Les Rues d’Aix – Enclos de Decormis


Les Rues d’Aix
ou recherches historiques sur l’ancienne capitale de Provence
par Roux-Alpheran en 2 tomes 1848 et 1851
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ENCLOS DE DECORMIS

Cet enclos est situé vers l’extrémité de la vallée de Fenouillères à un quart d’heure de la ville, non loin de la rivière de l’Arc. Comme il est facile d’en juger par l’architecture, la maison d’habitation date de la fin du XVIe siècle. Elle fut bâtie en effet par Louis Fabri, sieur de Fabrègues, qui fut l’un des plus célèbres avocats de son temps et qui exerça jusqu’à quatre fois les fonctions d’assesseur d’Aix , procureur du pays de Provence.
Ce personnage joua un rôle important à l’époque des troubles de la Ligue. Il a laissé des mémoires très curieux que Louvet a fait imprimer, 1 et qui prouvent, dit le père Lelong, 2 que Fabrègues était un habile négociateur.
Zélé catholique et grand partisan de la fameuse comtesse de Sault, Fabrègues se déclara ouvertement pour la Ligue après la mort d’Henri III, ” contre le roi de Navarre que je croyais, dit-il dans ses mémoires, être légitime successeur quant au sang ; mais incapable de la couronne, à cause de l’hérésie. ”
En 1590, il fut l’un des députés que les états de Provence envoyèrent au duc de Savoie, pour lui demander des secours, et l’année suivante, il fut encore député, pour le même objet, auprès du roi d’Espagne. Les détails qu’il donne sur ses négociations dans les cours de Turin et de Madrid, sont fort curieux et jettent beaucoup de jour sur l’histoire de ces temps-là. C’est au retour de sa dernière ambassade qu’il fit bâtir la maison de campagne dont nous parlons, et à laquelle nos paysans, naturellement railleurs, donnèrent aussitôt le nom d’Espagne, comme ils donnèrent celui de Savoie à une autre maison, bâtie en face de celle-ci, sur la rive opposée de l’Arc, par l’un des députés à Turin. 3
Depuis, Fabrègues travailla avec beaucoup de chaleur à faire expulser de la Provence le duc d’Epernon, à qui Henri IV avait retiré le gouvernement de cette province. D’Epernon résista longtemps aux ordres de son souverain, tint la ville d’Aix assiégée pendant plus d’un an, et en ravagea le territoire, ainsi qu’on vient de le lire plus haut. ” Passant au moulin du pont de l’Arc, dit Fabrègues, ce duc fit étrangler les soldats qui le gardaient, et les fit pendre aux croisées des fenêtres de ma maison de Fenouillères. Il m’envoya dire par un valet qui s’y trouva, que Dieu avait voulu faire porter ce beau fruit à Fenouillères, avant de nous délivrer de sa tyrannie. Le comte 4 fit d’abord riposte, et pour huit pendus, il fit pendre seize soldats du duc, huit cavaliers avec la casaque et huit Gascons prisonniers, qu’il fit partager et pendre : huit aux fourches, 5 et huit à la tour du Guet ou des Anèdes, 6 le duc pouvant voir les uns et les autres avec sa livrée, du lieu où il était, entre le pont de l’Arc et Beauvoisin. 7
Fabrègues mourut à Aix, le 15 juillet 1616, et fut enterré le lendemain dans l’église des Grands-Carmes. Il n’avait eu qu’une fille, Antoinette de Fabri, mariée en 1600, à Pierre Decormis qui fut deux fois assesseur d’Aix, puis avocat-général au parlement, et qui a donné son nom à l’enclos dont nous venons de parler.
Nous avons fait mention ailleurs de ce grand magistrat et du président de Beaurecueil, son fils. 8
Nous ne dissimulerons pas ici la surprise dans laquelle nous a jeté l’annonce judiciaire insérée dans le Mémorial d’Aix du 1er août 1847, relative à la vente d’un domaine important, situé au quartier de Fenouillères, consentie par acte notarié du 15 juillet précédent, au prix de cent mille francs. Cette annonce porte qu’avec ce domaine sont vendus deux appartements contigus, éclairés au midi et au nord, au premier étage à gauche du palier du bâtiment dit LA CAMPAGNE DU ROI RENÉ, etc. Il est évident par les autres désignations de l’acte de vente précité, et il est positif que les deux appartements en question sont situés dans le bâtiment même de l’enclos de Decormis qui fait le sujet de notre réclamation et qui fut bâti par Louis de Fabri Fabrègues à la fin du XVIe siècle, c’est-à-dire plus de cent ans après la mort du roi René, arrivée en 1480. Il n’est donc pas exact d’appeler ce bâtiment de Decormis la campagne du roi René, laquelle était, avons-nous dit plus haut, le bâtiment qui fait le coin et qui joint les deux ailes des Infirmeries, ce qui est attesté par les actes déposés aux archives de la ville et dont nous avons donné une analyse succincte. Cet anachronisme, que nous appellerons presque une usurpation historique, doit, ce nous semble, être relevé par nous, tout comme nous avons relevé plus haut 9 l’erreur de quelques personnes qui donnent pour habitation au roi René l’hôtel de Simiane, bâti en 1641. Le nom du bon roi René se glisse aujourd’hui partout involontairement, à tort ou à droit, ce qui prouve du moins combien sa mémoire est encore en vénération parmi nous.

1 Additions et illustrations sur les deux tomes de l’histoire des troubles de Provence, seconde partie, pag. 130 à 319. Retour

2 Bibliothèque historique de la France, tom. III, art. 38101. Retour

3 Jean de Forbin, seigneur de La Fare, premier consul d’Aix en 1590-91. Retour

4 Gaspard de Pontevès, comte de Carces, grand sénéchal de Provence et commandant à Aix pour la Ligue au nom du duc de Mayenne, dont il avait épousé la belle-fille née d’un premier lit de sa femme. Retour

5 Tertre situé au sud-ouest de la ville, aujourd’hui traversé par le grand chemin de Marseille, où étaient placées alors le fourches patibulaires, et qu’on nomme actuellement le Mont-Perrin. Retour

6 La tour des Anèdes (en français Canards), actuellement le moulin à vent de Galice. Retour

7 Aujourd’hui la Pioline. Retour

8 Voyez ci-dessus, pag. 12 et suiv. Retour

9 Voyez notre tom. 1er, pag. 611, not. 3. Retour