Les Rues d’Aix
ou recherches historiques sur l’ancienne capitale de Provence
par Roux-Alpheran en 2 tomes 1848 et 1851
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PLACE AUX HERBES
A place aux Herbes fut construite vers l’an 1360, peut après la réunion du bourg Saint-Sauveur à la ville comtale. Elle se trouvait alors au centre de ces deux villes qui n’en formaient plus qu’une, et la reine Jeanne de Naples, comtesse de Provence, confirma cette construction par ses lettres-patentes données à Averse, au mois de septembre 1365.
Dans le courant des cent années qui suivirent, la peste désola quatre fois la ville d’Aix. 1 Le bon roi René, qui régnait lors des deux dernières, voulant en préserver désormais les habitants, eut recours, en 1470, au pape Paul II, qui lui envoya des reliques de saint André et de saint Sébastien. René les déposa dans une chasse d’or enrichie de pierres précieuses, dont il fit présent à l’église métropolitaine de Saint-Sauveur, à la condition qu’il serait fait chaque année, le jour de Saint Sébastien, une procession générale tout autour de la ville, en dehors des murs. Nous dirons ailleurs pourquoi cette procession n’eut plus lieu que dans l’intérieur de la vile, depuis 1650 jusqu’à la révolution ; nous nous bornerons ici à ce qui concerne la place. 2
Le roi René y fit bâtir aussi, à la même époque, une chapelle dédiée à saint Sébastien, laquelle fut transférée au quartier de l’Observance, en 1618, lorsqu’on voulut construire la halle au poisson qui subsiste depuis lors.
Au-devant de cette halle, du côté du nord, le terrain était exhaussé, il y a peu d’années encore, de quelques pieds au-dessus du sol des rues latérales. Pitton assure, dans son histoire d’Aix pag. 24, que » çà été pour conserver une cave faite en rond, laquelle est au-dessous de la fontaine, et autour de laquelle il y a seize siéges de marbre faits en forme de niches, et à côté deux tuyaux, sans doute pour faire le mélange des eaux chaudes avec les froides pour une plus grande délicatesse. »
Quelques raisons que nous eussions personnellement de douter de l’exactitude de cette assertion, nous unîmes nos vœux, en 1838, 3 à ceux de nos concitoyens pour que l’administration fit faire dans ce lieu des fouilles qui pouvaient amener la découverte de quelques restes précieux des antiquités que les Romains nous ont laissées. Les fouilles furent faites en effet deux ou trois ans plus tard lorsqu’on a rabaissé le terrain en question au niveau du sol des rues voisines, et nous n’avons jamais ouï dire qu’on ait trouvé les siéges de marbre ni la cuve faite en rond dont parle Pitton.
Tout autour de la place aux herbes, comme autour de la halle, sont des bancs de pierre sur lesquels les jardiniers étalent les légumes et les herbages qu’ils exposent en vente. Plusieurs de ces bancs sont des propriétés particulières, les autres appartiennent à la ville. Parmi ceux-ci, il y en a un qui est appelé dans les vieux titres, le banc du Roi. Ce nom lui vient de ce qu’il appartenait anciennement à nos souverains des deux maisons d’Anjou qui possédaient comme on le sait, le royaume de Naples. Ceux de la seconde de ces maisons, ayant perdu ce beau royaume, n’étaient pas riches et ne dédaignaient pas de faire vendre, à l’instar des simples particuliers, l’excédant des herbages que leurs jardins, situés près de la ville, leur produisaient et qu’ils ne consommaient pas à leur table. Le bon roi René qui en était réduit à cette extrémité, quittait cependant ses fermiers d’une partie de leurs fermages, lorsque le mistral, la grêle ou les inondations avaient détruit une portion des récoltes. On tient même pour certain qu’il diminuait, en pareil cas, les modiques impositions qu’il levait sur son peuple. C’est pour cela que le nom de bon lui fut donné de son vivant et lui sera conservé jusque dans la postérité la plus reculée.
Nous terminerons la notice historique de cette place par la mention d’une ordonnance faite par l’honorable conseil de la ville d’Aix, le 10 novembre 1452, portant règlement sur le prix du poisson. Cette pièce, qu’on trouve dans le livre rouge de l’Hôtel-de-ville, est écrite en provençal. Le poisson y est divisé en quatre classes dont voici les prix :
1re Classe : Thons, saules, rougets et pélamides, 8 deniers la livre. 4
2me Classe : Mulets (mujoux), dorades, loups et trente-deux autres espèces analogues, 6 deniers la livre.
3me Classe : Seize espèces plus communes, 4 deniers la livre.
4me Classe : huit autres espèces inférieures, 2 deniers la livre.
Le dernier article porte : item que en las taxas sobra dichas non son compreses nostre senhor lo rey, madama la reyna, lurs enfants, mossiur lo senescal, ni lurs estats : ma que compran coma lur semblara.
N’est-ce pas le cas ici de dire, avec un poète de nos jours : 5
O mœurs naïves! jours prospères!
Qu’ont vu les pères de nos pères,
Et qui nous ont fui pour toujours!
1 En 1390, 1416, 1451 et 1466. Retour
2 Voyez ci-après, rue Saint Sébastien. Retour
3 Voyez le Mémorial d’Aix du samedi 16 juin 1838, article place aux Herbes. Retour
4 Le denier était, comme on s’en souvient, la douzième partie du sol tournois qui vaut, aujourd’hui cinq centimes. Retour
5 Fontanes, Ode sur les tombeaux de Saint-Denis. Retour