Les Rues d’Aix
ou recherches historiques sur l’ancienne capitale de Provence
par Roux-Alpheran en 2 tomes 1848 et 1851
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RUE DES BREMONDI
LLE portait jadis indifféremment le nom de deux familles Bremondi et Sibert qui, très anciennement, y fesaient leur résidence. Elle a retenu le premier, et il est surprenant qu’on ne lui aie pas donné préférablement celui d’une troisième famille qui y a demeuré aussi pendant plusieurs siècles et à laquelle; se rattachent d’honorables souvenirs.
Nous voulons parler de la famille Borrilli, dont quatorze membres, pères, fils, frères, oncles, neveux ou cousins, ont exercé le notariat dans Aix, pendant l’espace d’environ 260 ans, Depuis un François Borrilli, reçu en 1385, jusqu’à Boniface Borrilli, mort revêtu du même office en 1648.
Ce dernier était un savant antiquaire et un amateur éclairé des Beaux-arts, à l’exemple de Rascas de Bagarri et de Peiresc, ses illustres contemporains. Sa maison, qui était celle de ses pères, était située au bout de la rue dont nous parlons, à gauche en venant par celle de la Grande-Horloge et elle fait le coin dans la rue de l’Ecole, autrement dite de Saint-Joachim. Boniface Borrilli y avait formé un riche cabinet où l’on voyait plus de 120 tableaux des meilleurs maîtres, tels que Michel-Ange, le Bassan, le Titien, le Caravage, Léonard de Vinci et quelques autres ; le portrait de Rubens par Van-Dick, 1 des statues antiques et modernes, en bronze et en marbre, parmi lesquelles était une en marbre de Bandinelli, représentant un Sénèque mourant et du plus grand prix ; des vases et des instruments antiques très curieux qui avaient servi aux Romains pour leurs sacrifices ou à d’autres usages ; des ornements de femme, en matières précieuses et principalement deux bracelets en or, découverts à Antibes dans un tombeau de marbre ; trois squelettes en terre cuite, de Michel-Ange, un vase et un bassin de jais très remarquables par leur grosseur ; des pétrifications de toute espèces ; des momies d’Egypte, etc.., etc..; soixante-dix médailles d’or, grecques ou romaines, huit cents en argent, et seize cents en bronze ; les monnaies de tous les rois de France depuis Charlemagne ; celles des comtes de Provence; le sabre du fameux Raymond de Turenne, qui avait mis ce pays à feu et à sang à la fin du XIVe siècle; enfin un verre dont la coupe seule avait un pied de hauteur, contenant environ un pot de vin et qui avait appartenu au roi René. Sur le pied de ce verre on lisait ces mots provençaux tracés en lettres d’or : Qu ben beoura Diou veïra ; et tout au autour du bord ces autres mots ; Qu me beoura de touto soun haleino veïra Diou et la Madaleno.
En effet, l’image du Sauveur et celle de la Magdelaine étaient peintes au fond de la Coupe et se découvrait ainsi aux yeux de l’intrépide buveur qui l’avait vidée d’un seul trait. 2
Michel Borrilli, prieur de Ventabren, fils de Boniface, et ses successeurs, avaient conservé jusqu’à la révolution la majeure partie de ces objets de ce cabinet, ainsi que la maison qui le renfermai. Mais depuis il a été dispersé et on en trouve encore à Aix quelques pièces éparses dans différents cabinets.
Louis XIII se trouvant dans cette ville au mois de novembre 1622, fut curieux de visiter le cabinet de Borrilli. Frappé de cet assemblage précieux de tant de raretés, il voulut y laisser un monument de sa munificence, et il y déposa le riche baudrier qui lui avait servi le jour de son sacre. Il décora en même temps Boniface Borrilli du titre de secrétaire ordinaire de la chambre du roi qu’il porta jusqu’à la fin de ses jours, lui permettant aussi de placer la figure de ce baudrier en chef de ses armes, dans un champ d’azur et entouré de fleurs de lis d’or. C’est ce que fit Borrilli en y ajoutant cette devise : totus me videat, gestet, miretur et orbis. Il en fit aussi faire une représentation en marbre qu’il plaça en-dessous d’un buste de Louis XIII, en médaillon dans l’église des Cordeliers où se trouvait la sépulture de sa famille, avec cette inscription au bas : Balteum marmoreum reddo quod aureum accepi.
