Les Rues d’Aix – Rue Saint Jacques


Les Rues d’Aix
ou recherches historiques sur l’ancienne capitale de Provence
par Roux-Alpheran en 2 tomes 1848 et 1851
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RUE SAINT-JACQUES

ANS cette rue demeurait, à l’époque de sa mort, le bon, l’excellent M. François Bermond, duquel nous allons parler. 1 Il était né à Aix le 13 janvier 1752, et il allait terminer dans peu de jours sa septième année, lorsqu’il perdit son père, ancien notaire royal et secrétaire-greffier de l’Hôtel-de-Ville. Sa mère lui avant fait faire de bonnes études au collége de cette ville, et étant informée par ses maîtres de ses heureuses dispositions, le destina de bonne heure au barreau ; mais connaissant aussi les difficultés qu’éprouvent les jeunes gens qui veulent parcourir cette carrière, elle le fit pourvoir, dès le mois de mai 1775, d’un office de substitut du procureur-général du roi au parlement, office dans lequel il fut reçu le 15 janvier suivant, deux jours après être entré dans sa vingt-cinquième année. Il s’y distingua bientôt, guidé par les conseils et l’amitié du célèbre procureur-général le Blanc de Castillon, et il exerça ses fonctions jusqu’à la fin du mois de septembre 1790, époque de la suppression du parlement.
Les jours affreux qui suivirent cette époque forcèrent M. Bermond à rentrer dans la vie privée et même à se dérober à tous les regards ; mais aussitôt que de meilleurs temps apparurent, il voua de nouveau ses services à sa patrie, et il fut appelé, au mois d’avril 1795, dans l’administration municipale d’Aix, en qualité de procureur de la commune, dont il remplit les fonctions jusqu’à la mise en activité de la constitution de l’an III.
Dix-huit mois plus tard il fut nommé par ses concitoyens membre de l’administration centrale du département des Bouches-du-Rhône qui siégeait alors dans notre ville, occupé sans cesse à réparer les maux de la révolution en facilitant le libre exercice du culte catholique, le retour des émigrés, la restitution de leurs biens non vendus, etc. Mais la catastrophe du 18 fructidor arrêta ces dispositions à la réconciliation générale des esprits, et cette administration paternelle fut révoquée.
Député de l’un des cantons d’Aix au sacre de Napoléon, M. Bermond fut nommé, au mois de janvier 1805, juge au tribunal d’appel de cette ville, et devint successivement conseiller à la cour impériale, puis à la cour royale dont il était le doyen depuis quinze ans, lors de la révolution de juillet 1830.
Il comptait, à cette époque, au-delà de quarante ans de services administratifs ou judiciaires, et quoiqu’il eût pu sans doute les continuer encore pendant quelques années, il n’hésita pas à demander aussitôt sa retraite, sans solliciter le titre de conseiller honoraire ; s’associant ainsi, sans nuire à ses droits acquis, aux douze autres membres de la Cour qui se retirèrent alors et se séparèrent de leurs collègues qui ne partageaient pas à cet égard les mêmes convictions politiques. 2
Rentré dans sa paisible demeure et ne s ‘occupant plus des affaires publiques, M. Bermond ne cessa pas pour cela de s’intéresser aux malheureux dont il soulagea si souvent les peines et la misère. Aussi, jouit-il jusqu’à la fin de ses jours de l’estime générale la plus méritée, soit à cause de ses vertus publiques et privées, soit à raison des lumières qui l’avaient distingué si éminemment dans la magistrature.
Nous avons rapporté plusieurs fois dans le Mémorial d’Aix diverses anecdotes qui le concernaient, notamment une de son jeune âge qu’il se rappelait avec plaisir, 3 et une autre postérieure à sa retraite, qui fesait le plus bel éloge de son cœur. 4
Nous pourrions en citer bien d’autres encore, ainsi qu’une foule de reparties toujours aimables, car jamais il n’offensa personne dans ses discours si souvent assaisonnés de fines plaisanteries et de bons mots. Son amabilité le faisait rechercher dans les meilleures sociétés où il brillait par son esprit et sa manière de raconter qui donnait tant de grâce et d’agrément à tout ce qui sortait de sa bouche. Le roi Louis XVIII l’avait honoré de la croix de la Légion-d’Honneur.
Cet homme de bien termina sa longue et honorable carrière le 21 mars 1842, à l’âge de quatre-vingt-dix ans, deux mois, huit jours, et il fut accompagné le lendemain dans sa dernière demeure par un grand nombre de magistrats, de membres du barreau et de véritables amis. 5
L’hôtel de la Tour-d’Aigues, situé dans la même rue, n’a pas plus de cent vingt-cinq ans d’existence. L’emplacement qu’il occupe et qui fesait partie auparavant du jardin des RR. PR Feuillans, est divisé en quatre carrés qu’on peut comparer à quatre cases d’échiquier. Celui au nord-ouest est une vaste cour d’honneur dans laquelle on entre par une porte cochère qui s’ouvre en face de la maison Bermond dont nous venons de parler. Au fond de cette cour est le principal corps de logis entièrement construit en pierres de taille et d’une très belle architecture, qui occupe le carré nord-est et qui longe au nord la rue Mazarine où il a une issue, tandis qu’au midi il donne sur un grand jardin ombragé par des marronniers et des tilleuls.
Ce jardin, situé dans le carré sud-est et qui s’ouvre sur la rue Saint-Michel, a à côté de lui les remises et les écuries de l’hôtel dont elles occupent le sud-ouest, et dont les entrées sont dans la grande cour par laquelle on est entré.
Les premiers fondements en furent jetés aussitôt après la peste de 1720 et 1721, par Joseph-François de Rolland-Tertulle, seigneur de Reauville et marquis de Cabanes, président à la cour des comptes, aides et finances, qui ne le vit pas entièrement achever. Il finit ses jours en 1728, ne laissant qu’un fils encore au berceau, depuis conseiller au parlement, lequel mourut en 1752, à peine âgé de vingt-cinq ans, sans laisser aucune postérité. La jeune veuve de celui-ci, née Covet de Marignane, échangea alors cet hôtel avec François de Bruny ou plutôt Bruni, baron de la Tour-d’Aigues, contre l’hôtel que ce dernier possédait à la rue Longue-Saint-Jean. 6
François de Bruny eut pour fils Jean-Baptiste-Jérôme, baron de la Tour-d’Aigues et de sa vallée, conseiller au parlement en 1746, ensuite président à la même cour en 1777, mort en 1795 à l’âge de soixante-dix ans. On se rappelle encore à Aix le très grand état de maison qu’il y tenait avant la révolution, ainsi que dans son magnifique château de la Tour-d’Aigues. C’était en même temps un amateur des beaux-arts et un agronome très distingué. Les gens de lettres et les artistes étaient certains d’être accueillis honorablement chez lui à toute heure du jour, et une foule d’entre eux lui firent hommage de leurs productions.
Son fils était mort sans enfants peu de temps avant lui, 7 et madame la marquise de Caumont, sa fille, 8 habite seule aujourd’hui cet immense hôtel. Nous nous souvenons que venant voir, un jour, sous la restauration, le bon M. Bermond avec notre ami le vicomte Siméon alors préfet du Var, celui-ci nous dit que cet hôtel pourrait servir de demeure à un gouverneur, un intendant ou un préfet, quelque titre qu’on voulût lui donner ; car ce cher ami, rêvant d’économie, songeait à cette époque à une réduction dans le nombre des préfectures, et, en bon patriote, il visait à faire rétablir dans Aix le siége du premier administrateur des départements qui composent l’ancienne Provence.

