Les Rues d’Aix – Rue Saint Sébastien


Les Rues d’Aix
ou recherches historiques sur l’ancienne capitale de Provence
par Roux-Alpheran en 2 tomes 1848 et 1851
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RUE SAINT-SEBASTIEN

UILLEN DES BAUX, seigneur de la vallée de Marignane, issu de l’ancienne et puissante maison des Baux, possédait le terrain sur lequel furent bâties, à la fin du XIVe siècle, les maisons qui bordent la rue dite actuellement de Saint-Sébastien, d’où vient que le premier nom qui fut donné à celle-ci, fut celui de rue des Baux ou Baussenque, qu’elle a porté jusqu’en 1618. A cette dernière époque, la chapelle de Saint-Sébastien que le roi René avait fait bâtir sur la place aux Herbes, 1 en 1470, ayant été abattue pour être transférée au quartier de l’Observance, dans le local occupé, depuis la première année du XVIIe siècle, par les religieuses Ursulines, la rue Baussenque prit insensiblement le nom de Saint-Sébastien à cause de l’église du couvent de ces religieuses située dans cette rue et qui fut dédiée à ce saint.
La procession de Saint-Sébastien qui se faisait anciennement à Aix le 20 janvier, et qui a été supprimée comme tant d’autres depuis la révolution avait été instituée par le bon roi René en 1470. Nous avons dit ailleurs, 2 que ce prince, voulant préserver sa capitale de la peste dont elle était affligée bien souvent, avait eu recours au pape Paul II, qui lui avait envoyé des reliques de saint André et de saint Sébastien. Le bon roi les avait déposées dans une châsse d’or enrichie de pierres précieuses et en avait fait présent à l’église métropolitaine de Saint-Sauveur, à la condition qu’il serait fait, chaque année, le jour de Saint-Sébastien, une procession générale autour de la ville, en dehors des murs. Depuis lors cette pieuse fondation avait été exécutée religieusement, et les consuls et assesseur y assistaient revêtus de leurs chaperons, à la suite d’une foule considérable de fidèles que la dévotion attirait à cette cérémonie.
En 1649, il y eut, ce jour-là, une sédition des plus violentes, et dont on a conservé le souvenir dans l’histoire d’Aix, sous le nom de Journée de Saint-Sébastien. C’était pendant la minorité de Louis XIV, et dans le temps des troubles de la Fronde, à Paris, et de ceux occasionnés en Provence par l’établissement du parlement semestre, c’est-à-dire d’une nouvelle cour souveraine dont les officiers devaient rendre la justice pendant six mois de l’année, alternativement avec les officiers de l’ancien parlement qui n’auraient plus exercé leurs fonctions que pendant les autres six mois.
Le comte d’Alais, gouverneur de Provence, avait fait placer à la tête du semestre l’avocat Jacques Gaufridi, son conseiller intime, ancien assesseur d’Aix, puis président de la chambre des requêtes dont les membres avaient été incorporés dans le nouveau corps de magistrature. 3 Les officiers des deux compagnies étaient journellement en guerre ouverte et les habitants étaient divisés d’opinions, les uns en faveur du parlement, les autres en faveur du semestre. Les premiers étaient néanmoins les plus puissants et les plus nombreux, et leurs adversaires essuyaient fréquemment des avanies que le crédit et l’autorité du gouverneur ne pouvaient empêcher.
Nous n’entrerons ici dans aucun détail à cet égard, pour en venir au récit de la Journée de Saint-Sébastien. Il est néanmoins indispensable de dire quelques mots d’une première émeute qui avait eu lieu dans Aix deux jours auparavant.
Le comte d’Alais, traversant la place des Prêcheurs, entouré de ses gardes et des consuls, un laquais du conseiller de Saint-Marc eut l’insolence de le regarder fixement, sans ôter son chapeau. L’un des gardes du comte, nommé Pezenas, indigné de cette audace, s’approcha brusquement et lui jeta son chapeau par terre. Le laquais s’enfuit à toutes jambes vers le Portalet, où Pezenas le poursuivit et d’un coup de carabine lui cassa le bras. L’alarme devint aussitôt générale ; les boutiques furent fermées en un instant, et chacun se mit à crier : aux armes !
