Les Rues d’Aix
ou recherches historiques sur l’ancienne capitale de Provence
par Roux-Alpheran en 2 tomes 1848 et 1851
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RUE DE LA SABATERIE
‘ANNEE 1649, célèbre dans l’histoire d’Aix, fut appelée l’Année des treize consuls, parce qu’en effet, l’administration municipale et la procuration du pays passèrent successivement dans les mains de treize personnes différentes. Le 1er novembre 1648, François de Villeneuve, seigneur d’Espinouse, Jacques Viany, avocat, assesseur, François de Beaumont et Balthazard Rostolan, étaient entrés en exercice en vertu des lettres-patentes du roi, rendues à la sollicitation du comte d’Alais, gouverneur de Provence, qui venait d’obtenir l’établissement du parlement semestre. Ces consuls, ainsi nommés par l’autorité souveraine, au lieu de l’avoir été par le conseil de ville, suivant les formes ordinaires, étaient par cela même odieux au peuple. Beaumont, l’un d’eux, mourut peu après sa nomination et Melchior de Bompar lui avait été subrogé, lorsque le 21 janvier 1649, lendemain de la fameuse journée de Saint Sébastien dont nous parlerons ailleurs, 1 le parlement reprenant ses fonctions, cassa le semestre par un arrêt solennel, et interdit les consuls et assesseur d’Aix comme ayant été nommés contrairement aux statuts municipaux du pays. Le premier consul et l’assesseur de l’année précédente Sextius d’Escalis, baron d’Ansouis, et Guillaume de Séguiran, furent délégués par le même arrêt pour exercer les fonctions consulaires, et le 17 avril suivant, François de Duranti, sieur de Montplaisant et François Barthélemi, leur furent donnés pour collègues en qualité de second et troisième consuls. Ces quatre magistrats, favorables au parlement et ennemis déclarés du semestre et du comte d’Alais, levèrent des troupes conjointement avec les officiers du parlement, pour aller combattre celles du gouverneur qui, étant sorti du palais d’Aix où il était retenu prisonnier depuis le jour de Saint Sébastien, ne respirait que la vengeance et la ruine de ses ennemis.Le 14 Juin, les troupes de l’un et de l’autre parti se trouvèrent en présence dans la plaine du Val, petit village situé entre Brignoles et Barjols. Le consul François Barthélemi y commandait en personne une compagnie et y fut tué, ainsi que bien d’autres cadets d’Aix, parmi lesquels on cite Duchaine, fils d’un conseiller, d’Arbaud de Bresc, d’Estienne-Vaillac et son frère. Parmi les blessés se trouvèrent d’Ollières, d’Estienne du Bourguet, d’Honorat de Pourcieux, Vitalis, Astier le jeune, Rancurel et de Guerre. C’est ce qu’on nomme la Journée du Val, où les parlementaires furent mis en déroute par les soldats du comte d’Alais, notamment par ceux du régiment de Saint-André-Montbrun, que le comte avait appelé du Dauphiné à son secours. La nouvelle de cette journée jeta la ville d’Aix dans la consternation; mais quelques semaines après, Saint-Aignan, maréchal de bataille, y arriva, porteur d’une déclaration du roi, en date du 10 août 1649, par laquelle il était ordonné, entre autres dispositions, que les deux partis mettraient bas les armes; que le comte d’Alais congédierait ses troupes; que la ville d’Aix, le parlement et la cour des comptes lui enverraient des députés pour l’assurer de leur affection, le prier d’oublier le passé et de retourner dans cette ville où il serait reçu avec les honneurs et le respect dus à son rang; enfin, que les consuls et assesseur d’Aix seraient remplacés; ce qui fut fait par le conseil de ville où furent nommés, le 29 août, honoré de Brancas, baron de Céreste, Aubine de Croze seigneur de Lincel, assesseur, Pierre Pellicot, seigneur de Saint-Paul, et François Alpheran (notre trisaïeul maternel), lesquels demeurèrent en charge jusqu’au 31 octobre 1650, et complétèrent le nombre des treize consuls qui donnèrent ce nom a l’année 1649. François Barthélemi, l’un d’eux, tué au combat du Val, habitait, dans la rue de la Sabaterie, une maison située à peu près au centre de la ligne méridionale de cette rue, et sur la porte d’entrée de laquelle on voit encore un écusson où se trouvaient sculptées les armes de la famille Barthélemi, qu’on a mutilées pendant la révolution. 2
