Les Rues d’Aix – Rue du Louvre


Les Rues d’Aix
ou recherches historiques sur l’ancienne capitale de Provence
par Roux-Alpheran en 2 tomes 1848 et 1851
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RUE DU LOUVRE

UOIQUE cette rue n’ait guère que deux siècles d’existence, elle est néanmoins connue sous cinq ou six noms différents : rue de Notre-Dame des Anges ou de Notre-Dame d’Embrun, à cause d’une petite chapelle détruite en 1750, qui était située au coin de cette rue en entrant dans celle de Saint-Jean ou d’Italie, fondée vers le milieu du XIVe siècle, par Raymond d’Agoult, grand-sénéchal de Provence, et bénie en 1368, par Giraud ou Gérard de Posilhac, archevêque d’Aix, puis réparée en 1555, par Balthazar de Jarente, archevêque d’Embrun et grand président de la chambre des comptes de Provence ; rue de la Torse ou du Tholonet, parce qu’elle fut bâtie sur l’ancien chemin qui conduisait au ruisseau de la Torse et à la terre seigneuriale du Tholonet ; rue du Louvre, du nom d’une grande et magnifique hôtellerie construite vers le milieu de sa ligne méridionale, à l’enseigne du Louvre ; rue des Pénitents-Blancs, à cause des Pénitents de cette couleur, établis en 1573, dans l’église des Grands-Carmes, d’où on les appelait les Pénitents des Carmes, et transférés en 1654 dans cette rue où ils occupent encore leur église ; enfin, rue de l’intendance, parce que depuis environ un siècle avant la révolution, MM. Le Bret, père et fils, et après eux, MM. des Galois de La Tour, père et fils, tous les quatre successivement intendants de Provence et premiers présidents du parlement, y avaient fait leur habitation dans l’ancien hôtel du Louvre.
Lorsqu’on a renouvelé, il y a moins de trente ans, les écriteaux portant les noms des rues, on a donné à celle-ci le nom de rue du Louvre, tandis qu’elle était bien plus connue sous celui de l’Intendance, qu’on aurait beaucoup mieux fait, par conséquent, de lui donner définitivement. On aurait par là, ce nous semble, conservé deux souvenirs à la fois : celui d’un établissement important que la ville d’Aix a perdu sans retour ; et celui du dernier intendant, grand et intègre magistrat qui a joui pendant tout le cours de sa vie, de l’estime des honnêtes gens, témoin cette médaille que l’assemblée des communes de Provence lui décerna en 1788, et sur laquelle on lit cette inscription, bien remarquable pour le temps, ainsi que le dit la Biographie universelle de Michaud : 1

LE TIERS-ETAT DE PROVENCE
A CHARLES-JEAN-BAPTISTE DES GALOIS DE LA TOUR,
INTENDANT DU PAYS,
SON AMI DEPUIS PLUS DE QUARANTE ANNÉES.