Le comte fit alors ranger en bataille, sur la place des Prêcheurs, deux régiments qu’il avait auprès de lui, et les parlementaires coururent se réunir chez le président de Forbin d’Oppède, dont l’hôtel était voisin de la métropole et de l’université. Ceux-ci s’emparèrent du clocher de Saint-Sauveur où l’on assure que la douairière d’Oppède, mère du président, fut sonner elle-même le tocsin pour ameuter la populace. Le comte d’Alais, à la tête des consuls et de quelques gentilshommes de sa maison se mit à parcourir les rues pour tranquilliser les esprits et il eût peut-être dissipé l’attroupement qui se formait vers Saint-Sauveur, s’il se fût dirigé de ce côté. Mais arrivé à l’Hôtel-de-Ville, il gagna vers les Cordeliers et les Tanneries, et donna ainsi le temps à l’avocat-général Decormis de Beaurecueil d’amener encore plus de 300 de ses amis au secours des parlementaires. Des émissaires furent sur le champ envoyés par eux sur toutes les routes et dans les campagnes, chargés de faire venir dans la ville autant de paysans qu’ils en rencontreraient et auxquels d’Escalis, baron de Bras et d’Ansouis, distribua deux mille demi-réales d’Espagne pour les attacher à la cause du parlement. L’avocat-général les vint haranguer, après s’être couvert la figure d’un nez postiche, et le chanoine Decormis, son frère, également masqué et une pique à la main, les passa en revue sur la place de l’université. Leur vénérable père l’ancien avocat-général Pierre Decormis était cependant à l’extrémité et mourut trois jours plus tard. Mais que peuvent les plus hautes convenances contre l’esprit de parti ! Cette émeute n’eut heureusement ce jour-là, aucune suite funeste. Un arrangement fut conclu et il fut convenu d’une part, que les parlementaires désarmeraient, de l’autre, que le gouverneur ne rendrait pas compte au roi de ce qui s’était passé. Mais cet accommodement ne fut pas de longue durée, comme on va le voir.
Le surlendemain mercredi, 20 janvier, le semestre étant alors en exercice, les consuls et assesseur s’étaient rendus vers les dix heures à Saint-Sauveur pour assister à la procession. Ces magistrats étaient odieux au peuple, attendu qu’ils n’avaient point été élus par le conseil de ville, suivant la coutume, et que le comte d’Alais les avait fait nommer par lettres-patentes du roi. Tout à coup, lorsque la croix, les bannières et une grande partie de la procession étaient déjà en dehors de la porte de Notre-Dame, le bruit se répand que le gouverneur est dans l’intention de faire fermer toutes les portes quand elle sera en entier hors de la ville ; qu’il fera ensuite arrêter les principaux membres du parlement pour les envoyer prisonniers dans diverses citadelles de la province ; enfin, qu’il fera pendre les paysans qui, l’avant-veille, s’étaient déclarés pour le parlement. L’épouvante s’empare de tous les esprits. La procession rentre en tumulte dans Saint-Sauveur, ainsi qu’une foule considérable de peuple qui se soulève contre les consuls, sous prétexte qu’ils sont d’intelligence avec le comte d’Alais. Les consuls se réfugient dans la sacristie grâce au courageux dévoûment du chanoine du Chaine, qui veut les garantir de la fureur de leurs ennemis. Ils y sont poursuivis, et ils y auraient été massacrés sans doute, si le cadet du Chaine, cousin du chanoine, n’eût fait semblant de se mettre à la tête de ces furieux, et si, ayant pénétré dans la sacristie, il n’en fût sorti un instant après tenant à la main un des chaperons qu’il jeta au milieu de la foule. Le peuple s’en empare, le place au bout d’une pique et le promène dans la ville comme un trophée de la victoire qu’il venait de remporter sur les consuls.
Cependant le comte d’Alais était sorti de chez lui dès le matin pour aller visiter le cardinal Barberin qui, venant de Paris, avait couché la nuit précédente dans le couvent des capucins situé derrière l’hôpital Saint-Jacques. Averti de ce qui se passait par le tocsin qu’on sonnait à Saint-Sauveur et à la Grande-Horloge, le gouverneur rentre aussitôt dans la ville et se rend au palais où il trouve les officiers du semestre et leurs amis qui étaient venus s’y réfugier. Il fait aussitôt mettre en bataille sur la place des Prêcheurs les deux régiments, l’un d’infanterie, l’autre de cavalerie qui se trouvaient dans Aix, et il donne le commandement au duc de Richelieu, général des galères. Ce jeune seigneur était venu à Aix depuis quelques jours, pour faire exécuter devant le gouverneur et madame la gouvernante sa femme, un nouveau ballet qu’on dansait à Marseille. Il avait amené, à cet effet, avec lui des Turcs employés comme gardes-chiourmes sur les galères, lesquels avaient porté les décorations et les costumes nécessaires pour ce ballet. Le peuple d’Aix avait pris ces Turcs pour autant de bourreaux déguisés qui devaient assouvir les vengeances du gouverneur, et sa haine contre celui-ci s’en était d’autant plus accrue. Au premier coup de mousquet, les deux régiments, forts de plus de mille cinq cents hommes, entre eux deux, s’enfuirent dans la cour du palais et laissèrent le champ libre aux parlementaires, ne voulant pas se commettre avec une populace en furie. Aussi ne périt-il guère que sept ou huit personnes dans cette journée. Quelques mémoires portent que le comte d’Alais se voyant dépourvu de munitions, donna lui-même à ses troupes l’ordre de se retirer.
