Les Rues d’Aix – Rue des Ménudières


Les Rues d’Aix
ou recherches historiques sur l’ancienne capitale de Provence
par Roux-Alpheran en 2 tomes 1848 et 1851
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RUE DES MÉNUDIERES

LLE est ainsi nommée, à cause que les charcutiers y exerçaient leur profession très anciennement. Charcuter se dit en latin minutatim concidere, d’où est venu le mot provençal Ménudières appliqué aux saucisses, saucissons, cervelas et autres pâtes de viande qu’apprêtent les charcutiers.
En 1590, la ville était entièrement sous le joug des ligueurs. Dès le mois de janvier, ceux-ci avaient envoyé des députés au duc de Savoie, Charles-Emmanuel, pour l’engager à entrer en Provence et venir se mettre à leur tête, ce qu’il fit au mois de novembre suivant.
On comptait néanmoins dans la ville bien des royalistes qu’on appelait alors les bigarrats, parce qu’étant bons catholiques et tenant le parti d’Henri IV, quoique ce prince fût encore huguenot, il y avait, disait-on, de la bigarrure dans leurs sentiments.
Parmi eux se trouvait un jeune avocat, contrefait et bossu nommé François Rainaud, fils d’un conseiller au parlement mort depuis quelques années. Rainaud avait des intelligences avec la Valette gouverneur de Provence pour le roi, et résolut de lui livrer la ville. Il fut donc convenu entre eux qu’au mois de juillet, la Valette ferait approcher quelques troupes secrètement ; qu’on mettrait le feu aux meules de blé qui seraient alors déposées sur les aires publiques, au dehors des murs, et que tandis que les habitants seraient occupés à éteindre l’incendie, les soldats du gouverneur pénétreraient dans l’intérieur de la ville, au moyen d’un souterrain pratiqué dans une des tours adossées aux remparts le long de la rue des Ménudières et qui communiquait avec la maison de l’ancien capiscol de Saint-Sauveur.
Cette conspiration fut découverte par un chapelain de cette église, nommé Adam Decombis, prêtre, natif du lieu de Trets qui, feignant d’être bigarrat, se mêla aux conjurés et leur arracha leur secret qu’il alla dévoiler aux consuls. Rainaud fut aussitôt arrêté et son procès lui ayant été fait, il fut condamné, le lundi 9 juillet, par arrêt du parlement, à avoir la tête tranchée, ce qui fut exécuté le même jour. Ses biens furent confisqués par le même arrêt, distraction faite d’une somme de 500 écus au profit du prêtre Decombis qui avait déjoué la conspiration. Le parlement accorda néanmoins au condamné, en mémoire de son père, la grâce d’être enterré auprès de celui-ci dans l’église des Dominicains.
Ayant été appliqué à la question pendant qu’on instruisait son procès, Rainaud avait eu la faiblesse de nommer quelques complices notamment des religieux capucins, le président d’Estienne Saint-Jean, le notaire Maurel, Lambert et quelques autres qu’il déchargea de cette accusation lorsqu’il fut sur l’échafaud, prêt à recevoir le coup mortel. Quelques auteurs 1 ajoutent qu’il avait désigné parmi les conjurés, un nommé Reynier qui se trouvait absent lorsque la conspiration fut découverte et qui rentra par hasard dans la ville, au moment où l’exécution allait se faire. L’un des consuls, surpris de le rencontrer, l’aborde et lui faisant part de ce qui se passe, l’engage à prendre la fuite sur-le-champ. Loin de là, Reynier, sans se déconcerter, va s’armer d’un poignard, court à la place des Prêcheurs et monte sur l’échafaud à l’instant où le bourreau bandait les yeux au patient. Il lui fait signe d’attendre un moment et s’adressant à Rainaud, il le somme de dire publiquement la vérité. Rainaud le disculpe aussitôt, en rendant grâces au ciel d’avoir été à temps de sauver la vie à un innocent et périt lui-même un instant après, à l’âge de 34 ans. Cette histoire de Reynier est sans doute bien théâtrale et bien touchante ; mais comme Sobolis n’en dit pas un mot dans son journal manuscrit où il rapporte à chaque page des événements beaucoup moins intéressants que celui-ci, on nous permettra d’en douter un petit peu.
Ce qui est plus certain, c’est que le vendredi suivant, Claude de Saint-Jacques, commis au greffe civil du parlement, fut pendu pour le même fait de conspiration en faveur de la Valette ; et que le surlendemain dimanche, 15 juillet, une procession générale eut lieu dans la ville pour remercier Dieu de l’avoir fait échouer. Les consuls, accompagnés de vingt-cinq notables habitants environ, allèrent ensuite prier le chapitre de Saint-Sauveur de pourvoir d’un bénéfice Adam Decombis, en récompense du service qu’il avait rendu à la cité par sa révélation, ce que le chapitre s’empressa de leur accorder.

1 Gaufridi, histoire de Provence, in-f°, Tome II, pag. 700 ; et de Haitze, Histoire d’Aix, mss, livre VI, chapitre 32. Retour