Les Rues d’Aix
ou recherches historiques sur l’ancienne capitale de Provence
par Roux-Alpheran en 2 tomes 1848 et 1851
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RUE DE L’OFFICIAL
OUS avons dit plus haut que sous les comtes de Provence de la maison d’Anjou, les greniers à sel de ces souverains étaient établis dans la rue des Gantiers d’aujourd’hui, qu’on nommait alors la rue des Salins, et comme il existait d’autres greniers dans celle-ci, on la désignait plus particulièrement sous le nom des Salins supérieurs. Elle portait encore cette dénomination sous le règne de Henri II, époque à laquelle Victor Peyroneti, vicaire-général et official métropolitain du diocèse d’Aix, y fit bâtir une belle maison qui subsiste encore et dont l’architecture atteste le bon goût qui se faisait remarquer au milieu du XVIe siècle.
Nous n’avons pas besoin de dire que cette maison se trouve à gauche au haut de la rue, en face de celle de la Glacière. Il n’est pas un habitant d’Aix qui ne se soit arrêté devant elle mille et mille fois dans sa vie, et qui n’ait pris plaisir à en considérer la façade, les pilastres en demi-relief qui règnent le long du rez-de-chaussée et du premier étage, les sculptures qui ornent la porte d’entrée et surtout la frise élégante qui surmonte le premier étage et le sépare des étages supérieurs. On distingue plusieurs fois dans cette frise la tête de bœuf que la famille Peyroneti portait dans ses armes. En effet, nous possédons dans nos recueils un diplôme de docteur es-droits en l’université d’Aix, délivré en 1550 au nom de Victor Peyroneti, alors vice-chancelier de cette université, et signé par lui. Ce diplôme, sur parchemin, est orné, dans sa partie supérieure et sur ses deux côtés, d’arabesques en miniatures dorées et enluminées avec beaucoup de soin et entremêlées de charmantes figures de génies parfaitement exécutées. On y voit aussi les armes de France, celles de l’université et celles des Peyroneti ainsi blasonnées : d’azur à la tête de bœuf d’or vue de face, au chef de gueules chargé de trois étoiles d’or, avec cette devise : ex laboribus fortunas paro, (j’acquiers les richesses par le travail).
Le vestibule de la maison en question est voûté ; sous la voûte sont des moulures de bon goût et tout autour du vestibule des niches où existaient sans doute autrefois des statues qui ont disparu. On passe de là dans une cour intérieure à droite de laquelle on trouve le grand escalier. Mais les appartements ont subi des changements dans les temps modernes et ne méritent pas qu’on en fasse mention.
Quelques personnes, frappées de ce luxe de construction, pensent que c’était là anciennement l’Hôtel-de-Ville. C’est une erreur. L’Hôtel-de-Ville était situé, avant sa translation dans le lieu où nous le voyons, sur la place de l’Annonerie Vieille, qui se trouve entre la rue de l’Official dont nous parlons et celle de Beauvezet, ainsi que nous le dirons en parlant de cette place. Ce voisinage peut même avoir contribué à propager l’erreur que nous venons de signaler. Quoi qu’il en soit, c’est ce Peyroneti, official d’Aix, qui a donné à la rue qu’il habitait le nom qu’elle porte depuis près de trois siècles.
La famille Peyroneti était ancienne dans notre ville et s’éteignit en la personne de Victor, homme de mérite qui, avant d’être official du diocèse, avait été moine de Montmajor, et qui fut enfin chancelier de l’université d’Aix en 1564. Ses biens passèrent avec son nom dans la famille de Croze, qui a possédé pendant longtemps et jusqu’à la révolution la seigneurie de Lincel, et qui a fourni plusieurs magistrats, soit au parlement, soit à la cour des comptes de Provence. Le dernier de ces magistrats, Jean-Baptiste de Croze-Peyroneti, sieur de Lincel se fit remarquer par son emportement, dans la scène la plus inouïe peut-être, qui ait jamais eu lieu dans l’église de Saint-Sauveur.