Un si noble présent exerça bientôt la muse de tous les beaux esprits du temps, et Borrilli en fit imprimer le recueil sous ce titre : Le baudrier du sacre de Louys le Juste, XIII de son nom, roi très chrétien de France et de Navarre ; Aix, Tholozan, 1623, in-4°.
La famille Borrilli était tombée en quenouille dans une autre honorable famille du nom de Fabri, qui avait réuni les deux noms et les deux écus, et qui s’est également éteinte en la personne de M. de Fabri-Borrilli, ancien conseiller au parlement d’Aix, mort en cette ville en 1821. Celui-ci avait occupé pendant quelques années, sous l’empire et à son retour de l’émigration, une place de juge au tribunal de première instance de Marseille, ce qui ne le flattait pas infiniment, comme on va le voir. Il nous souvient qu’en 1809, il fit une apparition à Aix et vint voir M. de Saint-Vincens son ancien collègue au parlement, alors maire de cette ville, chez qui nous nous trouvions dans ce moment. Ces messieurs causèrent librement des pertes qu’ils avaient éprouvées depuis vingt ans ; des dédommagements que leur offrait le gouvernement impérial, et surtout des métamorphoses que la révolution avait opérées en eux. M. de Fabri-Borrilli plaisantait sur son nouvel état auquel étaient attachés néanmoins d’assez forts émoluments, ce qui le consolait tant soit peu, et il termina ses railleries par un sarcasme : ce n’est plus beau, dit-il, mais c’est bon. – Hélas, mon ami, lui répartit vivement M. de Saint-Vincens, dont les fonctions étaient gratuites, ce qu’on m’a donné n’est ni beau ni bon. Il ne prévoyait pas sans doute qu’à quelques temps de là, il serait nommé membre du législatif, puis second président de la cour impériale d’Aix, ou M. de Fabri-Borrilli entra le même jour que lui, comme conseiller, ainsi que d’autres anciens membres du parlement.
1 Ce beau portrait avait été envoyé par Rubens lui-même à notre illustre Peiresc en 1629. (Voyez les Lettres inédites de P.-P. Rubens, publiées d’après ses autographes, par Emile Gachet, Bruxelles 1840, in-8°, de 290 pag., sans l’avant-propos et l’introduction. Lettre 73 de Rubens à Peiresc du 9 août 1629, et lettre 77, du même au même, du … août 1630). Après la mort de Peiresc il passa dans le cabinet des Borilli (Curiosités d’Aix, par de Haitze pag. 61), et c’était à peu près tout ce que le conseiller de Fabri-Borilli, dont nous parlons plus bas et qu’on avait spolié pendant son émigration, avait conservé du précieux cabinet des ses prédécesseurs. Une servante qui savait combien il y tenait, l’avait roulé et jeté dans un coin pour le soustraire aux regards des metteurs de scellés chez les émigrés. Tout le teste fut dilapidé ou vendu. A sa mort, M. de Fabri-Borilli le donna à son ami François Bermond, conseiller doyen de la cour royale d’Aix, démissionnaire en août 1830, mort le 21 mars 1842, âgé de 90 ans. Lequel nous à légué ce portrait en témoignage de l’estime et de l’amitié dont il nous honorait et nous le possédons depuis dans notre cabinet. Retour
2 Voyez le Mercure français, tome X, année 1624, pag. 392 et suivantes ; – les curiosités les plus remarquables de la ville d’Aix, par de Haitze, pag. 61 ; – Histoire d’Aix, par Pitton, pag. 677 – Histoire générale de Provence, par Papon, tome IV, pag. 437 ; et. autres auteurs. Retour