Les parlementaires dressent aussitôt des barricades autour du palais. Rougiers, de Pertuis, en avait commencé une à la rue Bellegarde et l’avance jusqu’au Portalet, vis-à-vis l’église des Prêcheurs. Le président de Galliffet en dresse une autre vers la
chapelle de Sainte-Catherine qui se trouvait à côté des prisons actuelles. Clapiers-Vauvenargues en pose une troisième à l’entrée de la Grande rue Saint-Jean, maintenant dite du Pont-Moreau, au point où vient aboutir la rue de la Plate-Forme ou du Grand-Boulevard ; et le conseiller de Saint-Marc, les cadets du Chaine et Decormis en placent une quatrième dans la rue des Gantiers, au coin actuel de la place Saint-Honoré qui n’existait pas alors. Ces dernier s avaient ainsi à dos la maison du président Gaufridi, qui est celle qui fait le coin occidental des rues de l’Official et du Saint-Esprit, opposé à la maison du président de Séguiran aujourd’hui l’hôtel d’Albertas. 4
Cette maison du président Gaufridi est saccagée et pillée par le peuple, malgré le secours que lui portent les parlementaires barricadés dans la rue des Gantiers. Un pauvre prêtre qui se trouvait là par hasard et qui était monté sur le toit pour se sauver, y est massacré inhumainement. De là, la populace va piller la maison du dernier consul Rostolan, l’un de ceux qui étaient prisonniers à Saint-Sauveur, 5 et celle de l’avocat Benoist, son cousin. Rostolan 6 était accusé d’avoir dit le matin, en passant devant l’hôtel d’Oppède, pour se rendre à la procession : Voilà une belle maison, mais dans deux heures elle ne sera plus sur pied, ce qui annonçait les sinistres projets du gouverneur et que les consuls en avaient connaissance.
La comtesse d’Alais était allée, avant l’émeute, faire ses dévotions dans l’église de Saint-Sébastien. Son mari, rentrant au palais, avait envoyé aussitôt le cadet de la Malle du Bar pour l’escorter et la ramener auprès de lui. Mais la comtesse était déjà sortie de l’église et avait passé par des rues détournées, sous le bras du conseiller de Venel et de Baschi d’Estoublon qui l’avaient accompagnée saine et sauve jusqu’au palais. La Malle du Bar s’en revenait par la rue des Tanneurs et les Augustins lorsqu’en passant dans la rue Papassaudi on lui tira un coup de fusil qui ne l’atteignit pas ; mais, arrivé dans celle des Gantiers, un second coup le coucha par terre et il en mourut quelques jours après.
Pendant ce tumulte, les officiers du parlement s’étaient rassemblés dans l’hôtel du président d’Oppède pour délibérer sur ce qu’ils avaient à faire ; et, comme ils étaient dans l’indécision, le conseiller de Boyer d’Éguilles les entraîne en s’écriant : Eh quoi ! messieurs, attendez-vous qu’on vous amène le comte d’Alais pieds et poings liés ? Marchons et nous l’emporterons ! Tous le suivent alors à l’Hôtel-de-Ville, d’où Puget, baron de Saint-Marc et Rascas du Canet, venaient de débusquer les soldats que le gouverneur y avait placés l’avant-veille, pour garder la salle d’armes qui s’y trouvait et la tour de la Grande Horloge. De là ils envoient prier le comte de Carces, de la maison de Pontevès, lieutenant de roi en Provence, de venir les joindre. Le comte se rend à l’Hôtel-de-Ville et y trouve l’archevêque d’Arles, Castellane-Adhémar de Grignan, Séguiran et Rolland de Reauville présidents de la cour des comptes, et quelques autres qui se donnaient de grands mouvements pour concilier toutes choses.
