Les Rues d’Aix
ou recherches historiques sur l’ancienne capitale de Provence
par Roux-Alpheran en 2 tomes 1848 et 1851
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RUE LONGUE-SAINT-JEAN
‘ENTRÉE de cette rue, du côté de celle d’Italie, est précédée d’un carrefour sur lequel existait, depuis l’agrandissement de la ville, le bureau où se percevait le droit sur les blés et les farines introduits pour la consommation des habitants. Ce droit, odieux au peuple qui mange bien plus de pain que le riche, fut établi pour la première fois au mois de décembre 1547 , par délibération du conseil de ville, et ne fut d’abord que d’un sol (cinq centimes) par chaque quintal (quarante kilogrammes pesant) de farine. En 1632 il fut porté à cinq sols pour faire face aux indemnités allouées aux particuliers dont les maisons avaient été pillées lors des troubles des Elus. 1 A la fameuse journée de Saint-Sébastien en 1649, 2 le peuple exigea la suppression de ce droit, et pendant plus de quatre ans il n’en fut plus question. En 1653, les besoins de la ville ayant nécessité son rétablissement, il y eut une assez forte émeute à ce sujet. Le peuple s’attroupa autour de la maison du dernier consul Jacques Cabassol, et tâchait d’en enfoncer les portes pour la piller, lorsque le duc de Mercoeur, gouverneur de Provence, étant accouru avec une compagnie de soldats, dissipa le rassemblement en faisant tirer quelques coups de fusil sur les séditieux dont plusieurs restèrent sur le carreau et d’autres furent blessés. P .-J. de Haitze fait une très longue périphrase pour apprendre à la postérité que le consul Cabassol ch… dans ses culottes à cette occasion : » Il fut si effrayé, dit-il, 3 qu’à l’instant, par un total concentrement des esprits, il se fît en lui une si grande relaxation des fibres et des nerfs, qu’il lâcha tout ce qu’il portait tant au-dedans qu’au-dehors de lui d’étranger qui aurait fait écarter le monde de sa personne, si la charité pour le secourir n’eût été encore plus forte que ce que l’on sentait de cet accident. Il en fut pourtant quitte pour quelque changement d’habits gâtés et de portes et de fenêtres qui avaient été brisées en cet événement. «
La première maison à gauche en entrant dans la rue Longue-Saint-Jean, après avoir dépassé celle qui fait le coin du carrefour dont nous venons de parler, appartenait, dans le siècle dernier, aux Peyssonnel, seigneurs de Fuveau, qui s’y sont éteints en 1783. Cette famille avait produit plusieurs personnages de mérite, parmi lesquels nous citerons Jean et Jacques Peyssonnel, père et fils, célèbres avocats, assesseurs d’Aix, l’un en 1658, l’autre en 1676 et 1683. Ce dernier était syndic de robe de la noblesse lorsqu’il publia un Traité de l’hérédité des fiefs de Provence, à Aix, chez Etienne Roize, 1687, in.8° ; ouvrage estimé et plein de recherches, mais entièrement hors d’usage aujourd’hui. Il était né en 1657 et mourut en 1705. Sauveur de Peyssonnel, seigneur de Fuveau, était fils de Jean et frère de Jacques que nous venons de citer. Né à Aix le 6 novembre 1642, il suivit la carrière militaire et se distingua par sa valeur en plusieurs occasions importantes. Louis XIV l’avait surnommé le brave Peyssonnel ; il mourut à Landau en 1689, revêtu du grade de maréchal-de-camp, inspecteur-général de la cavalerie, à la suite d’une glorieuse campagne pendant laquelle il s’était emparé avec peu de troupes de la ville de Dourlach en Souabe, défendue par une bonne garnison. 4
De fort belles maisons très bien habitées se succèdent sur la même ligne de cette rue. Nous ne parlerons que de quelques-unes.
L’hôtel qu’occupent depuis 1823 M. le comte Alfred d’Albertas et madame la comtesse d’Albertas, née de la Rochejaquelein, fille et nièce des héros de la Vendée, fut bâti vers 1735, par François de Boyer, seigneur de Bandol, mort second président du parlement en 1748. Quatre ans auparavant il avait vendu cet hôtel à François de Bruny, baron de la Tour-d’Aigues et de sa vallée, qui l’échangea peu de temps après, contre celui que le président de Reauville avait construit sur la ligne orientale de la rue Saint-Jacques, entre les rues Mazarine et Saint-Michel, et qui est encore connu sous le nom d’Hôtel de la Tour-d’Aigues. Nous en parlerons plus bas. Celui que nous mentionnons ici, passa depuis à MM. de Grasse, comtes du Bar, qui l’ont possédé jusqu’en 1823.