En vain les révolutionnaires, qui préludaient au renversement de l’autel et du trône, brisèrent-ils plus tard les coins de cette médaille et abreuvèrent-ils M. de La Tour de calomnies et d’outrages, sa mémoire leur a survécu pure et sans tache, tandis que la leur…..
Le 30 juin 1777, M. de La Tour eut l’honneur de recevoir dans son hôtel Monsieur, dit le comte de Provence, frère du roi Louis XVI, qui a depuis été roi, sous le nom de Louis XVIII. Ce prince arriva sur les sept heures du soir et fut harangué par M. l’assesseur, à la porte de la ville, qu’on avait construite au bout du Cours. Après la harangue, il descendit de son carrosse et on lui présenta le dais qu’il refusa. Il se rendit à pied à l’Intendance, marchant seul et suivi par les consuls et assesseur, la noblesse et les seigneurs de sa suite, le conseil de ville et une foule immense de peuple qui faisait retentir l’air de ses acclamations. Le corps des marchands, à cheval et en uniforme rouge, et le corps des épiciers, aussi à cheval et en uniforme bleu, étaient allés à la rencontre du prince, et les deux bataillons du régiment d’Artois bordaient la haie de chaque côté, depuis l’Intendance jusqu’à l’entrée de la ville. Des guirlandes en buis liaient les arbres du Cours de l’un à l’autre, et toutes les fenêtres étaient garnies de dames richement parées, poussant des cris de joie et de vive Monsieur ! qui touchèrent vivement ce prince.
A dix heures du soir, il vint se promener sur le Cours, toujours aux acclamations d’un peuple immense, avide de contempler ses traits. C’est ainsi que trente-sept ans plus tard, nous avons vu son auguste frère, Mgr le comte d’Artois, qui a été depuis l’infortuné Charles X, accueilli dans nos murs avec un enthousiasme qui tenait du délire, par une population toujours heureuse quand elle peut faire éclater son amour pour le sang de saint Louis et d’Henri IV….. Le lendemain, à midi, Monsieur alla entendre la messe dans l’église des Prêcheurs (aujourd’hui Paroisse Sainte-Magdeleine) et vers les quatre heures du soir, il partit pour Marseille.
Le 10 juillet, dans l’après-midi, il retourna, venant de Toulon, et entra dans la ville par la porte Saint-Jean. On voulut lui faire voir les jeux de la Fête-Dieu, l’Abbadie, la Bazoche et le Lieutenant de Prince ; à cet effet, il eut la complaisance de se rendre, à six heures, à l’hôtel de M. du Poët, conseiller au parlement, situé à la tête du Cours en face de la grande allée. Ce spectacle l’amusa beaucoup, à ce que rapportent les mémoires du temps, et il distribua aux jeux vingt louis en témoignage de sa satisfaction. De là, il vint à la comédie, et plus tard au bal paré qui fut donné à son occasion et où l’on remarqua les costumes les plus riches et les plus brillants.
Le lendemain matin, il alla entendre la messe à Saint-Sauveur, traversant la ville à pied, au milieu de la foule toujours plus empressée autour de lui ; après quoi il monta en voiture et sortit de la ville par la porte Notre-Dame, pour aller dîner à Cavaillon.
Pendant son séjour à Aix, en allant et en venant, il avait mangé en public, ayant derrière lui M. de La Tour occupé à le servir, la serviette sous le bras. Le prince était placé seul au bout de la table, et les personnes de sa cour qui mangeaient avec lui, ainsi que M. le marquis de Méjanes, alors premier consul d’Aix, étaient assises sur les deux côtés et à l’autre bout de la table, au nombre d’une quinzaine environ. Nous avons oublié de dire que le jour de son arrivée, il avait reçu, à l’Intendance, les harangues du parlement, de la cour des comptes, aides et finances, et de toutes les autres autorités.
Mgr Etienne-Jean-Baptiste-Louis des Galois de La Tour, fils aîné du dernier intendant de Provence dont nous venons de parler, naquit dans cet hôtel le 2 juin 1750, et fut reçu conseiller au parlement d’Aix en 1770, à l’âge de vingt ans. Ayant embrassé plus tard l’état ecclésiastique, il fut nommé, en 1788, à l’évêché de Moulins, érigé à cette époque et dont il ne prit jamais possession à cause des troubles de la révolution qui ne tardèrent pas à éclater. En 1817, il fut pourvu de l’archevêché de Bourges, fut sacré en cette qualité deux ans après et mourut à Bourges le 20 mars 1820, ayant vécu trop peu de temps pour accomplir le bien qu’il méditait. Vers la fin de 1816, il avait passé à Aix, chargé de l’honorable mission du roi Louis XVIII, de ramener en France les dépouilles mortelles des tantes du roi, Mesdames Adélaïde et Victoire de France, filles de Louis XV, mortes à Trieste en émigration en 1799. A leur passage à Aix, une messe solennelle de Requiem fut chantée à leur intention dans l’église métropolitaine de Saint-Sauveur, à laquelle assistèrent toutes les autorités constituées, les deux corps des princesses défuntes présents, ainsi que M. l’abbé de La Tour, ancien aumônier de Mesdames.
En 1808 ou 1809, sous la mairie de M. de Saint-Vincens, quelques réparations furent faites dans l’ancien hôtel de l’Intendance. En abattant un vieux tuyau de cheminée adossé au mur d’une mansarde abandonnée depuis longues années, on découvrit le squelette d’un corps humain placé debout le long de ce tuyau. Ce squelette était-il celui d’un voyageur mort misérablement par suite d’un crime dans l’hôtellerie du Louvre, ou celui d’un criminel d’Etat qu’on aurait fait disparaître plus tard clandestinement par ordre supérieur ? C’est ce qu’il était impossible de savoir lors de cette découverte et ce qu’on ne saura probablement jamais. L’anecdote n’en est pas moins certaine et très peu de personnes en eurent connaissance à cette époque.
L’avant-dernière maison de cette rue, à droite en montant et sur la même ligne que l’ancien hôtel du Louvre, puis de l’Intendance, est celle où est né, le 13 décembre 1802, Mgr Joseph-Hippolyte Guibert, d’abord vicaire-général d’Ajaccio, préconisé évêque de Viviers le 24 janvier 1842, et sacré à Marseille le 6 mars de la même année, lequel occupe très dignement aujourd’hui le siége que la Providence lui a confié.

1 Tome XLVI, pag. 346 et 347. Retour