Enfin, après bien des allées et des venues, de l’Hôtel-de-Ville au palais et du palais à l’Hôtel-de-Ville, on parvient à faire un accommodement portant que les anciens officiers du parlement rentreront immédiatement dans l’exercice de leurs charges ; que les troupes du comte d’Alais sortiront sur le champ de la ville ; et que, pour la sûreté personnelle du comte, le président d’Oppède et le conseiller de Venel demeureront auprès de lui dans le palais. On comprend que ce dernier article était moins dans l’intérêt personnel du gouverneur, que pour s’assurer de lui, jusqu’à ce que le roi eût approuvé ce qui s’était passé et révoqué le semestre. En effet, on mura soigneusement à chaux et à sable toutes les avenues de son appartement, et aussi longtemps que dura sa détention, deux membres du parlement, qui se relevaient alternativement chaque jour, furent commis à sa garde. On tendit même des chaînes tout à l’entour du palais et c’est ainsi que le comte d’Alais, gouverneur de Provence se trouva encoffré, suivant l’expression du prince de Condé lorsqu’il apprit cet événement, et demeura prisonnier dans le palais jusqu’au 27 mars, jour auquel il fut mis en liberté, lorsque l’édit du roi, portant révocation du semestre et amnistie générale, fut arrivé. Il tombait ce jour-là une pluie battante. Le comte ne voulut pas néanmoins différer son départ, disant qu’il fait toujours beau temps lorsqu’on sort de prison. Des députés de Marseille étaient venus la veille pour féliciter le parlement sur l’heureuse issue des affaires, et avaient voulu saluer aussi le comte d’Alais. Celui-ci, causant avec eux, leur tint cet étrange propos, en regardant un portrait du roi qui se trouvait dans sa chambre : LES BOURBONS SONT AVARES ET CLÉMENTS ; LES VA LOIS, AU CONTRAIRE, SONT LIBERAUX ET VINDICATIFS. Puis, se reprenant, il ajouta : c’est-à-dire grands justiciers. Ces paroles imprudentes dans la circonstance, pouvaient retarder son élargissement, si elles eussent été révélées, puisqu’elles trahissaient évidemment les sentiments secrets de son cœur. Mais comme il s’était montré jusqu’alors d’un caractère doux et pacifique, on n’y fit point attention, et dès qu’il eut été mis en liberté, il fit bien voir qu’il n’était pas du sang des Bourbons, 7 en ravageant impitoyablement les territoires d’Aix et les lieux environnants. 8
Les troupes du gouverneur sortirent donc de la ville le 20 janvier, dans la soirée et furent coucher à Eguilles. Le parlement sortit aussi de l’Hôtel-de-Ville, en corps et en robes rouges, pour se rendre au palais, ayant à sa tête les présidents de Forbin-la-Roque et de Grimaldi-Regusse qui conduisaient le comte de Carces entre eux deux. Leur marche dura plus de deux heures, au milieu de la nuit et à la lueur des flambeaux et des lampions placés à toutes les fenêtres, tant était immense la foule qui remplissait les rues et qui faisait retentir l’air de ses cris d’allégresse. Arrivé au palais, après un discours du président de la Roque et un réquisitoire très véhément de l’avocat-général de Beaurecueil, les anciens magistrats reprirent leurs fonctions et renouvelèrent leur serment de fidélité au roi. Ils pourvurent ensuite à la tranquillité de la ville comme à la sûreté de leurs ennemis. Le lendemain ils s’assemblèrent de nouveau et leur premier acte fut de casser le semestre par un arrêt solennel portant défenses à ceux qui le composaient, de faire aucune fonction de leurs charges, à peine de faux, et aux consuls des villes et lieux de la province, de les reconnaître, à peine de dix mille livres d’amende. Ils interdirent ensuite les consuls et assesseur d’Aix, comme ayant été nommés contrairement aux statuts municipaux du pays, et ils ordonnèrent que ceux-ci seraient remplacés par le premier consul et par l’assesseur de l’année précédente, qui étaient le baron de Bras et d’Ansouis et l’avocat Séguiran, en attendant qu’on en eût élu de nouveaux dans les formes ordinaires.
Nous avons déjà rapporté les suites de cette journée mémorable dans les annales d’Aix. Nous ajouterons cependant que vers le milieu du mois d’avril suivant, le parlement délibéra qu’à l’avenir il assisterait annuellement en corps et en robes rouges à la procession de Saint-Sébastien ; qu’elle ne sortirait plus désormais de la ville, mais qu’elle aurait lieu intérieurement ; que la cour fairait présent d’une lampe en argent à l’église de Saint-Sébastien où se faisait la fête du jour ; que vingt-cinq pauvres habillés de neuf aux dépens du parlement, marcheraient à la procession ; enfin qu’un de ses membres serait nommé, chaque année, en qualité de prieur de cette nouvelle confrérie, et que ce prieur serait placé à la tête des pauvres, un flambeau à la main, précédé des tambours et d’un huissier. Il fut encore dit, par une autre délibération, que le parlement fairait exécuter une statue en argent de la sainte Vierge, du prix de trois mille livres, dont il serait fait présent à la chapelle de Notre-Dame d’Espérance, à Saint-Sauveur, et que la cour assisterait, chaque année, à une messe solennelle dans cette chapelle, en actions de grâces de la suppression du semestre ; enfin que cette messe aurait lieu le 15 avril, jour anniversaire de l’arrivée à Aix des dernières expéditions relatives à cette suppression.
