792, quelques autres tombes et épitaphes, parmi lesquelles nous citerons celles de Cola de Castillon, seigneur de Beynes et de Cucuron, maître-rational, mort en 1461 ; de Gervais de Beaumont, premier président du parlement, mort en 1529, dans sa terre de Fonscolombe, à l’âge de cent trois ans ; et de Balthazar de Jarente, archevêque d’Embrun. Celui-ci, descendant de Guigonnet, était chanoine d’Aix , lorsqu’il fut nommé premier président de la chambre des comptes de Provence en 1515. François 1er l’avait envoyé à Rome pour traiter de la paix avec Charles-Quint, et le nomma à son retour, en 1531, à l’évêché de Vence, d’où il fut transféré, en 1540, sur le siége de Saint-Flour. Mais le trouvant trop éloigné d’Aix où sa charge de président réclamait sa présence, il le fit passer, en 1551, à l’archevêché d’Embrun. Balthazar de Jarente fit de grands biens à son église cathédrale, qu’il avait le dessein d’achever et dont il avait déjà fait commencer le portail ; à celle d’Aix, dont la nécrologie a conservé de lui un souvenir honorable, et à cette église de Sainte-Magdelaine où il fut enterré en 1555. Il avait fait construire une partie des bâtiments de l’hôpital Saint-Jacques d’Aix, et fait dans cette ville quelques autres fondations dont nous aurons occasion de parler.
Parmi les familles nobles ou bourgeoises qui avaient leur sépulture dans cette église et qui sont éteintes ou se sont transplantées ailleurs, nous citerons les d’André , les Aycard, les Bardon et les Beaumont, les Clavier, les Fregier, les Geoffroy et les Guelton, les Joannis, seigneurs de Châteauneuf et de la Brillane, les Julien et les la Rouvière, les Lévêque, seigneurs de Rougiers et de Saint-Etienne, les Miollis et les Moricaud , les Rabasse, seigneurs de Vergons, qui avaient fourni sept procureurs-généraux au parlement, de père en fils, depuis 1554 jusqu’en 1728, les Ravel, les Rici et les Tisati.
Enfin, sur les piliers du sanctuaire de l’église de Sainte-Magdelaine, on voyait les mausolées et épitaphes de MM. le Bret père et fils, successivement premiers présidents du parlement et intendants de Provence, morts l’un en 1710, l’autre en 1734 ; et au bas de l’église, sur la gauche du bénitier, était la tombe de notre illustre peintre Jean-Baptiste Vanloo, avec cette inscription noble et simple : hic jacet Vanloo. 2
On y trouvait aussi quelques tableaux de Jean Dard, de Jean-Baptiste Vanloo et d’André Bardon, ainsi que cette belle statue en marbre de la sainte Vierge, ouvrage de Chastel, que les connaisseurs voient encore avec admiration dans l’église paroissiale actuelle.
Au midi et à peu de distance de cette ancienne église paroissiale, se trouvait celle des religieux Grands-Carmes, fondée en 1359 et dont une partie subsiste encore comme entrepôt de boiseries. On y voyait au moment de la révolution quelques bons tableaux de Daret, de Mignard d’Avignon et de Serre, dont la plupart ornent actuellement nos églises. Le plafond, peint par Daniel et par ses filles, vers la fin du XVIIe siècle, était estimé. Il était divisé en trois parties qui représentaient : l’une, Elie montrant à son disciple un nuage sortant de l’horizon ; l’autre, le même Elie enlevé au ciel ; et le troisième, la transfiguration de Notre-Seigneur.
Le mausolée d’Auguste de Thomas, marquis de Villeneuve, baron de la Garde, mort en 1698, second président du parlement, était l’ouvrage d’Antoine Duparc, sculpteur distingué de Marseille. Derrière le maître-autel on voyait trois statues en pierre dorée, représentant les trois Maries que le roi René avait données à cette église. Blanche d’Anjou, fille naturelle de ce bon prince et quatrième femme de Bertrand de Beauvau, baron de Precigny, morte à Aix, le 16 avril 1470, à l’âge de vingt ans, était enterrée dans une chapelle près du chœur. Son épitaphe seule a été conservée et l’on peut la voir incrustée dans le mur du fond du cloître de Saint-Sauveur. Mais la statue de la princesse qui était couchée sur le tombeau a disparu à la révolution comme tous les monuments dont nous venons de parler et les peintures de Daniel. Cette statue méritait cependant d’être conservée comme pouvant être utile à l’histoire de l’art en Provence au XVe siècle. La robe de la princesse était semée mi-partie de lionceaux qui sont les armes de Beauvau, et mi-partie de fleurs de lys et de croix de Jérusalem, pièces des armes d’Anjou-Sicile.
