Les Rues d’Aix – Rue de la Porte Peinte


Les Rues d’Aix
ou recherches historiques sur l’ancienne capitale de Provence
par Roux-Alpheran en 2 tomes 1848 et 1851
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RUE DE LA PORTE-PEINTE

EPUIS longtemps on n’a fait qu’une seule rue des deux véritablement très courtes, qui établissent la communication entre la rue de Littera et celle du Séminaire. La première partie de ces deux rues, en venant de Saint-Sauveur, a porté plusieurs noms en différents temps : celui d’Agoult ou de Sault, à cause des seigneurs de Sault de l’illustre et puissante maison d’Agoult qui y avait une habitation du temps de nos anciens comtes de Provence, antérieurement même au bon roi René ; puis celui du Revestin ou des Revestins, appartenant à une famille éteinte depuis fort longtemps, qui y avait demeuré. L’autre partie était la seule alors qui eut le nom de Porte-Peinte, et ce nom l’a emporté plus tard sur celui d’Agoult, par une bizarrerie difficile à concevoir. Une autre famille recommandable sous tous les rapports, la famille Dubreuil, a également habité cette rue pendant plus d’un siècle et s’y est éteinte en 1824. Charles Dubreuil, dernier consul d’Aix en 1713, fut père de Joseph Dubreuil, avocat, assesseur d’Aix pendant quatre années consécutives, de 1743 à 1746, que Louis XV ennoblit en 1749 à cause de ses services ; et de Charles-Mitre Dubreuil, respectable ecclésiastique, 1 qui, pendant une longue vie, ne cessa de s’occuper de travaux littéraires. Il avait traduit plusieurs auteurs grecs et latins et était en relation avec une foule d’hommes distingués dans la connaissance de ces deux langues, qui rendaient hommage à l’exactitude et à l’élégance de ses traductions. L’abbé Dubreuil n’en a cependant fait imprimer aucune et avait seulement entrepris la publication d’un Choix de cantiques provençaux ; mais il n’en parut que les 224 premières pag. qui sont devenues fort rares, et qui sont accompagnées d’un volume d’airs gravés. Il composa aussi une Bibliographie provençale qui se trouve en manuscrit à la bibliothèque Méjanes, pleine de recherches les plus curieuses relatives à tous les livres écrits sur la Provence ou par des Provençaux, et il initia de bonne heure l’aîné des fils 2 de son frère dans l’histoire de Provence qu’il connaissait à fond. Pendant plusieurs années l’un et l’autre occuperont leurs loisirs à faire des copies des manuscrits les plus intéressants laissés par divers auteurs sur cette histoire. 3 L’un et l’autre colligèrent enfin une immense quantité de pièces imprimées dont un grand nombre sont très rares, concernant l’histoire ou l’administration de la province, et ce recueil important sera à jamais un monument constatant leurs laborieuses recherches et leur amour pour leur pays.
Joseph Dubreuil, avocat, 4 neveu et frère de ces hommes infatigables, fut assesseur d’Aix en 1785 et 1786, et se distingua dans son administration par la sagesse de ses vues. C’est à lui que la ville est redevable de l’éclairage public, car auparavant on était obligé de courir les rues pendant la nuit, avec une petite lanterne à la main, ou de se faire accompagner par un porteur de fanal. Les laquais, montés derrière les voitures des gens riches, portaient des flambeaux allumés, et lorsqu’il ne passait pas dans une rue une de ces voitures ou un de ces porteurs de fanaux, on était dans la plus profonde obscurité. Obligé d’émigrer à l’époque de la mort de l’avocat Pascalis, 5 il passa en Italie où il séjourna pendant près de dix ans, honoré et même employé quelquefois par les chefs des armées françaises, notamment par les généraux Bonaparte et Masséna. Rentré dans ses foyers aussitôt après le rétablissement de l’ordre public, il se consacra tout entier à la consultation et à la composition de deux ouvrages de droit, l’un renfermant la Législation des Eaux, l’autre des Observations sur quelques coutumes en Provence, qui font et fairont pendant longtemps autorité au barreau. En 1815, pendant les Cent-Jours, quel que fût son attachement à la maison de Bourbon, il crut pouvoir accepter, sans trahir ses devoirs et la fidélité qu’il avait jurée à son souverain, les fonctions de maire d’Aix ; mais il mit pour première condition à son acceptation, qu’il ne signerait pas le fameux acte additionnel qui proscrivait à jamais les Bourbons. Et qui peut dire mieux que nous les services qu’il rendit à cette époque, non seulement à son pays entier dont il sut écarter par sa conduite les dangers qui le menaçaient, mais encore à tels et tels particuliers qu’il faisait avertir secrètement de se tenir cachés où de s’éloigner momentanément…6 Mais taisons-nous ; ses mânes souffriraient peut-être de notre indiscrétion. C’est aux malheureux proscrits qu’il obligea, à se souvenir des sages mesures qu’il prit pour les sauver des ressentiments de la réaction bonapartiste.

1 Né le 13 novembre 1708, mort le 30 mars 1783. Retour

2 Charles Dominique Hyacinthe Sextius Dubreuil, mort en 1797, à l’âge de cinquante-deux ans. Retour

3 Nous possédons leur copie de l’histoire d Aix, par de Haitze, en 4 volumes in-f° ; (voyez ci-dessus, pag. 88, dans le courant de la note). Retour

4 Né le 22 juillet 1747, mort le 5 juin 1824, le dernier de sa famille. – Voyez une Notice biographique imprimée après sa mort, chez Firmin Didot, Paris, en dix pag. in-12. – Voyez aussi la Notice historique, par M. Ch. Giraud, placée en tête de la nouvelle et excellente édition publiée par MM. Tardif et Cohen, avocats, de l’Analyse raisonnée de la législation sur les eaux, par Dubreuil ; Aix, Aubin, 1842, 2 vol. in-8°. Retour

5 En décembre 1790. – Voyez au second volume, le Cours. Retour

6 Cet homme de bien nous contraignit, pour ainsi dire par son exemple et ses instances, à conserver, pendant ces malheureux Cent-Jours, 1′ emploi de secrétaire en chef de l’Hôtel-de-Ville que nous exercions depuis 1807 ; – d’autant mieux, nous dit-il, que vous n’avez aucun serment à prêter dans cet emploi purement municipal et de confiance. – Il comptait sur nous pour les avis paternels dont nous parlons… et son attente ne fut pas trompée. Retour