Ces usages ont subsisté depuis lors jusqu’à la révolution, à la seule différence que depuis 1660, le parlement n’assistait plus qu’en robes noires à la messe du 15 avril et à la procession de Saint-Sébastien. Celle-ci étant sortie de Saint-Sauveur, défilait en vue de chacune des portes de la ville qu’on tenait fermées pendant ce temps-là en mémoire de ce qui s’était passé en 1649. L’officiant s’arrêtait devant chaque porte et récitait une oraison pendant qu’on faisait une décharge de boîtes. Les consuls et assesseur avaient continué d’assister, comme auparavant, à la procession et tenaient en mains les cordons du dais. Quatre valets de ville, placés en avant du chapitre, portaient des flambeaux allumés et la sénéchaussée terminait la marche, à la suite du parlement.
La procession s’arrêtait dans l’église de Saint-Sébastien, détruite pendant la révolution. Le parlement, la sénéchaussée et les consuls y avaient, ce jour-là, des places réservées. L’officiant entonnait le Tantum ergo et donnait ensuite la bénédiction du Saint-Sacrement, après quoi la procession rentrait à Saint-Sauveur. Le parlement et la sénéchaussée y faisaient le tour du baptistère, en dehors des belles colonnes de granit qui en supportent le dôme, et allaient ressortir par la grande porte de 1’église, tandis que les consuls et assesseur, après avoir fait le même tour du baptistère, se retiraient par la petite porte des chapiteaux.
Nous rappellerons, en finissant, que les bonnes religieuses de Saint-Sébastien ne manquaient pas d’inviter ce jour-là les cavaliers et les dames de la plus haute société de la ville, à venir assister au salut dans leur église ; et comme elles excellaient par-dessus toutes les autres, dans l’art du confiseur, elles ne laissaient sortir aucune des personnes invitées sans les avoir bourrées de biscuits, de confitures et de bonbons et en avoir rempli toutes les poches, principalement de Cacas de nones : antiques et innocentes dragées qui ont disparu devant l’inexorable révolution, comme le parlement et les consuls, le couvent et la procession de Saint-Sébastien.
Sous la tyrannie de Robespierre, le club des anti-politiques républicains tenait ses séances dans cette église de Saint-Sébastien, dont les religieuses avaient été expulsées. Ce fameux club, affilié aux Jacobins de Paris et dont les membres s’énorgueillissaient du titre de Sans-Culottes, avait été fondé en 1790 dans l’ancienne église des Bernardines, par l’abbé Rive, duquel nous avons parlé ci-dessus, 9 et s’était transféré depuis dans celle-ci.
C’est de là que pendant le règne de la Terreur, sortaient journellement les motions les plus délirantes, les plus affreuses dénonciations, les proscriptions de tout genre contre les ci-devant nobles, les prêtres, les aristocrates et, des uns aux autres, contre tout ce qui possédait quelque fortune. Les vertus, les talents ne garantissaient personne de la fureur des Sans-Culottes et l’irritaient même bien souvent. Les arrêts de mort que prononçaient les tribunaux révolutionnaires établis dans toute la France, étaient, quant aux malheureux citoyens d’Aix qui y étaient traduits, élaborés à l’avance dans cet affreux repaire. Des bourreaux en sortirent même avant l’établissement de ces tribunaux, et combien d’entre eux ne s’y vantèrent-ils pas d’avoir pendu à la lanterne ou aux arbres du Cours, de la Rotonde ou de Fenouillères, tel ou tel prêtre, tel ou tel aristocrate ? Nous avons ouï parler, il y a plus de cinquante ans, d’un de ces pendeurs qui, se trouvant à dîner chez une famille respectable où la peur l’avait fait convier, sortit de sa poche un fragment de tibia avec lequel, dit-il, il serrait la corde autour du cou des malheureux que la pendaison n’étranglait pas assez vite. Il baisa ensuite cet os, le fit passer à son voisin et malgré l’horreur qu’inspirait cette vue, tous les convives le baisèrent à leur tour, sans paraître témoigner aucune émotion. Le monstre les épiait et le moindre signe les eût conduit infailliblement à la mort.
Ce club fut fermé au commencement de 1795 et peu d’années après l’église de Saint-Sébastien fut abattue. Celle-ci était située vis-à-vis l’île de maisons qui sépare la rue de la Treille de la rue Nouestré-Seigné (Notre Seigneur), dont le nom est tiré d’une statue du Sauveur qui y est étalée depuis un temps immémorial, et sur laquelle rue nous n’avons aucune anecdote à rapporter.