La chapelle du roi René, dont les entrailles y étaient déposées sous une petite grille de fer, formait sans doute ce qu’il y avait de plus curieux dans l’église des Carmes. Ce bon prince y entretenait huit chantres, excellents musiciens, qu’après sa mort Louis XI, son neveu, roi de France, envoya chercher, en leur donnant de gros gages, pour chanter chaque jour, à sept heures du matin, une grand’messe qu’il avait fondée en l’honneur de saint Jean dans la sainte chapelle de son palais royal à Paris. 3 Le tableau de l’autel était celui qu’ou voit aujourd’hui dans la grande nef de Saint-Sauveur, représentant le buisson ardent au milieu duquel se trouve la sainte Vierge tenant l’enfant Jésus au bras, et sur les deux côtés, au pied de l’arbre, Moïse et un berger. Sur l’un des deux volets qui recouvrent le tableau, sont peints le roi René, la Magdelaine, saint Antoine et saint Maurice ; et sur l’autre, la reine Jeanne de Laval, seconde femme de René, saint Jean l’évangéliste, sainte Catherine et saint Nicolas. Sur l’extérieur des volets sont, d’un côté, la vierge Marie et de l’autre l’ange Gabriel qui lui annonce la volonté du Très-Haut.
Une tradition de plus de trois siècles que Millin 4 et d’Agincourt 5 n’ont pas cherché à contester en parlant de ce précieux tableau, l’attribue au roi René ; et si Millin est moins positif dans ce qu’il en dit, d’Agincourt n’hésite pas à reconnaître qu’il a été peint par notre bon roi. Cependant quelques connaisseurs venus après ces maîtres de l’art, répudient la tradition et veulent que Jean Van-Eyck, dit Jean de Bruges, soit l’auteur de ce tableau. Inutilement leur dirions-nous que Van-Eyck était mort au plus tard en 1450, c’est-à-dire au moins cinq ans avant le mariage du roi René avec Jeanne de Laval ; ils n’en réimprimeront pas moins obstinément leur importante découverte dans les futures éditions de leurs ouvrages.
Dans la sacristie des Carmes se trouvait cet autel curieux qui est maintenant à Saint-Sauveur, duquel nous avons parlé plus haut 6 et qui fut érigé par Urbain Aygosi en 1470.
Honoré Bouche, ce laborieux historien à qui tous les auteurs qui ont écrit sur notre pays ont tant d’obligations, quelques peines qu’ils se donnent pour décrier son style, Honoré Bouche fut enterré dans cette église le 16 mars 1671, et non dans l’église des Carmes-Déchaussés, comme il est dit dans le Dictionnaire des Hommes illustres de Provence. 7 Bouche était né à Aix, le 27 mai 1599, de Balthazar Bouche, bourgeois de cette ville, 8 et de Louise Meyronnet. Son principal ouvrage est la Chorographie ou Description de la Provence et l’Histoire chronologique du même pays, en 2 volumes in-f°, auxquels il ajouta depuis des additions et corrections. Il donna gratuitement son manuscrit à la province qui le fit imprimer à ses frais, 9 avec les éloges que l’auteur méritait. Ses autres ouvrages dans lesquels il soutient la tradition des Provençaux sur l’arrivée de sainte Magdelaine, de saint Lazare et autres dans notre pays, contre l’opinion du célèbre Launoy, ne lui firent guères moins d’honneur ; mais ils sont aujourd’hui à peu près oubliés et ils sont devenus assez rares. 10
Les principales familles qui avaient eu leur sépulture aux Grands-Carmes étaient les Aygosi, les Azan, les Badet, seigneurs de Gardanne, les Barrigue, seigneurs de Fontainieu et les seigneurs de Montvalon, du même nom ; les Bouchard, les Bouche, les Chailan, Seigneurs de Mouriez et les Chantre ; les marquis d’Espinouse, les barons de Limaye et autres du nom de Coriolis ; les d’Escalis, barons d’Ansouis, seigneurs de Bras et de Saint Martin, les Farges, les Fauris, seigneurs de Saint-Vincens , de Noyers et de Saint-Clément, les Figuières et les Franc, les Garde, seigneurs de Saint-Marc, depuis barons de Vins, les Gibert, les Jorna , les Isoard , seigneurs de Chenerilles et les Lyon-Saint-Ferréol, les Maynier des anciens seigneurs de Saint Marcel Francfort 11 et les Mark-Tripoli-Panisse-Pazzi, les Michaëlis qui s’étaient divisés en une foule de branches dont aucune n’existe plus, les Piolenc, les Puech, les Séguiran et les Tabaret. C’est par l’énumération de ces familles et de celles dont nous parlerons à l’occasion des autres églises où elles étaient enterrées, que nous pouvons faire connaître à nos lecteurs l’étendue des pertes que la ville d’Aix a faites en ce genre, puisqu’on n’y rencontre aujourd’hui qu’un si petit nombre de ces familles.