En 1683, la sécheresse était extrême. Le cardinal Grimaldi, archevêque d’Aix, ordonna des prières publiques qui devaient être suivies d’une procession, et les assigna au 28 avril dans son église métropolitaine. Le parlement fut bien aise d’y assister et la cour des comptes voulut y paraître aussi. Le parlement, instruit de cette prétention, fit signifier à MM. des comptes de s’en désister; mais ce fut inutilement. Ses huissiers furent bafoués et leurs exploits mis en pièces. L’heure des prières étant arrivée, le parlement, en robes rouges, entre le premier dans le chœur de Saint-Sauveur et en fait fermer les portes. La cour des comptes arrive bientôt après, et ne pouvant pénétrer, chacun de ses membres se met à pousser des hurlements affreux et d’horribles imprécations malgré la sainteté du lieu; mais rien ne peut émouvoir MM. du parlement. MM. des comptes essayent vainement de forcer les portes qui résistent à tous les efforts. Alors le conseiller de Lincel escalade la grille de fer qui séparait le chœur de la grande nef, se place à califourchon sur le crucifix qui la surmontait, et de là, muni d’un mousquet qu’il avait arraché des mains d’un cavalier de la maréchaussée, il couche en joue le premier président du parlement et le somme de faire ouvrir les portes. Ce premier président était Arnoul Marin, si connu par ses sanglantes épigrammes contre ses collègues, et dont nous aurons occasion de parler. Justement effrayé des menaces du conseiller de Lincel, il se blottit, plus mort que vif, sous un accoudoir, et il y serait demeuré exposé au plus grand danger, Si le cardinal n’eût renvoyé les prières et la procession à un autre jour. Les deux cours souveraines se retirèrent alors, et des rixes particulières eurent lieu au milieu des rues entre les membres de l’une et de l’autre cour. Le premier président Marin, obligé de se jeter dans une chaise à porteurs, fut assailli dans la rue des Trois-Ormeaux, et eut bien de la peine à rentrer sain et sauf au palais.
En réparation d’un aussi grand scandale, un arrêt du conseil d’Etat du roi, du 30 novembre suivant, ordonna que MM. des comptes assisteraient à genoux, au-devant de leurs places ordinaires, à une grand’messe que l’archevêque ferait célébrer à Saint-Sauveur, et que le conseiller de Lincel y assisterait de même, à genoux et placé seul en dehors de la porte du chœur. Cet arrêt fut exécuté le 23 décembre, avec une entière soumission et un recueillement parfait de la part des coupables sincèrement repentants de l’irrévérence qu’ils avaient commise dans le temple du Seigneur.
Vingt-cinq ans après cet événement, un riche mariage attira la famille de Croze-Lincel dans la ville d’Arles où elle a subsisté honorablement jusqu’à nos jours. Sa maison d’Aix, qui a donné lieu à cet article, fut vendue probablement à cette époque, si même elle ne l’avait pas été auparavant, ce que nous ignorons. C’est dans cette maison que, vers le milieu du siècle dentier sont nés le général Miollis, 1 l’une des illustrations modernes de notre ville, et son vénérable frère, l’évêque de Digne. 2
1 Sextius Alexandre François comte de Miollis, lieutenant-général, grand-officier de la Légion D’honneur, chevalier de l’ordre royal et militaire de St-Louis, commandeur de l’ordre de la Couronne de fer, né à Aix, le 18 septembre 1859, décédé au château de la Sextia près Puyricard, le 18 juin 1828. Les Etats-Unis d’Amérique et l’Italie furent les théâtres de ses exploits, ainsi que le rapporte brièvement l’inscription placée sur l’un des côtés de son tombeau au cimetière d’Aix YORK-TOWN, LOANA, MONDOVI, SAINT-GEOGES ET LA FAVORITE, GÊNES, SIENNE; et sur l’autre côté du monument., les noms des gouvernements qu’il avait obtenus en récompense de ses services MANT0UE, FLORENCE, VENISE, ROME. Sur la principale façade du tombeau, sont les noms, qualités et dates que nous avons mentionnés ci-dessus. Retour
2 Voyez rue Mazarine. Retour