1 Voyez ci-dessus, pag. 68 et 69. Retour

2 Ibid. Retour

3 Voyez ci-dessus pag. 48. Retour

4 Voyez ci-dessus, pag. 47 et 48. Retour

5 Les autres étaient l’avocat Viany, assesseur, et Bompar, second consul ; Villeneuve d’Espinouse, premier consul, n’était pas, ce jour-là, dans la ville. Retour

6 Le premier de cette honorable famille qui vint s’établir à Aix, est un Jean Rostolan, natif du lieu de Guillestre, au diocèse d’Embrun, marié, le 7 mars 1588, à Espérite Girard (Hercules Rancurel, notaire, à Aix), de laquelle il eut Balthazar, consul, qui donne lieu à cette note. André Rostolan, fils de Balthazar, fut aussi dernier consul en 1687, et un autre André, petit-fils du précédent, l’a été également en 1761. Celui-ci est l’aïeul de M. Louis de Rostolan, né à Aix le 31 juillet 1791 ; aujourd’hui lieutenant-général, commandant de l’école royale polytechnique, à Paris. Retour

7 Le duc d’ Angoulême, son père, était fils naturel du roi Charles IX, de la branche de Valois. Retour

8 Voyez ci-dessus, pag. 55, 60 et 61. Retour

9 Voyez ci-dessus pag. 92, not. 2. Retour