1 Ce journal, extrêmement curieux pour l’histoire de Provence à la fin du XIVe siècle, est demeuré manuscrit et se trouve en original à Paris dans la bibliothèque du Roi. A l’exception de Papon, aucun de nos historiens du pays ne l’a connu et Papon même y a puisé fort peu de chose. Il en existe trois copies à Aix : la première, à la bibliothèque Méjanes ; la seconde, dans celle de M. Rouard ; et la troisième, dans la nôtre. Ce qui y est rapporté sur l’Union d’Aix et les personnages qui y avaient joué un rôle, tels que Guigonnet Jarente, Arnoux la Caille, depuis prévôt de Saint-Sauveur, et autres, prouve combien Bouche, Pitton et de Haitze ont erré dans ce qu’ils ont dit sur cette union. Retour

2 Nous citerons encore parmi les morts qui avaient été enterrés dans cette église Louis Sube, décédé le 10 juin 1678, à l’âge de cent dix ans; Antoine-Jacob de Montfleury, avocat au parlement de Paris, auteur de plusieurs comédies au nombre desquelles on distingue la Fille capitaine et la Femme juge et partie, que la mort surprit à Aix, le 11 octobre 1685 ; et Anne-Marie Maynery, veuve de Gaspard de la Perousse, gouverneur du Cap-Nègre, morte au mois d’octobre 1770, âgée de cent ans et huit mois, ce qui ne se voit, pas souvent dans cette ville. Retour

3 Voyez les Chroniques d’Enguerran de Monstrelet, etc., Paris, 1595, in-f°, tom. III, aux additions, règne de Louis XI, pag. 73 ; et l’Histoire agrégative d’Anjou, etc. par Bourdigué, Paris, 1529, in-f° fol. 174. Retour

4 Voyage dans le Midi de la France, tom. II, pag. 339 et suiv. Retour

5 Histoire de l’art par les monuments, etc., tom. III, pag. 158 et 159 ; planche CLXVI. Retour

6 Pag. 144. Retour

7 Tom. 1er, pag. 113. – Balthazar Bouche, son frère aîné, deux fois dernier consul d’Aix, en 1635-36 et en 1647-48, était né en cette ville le 21 décembre 1591, et fut enterré dans la même église des Grands-Carmes, le 5 mars1669. Sa constance et sa fermeté pour le soutien des libertés du pays contre les entreprises du ministère, lui valurent les honneurs de la persécution et le glorieux surnom de Martyr de la patrie. Voyez le même Dictionnaire des Hommes illustres de Provence, tom. 1er, pag. 114. Retour

8 Celui-ci était originaire de Puymoisson , près de Riez. Il avait un oncle François Boqui ou Bouche, chanoine de Saint-Sauveur à Aix qui, étant allé voir sa famille à Puymoisson, y fut tué par ” les libertins de la nouvelle religion ” en 1574, et pour lequel il fut fait ” le cantar du bout de l’an “, le 17 août 1575 – (Voyez le registre des morts enterrés à Saint-Sauveur, de 1544 à 1629). Retour

9 Aix, Charles David, 1664. Retour

10 Vindicœ fidei et pietatis Provinciœ pro cœlitibus illius tutelaribus restituendis ,etc., Aix, Jean Roize, 1644, petit in-8°. La Défense de la foi et de la piété de Provence pour ses saints tutélaires Lazare et Maximin, Marthe et Magdalene, etc., Aix, Jean-Baptiste et Etienne Roize, 1663, in-4° – Voyez la Biographie universelle de Michaud, tom. V, art. Bouche, pag. 266. Retour

11 Parmi ceux-ci, nous mentionnerons Balthazar de Maynier, fils d’Honoré et d’Anne de Guerin, né à Aix le 15 décembre 1639, mort le 12 janvier 1733, à l’âge de quatre-vingt-treize ans un mois ; auteur de l’histoire de la principale noblesse de Provence. Aix, David, 1719, in-4°, suivie d’un Nouveau Etat de Provence. Avignon, Chastel, 1728, in-4°.- Balthazar de Maynier avait composé aussi une Histoire du Parlement d’Aix qui est demeurée manuscrite ; mais ce n’est qu’une mauvaise copie de celle de Louvet. Retour