La maison qui suit immédiatement la précédente, est formée des trois qu’avait réunies, dans les commencements du dernier siècle, André-Georges Dugrou, qui fut d’abord trésorier-général des Etats de Provence, puis receveur-général des domaines du roi jusqu’en 1746. A cette époque elle fut vendue au trésorier-général de N. S. P. le pape à Avignon, Antoine de Palerne, dont la fille unique Jeanne de Palerne avait épousé Jean-Esprit d’Albert président à la cour des comptes de Provence. Celui-ci l’habita dès lors et après lui son fils, aussi président à la même cour, mort sans enfants en 1809. M. Verger, président à la cour d’appel d’Aix, la possède actuellement. Les vieux serviteurs de la maison l’ont assuré, nous a-t-il dit, que sous ses caves passe un tunnel qui va déboucher à Meyreuil à plus d’une lieue d’Aix. Il est inutile de chercher à réfuter un pareil conte de la vérité duquel il ne parait pas que jamais personne se soit occupé de s’assurer.
Vers le centre de l’île suivante, sur la même ligne, est située la belle maison qu’avait habitée le célèbre procureur-général Ripert de Monclar, dont nous avons parlé à l’occasion de la rue qui porte son nom, 5 maison qu’acquit de lui en 1772, Jean-Baptiste de Bourguignon, secrétaire du roi en la chancellerie du parlement, et qu’a possédée ensuite le fils de celui-ci, feu M. de Bourguignon de Fabregoules, nommé comme lui Jean-Baptiste, 6 amateur très distingué des beaux-arts. On sait qu’il avait formé un cabinet ou plutôt un musée des plus curieux qui aient jamais existé à Aix, consistant principalement en tableaux des meilleurs maîtres , tels que Rubens, Van-Dyck, Albert Durer, Philippe de Champagne, Poussin, Téniers le jeune, Annibal Carrache, André del Sarto et une foule d’autres ; en morceaux de sculpture moderne de Michel-Ange, Puget, Coustou, Chastel, etc. ; enfin en objets d’arts ou de curiosité, comme meubles gothiques, manuscrits, morceaux d’histoire naturelle, etc. 7
De l’autre côté et vers l’extrémité occidentale de la même rue, habitait, à l’époque de sa mort, notre jovial et bien regrettable ami Joseph-Marius Diouloufet, 8 connu par ses nombreuses et charmantes poésies provençales, telles que son poème des vers-à-soie, 9 ses fables, contes et épîtres 10 dans la langue des troubadours, et ses aimables chansons si populaires dans toutes les provinces du midi en 1814 et 1815. 11
1 Voyez ci-dessus Place de la Plate-Forme et les diverses citations qui y sont faites. Retour
2 Voyez notre 1er vol., pag. 425 et suiv., et celui-ci, pag. 62. Retour
3 Hist. d’Aix, manuscrite, liv. XX, § 29. Retour
4 La maison des Peyssonnel-Fuveau est celle que nous occupons depuis plus de trente ans. Retour
5 Voyez au 1er vol., pag. 182. Retour
6 Né à Aix en 1746, mort au mois de septembre 1836. Retour
7 Voyez sur ce précieux cabinet, Aix ancien et moderne, par M. Porte ; 1ère édition, pag. 139, et 2ème édition, pag. 189.- Voici l’inscription que M. de Bourguignon de Fabregoules, fils de cet illustre amateur et conseiller à la cour d’appel a fait placer sur la tombe de son père au cimetière d’Aix :
Hic jacet. – J.-B. de Bourguignon de Fabregoules. – Vir – divinae leqis amator – super egenos intelligens – mira erga cives comitate – bonarum artium, fautor indefessus – carus amicis – pater optimus familias – omni, dum vixit ornatus virtute – bonis omnibus flebilis – plus quam nonagenarius occidit -nulli flebilior quam – pio suscribenti nato – indesinenter, ut par est, moerenti – requiescat in pace. – Aquis Sextiis, anno M DCCC XXXVI – die XVIII mensis septembris. Retour
8 Né à Eguilles, le 19 septembre 1771, mort sous le coup d’une apoplexie foudroyante, à Cucuron, le 19 mai 1840. Lors de la Révolution de 1830 , il avait été destitué des fonctions de bibliothécaire de la ville qu’il exerçait depuis la mort du docteur Gibelin. Retour
9 Leis Magnans, pouémo didactique, en quatre chants, eme de notos de la coumpousitien de M. Diouloufet. A-z-Ai, enco d’Augustin Pontier, 1819, in-8°, 109 pag. avec planches. Retour
10 Fablos, contés, épitros et aoutros pouésies prouvençalos. A-z-Ai, enco de H. Gaudibert, 1829, in-8° de près de 500 pag. avec lithographies. Retour
11 Notamment les Alléluia sur le retour des Bourbons. Retour