Laurent Fauchier, peintre très distingué, était né dans cette même rue de la Sabaterie, le 11 mars 1643. Il était fils de Balthazard Fauchier, originaire de Brignoles, qui était venu se retirer à Aix pour y exercer la profession d’orfèvre, et où il avait épousé, en 1638, Anne Marguerit, fille de Joseph et de Jeanne Chantre. Laurent n’était donc pas né à Brignoles vers 1631, comme le prétend l’auteur de son article dans le Dictionnaire des Hommes illustres de Provence (tome 1er pag. 279 et suiv.). Il s’adonna de bonne heure à la peinture et se fît connaître d’abord par un tableau qui lui fit le plus grand honneur, représentant une apothéose de saint François enlevé au ciel par des anges. Mais le genre du portrait dans lequel il excella depuis, mit le comble à sa réputation, et ceux du conseiller de Venel et de l’évêque d’Apt, de Gaillard, que madame de Vend, née de Gaillard , femme de l’un et sœur de l’autre, alors sous-gouvernante des enfants de France, mit sous les yeux de toute la cour, lui attirèrent les éloges les plus flatteurs. Des propositions brillantes lui furent faites pour aller s’établir à Paris, non toutefois par Simon Vouet , peintre du roi , comme le veut le dictionnaire en question, car Vouet était mort en 1641, avant la naissance de Fauchier; mais il s’y refusa par modestie et ne voulut jamais quitter sa ville natale où il laissa un nombre infini de portraits qui rivalisaient, au dire des connaisseurs, avec ceux de Van Dyck, tels que les portraits du cardinal de Vendôme des trois premiers présidents de Bernet, de Mesgrigny et Henri de Forbin-d’Oppède, des présidents de Grimaldi-Regusse et de Coriolis d’Espinouse, de MM. de Venel et de Gaillard dont nous venons de parler, etc. Ce qu’on estime le plus de lui est le portrait d’un sieur Imbert, jouant du luth, aujourd’hui au pouvoir de M. le marquis de Sinéty. Fauchier mourut à Aix non en 1663, à l’âge de 32 ans, en peignant la belle du Canet, ainsi qu’il est encore dit par erreur dans le dictionnaire précité , mais le 25 mars 1672, à peine âgé de 29 ans et quelques jours, tandis qu’il peignait madame de Grignan, fille de l’illustre Mme de Sévigné. 3
1 Voyez ci-après rue et procession de Saint Sébastien. Retour
2 MM. Rouchon-Guigues, issus, par les femmes, de cette famille Barthélemi qui est éteinte, possèdent aujourd’hui la maison que nous indiquons ci-dessus. Retour
3 Cette date de la mort de Fauchier (25 mars 1672) cadre parfaitement avec ce qu’écrivait Mme de Sévigné à sa fille, le 25 du même mois « J’aime fort votre petite histoire du peintre ; mais il faudrait, ce me semble, qu’il mourût. » Sur quoi l’éditeur, M. de Perrin, et les autres éditeurs après lui, disent que ce peintre, nommé Fauchier, faisant le portrait de Mme de Grignan en Magdelaine, fut pris d’une colique si violente qu’il en mourût le lendemain. Nous devons les dates précises, que nous ne connaissions pas, de la naissance et de la mort de Laurent Fauchier, à l’obligeance de M. Pons, docteur en médecine, qui, sur l’indication que nous lui avions donnée du mariage de Balthazar et d’Anne Marguerit, en 1638 (paroisse Sainte-Magdelaine), a eu la patience de compulser feuille par feuille les registres de la paroisse Saint-Sauveur, dans laquelle était située alors la rue de la Sabaterie, et ceux du couvent des cordeliers où fut enterré Fauchier. Il est vrai que dans son mortuaire il est prénommé Joseph au lieu de Laurent, mais la qualité de fameux peintre qu’on lui donna dans cet acte, ne laisse aucun doute que ce ne soit là une erreur d’ailleurs assez commune dans les registres de naissances de mariages et de décès tant anciens que modernes, témoins les jugements nombreux de rectifications que les tribunaux rendent à ce sujet. Laurent avait épousé, en 1361, une autre Anne Marguerit , sa cousine germaine, de laquelle il laissa Jean Fauchier, orfèvre à Aix, qui eut postérité. Retour