1 La maison qu’il habitait, située sur la ligne occidentale de cette rue, au coin de la rue Mazarine et en face de l’hôtel de la Tour-d’Aigues, avait été bâtie par le géomètre et graveur Balthazar Cundier, vers la fin du XVIIe siècle. C’est ce Balthazar Cundier, l’un des fils de Louis et de Magdelaine Maretz, que nous avons désigné seulement par la lettre initiale de son nom B…., dans notre 1er vol., pag. 330, ce qui est à rectifier. Retour

2 Les membres de la Cour royale d’Aix qui se retirèrent lors de la révolution de 1830, furent : M. le premier président de Sèze (Jean-Casimir) ; M. le président de la Chêze-Murel ( Pierre-Joseph-Julien ) ; MM. Bermond ( François ) , de Foresta (Marie-Paul-Augustin), d’Anselme (Victor-François-Henri), et le Blanc de Castillon (Alexis-Fulgence-Prosper-Jules), conseillers ; MM. d’Alpheran de Bussan (Jean-Baptiste-Paul), et de Benault-Lubières (Frédéric-Eugène), conseillers-auditeurs ; M. de Laboulie (Esprit-Joseph-Balthazar), procureur-général du roi ; MM. Dufaur (Pierre-André-François), et Pazéry de Thorame (Amédée-François-Marie-Louis), avocat-généraux ; M. Alpheran ( Joseph-Hippolyte-Charles-François), substitut du procureur-général et M. Roux- Alpheran ( François-Ambroise-Thomas), greffier en chef. Voyez ci-dessus, pag. 150, not. 1, et 294. Retour

3 Mémorial d’Aix, du 17 octobre 1841. Retour

4 Mémorial d’Aix, du 3 avril 1842. Retour

5 Voyez notre 1er vol., pag. 344, not.1. Retour

6 Voyez ci-dessus, pag. 360. Retour

7 Il fut dit dans le temps que cet héritier présomptif d’une fortune considérable, se trouvant à Paris où il espérait pouvoir se cacher sous la tyrannie de Robespierre et ayant été découvert, s’était enfui à travers champs jusqu’à Rouen, où faute de ressources et étant tombé malade, il était entré dans un hôpital et qu’il y était mort de misère et de chagrin, à la fleur de son âge et sans avoir été marié. Retour

8 Madame Pauline de Bruny, actuellement veuve de M. Amable-Victor-Joseph-François de Paule de Seytres, marquis de Caumont dans le comtat Venaissin. Retour