Les Rues d’Aix
ou recherches historiques sur l’ancienne capitale de Provence
par Roux-Alpheran en 2 tomes 1848 et 1851
>>> Retour Accueil du Blog <<<
NEUVIÈME AGRANDISSEMENT
(1646).
AR lettres-patentes données à Paris au mois de janvier 1646, enregistrées au parlement d’Aix, le 15 février de la même année, le grand roi Louis XIV permit à messire Michel Mazarin , archevêque d’Aix, (frère du cardinal Jules, premier ministre, et depuis cardinal lui-même du titre de Sainte-Cécile, vice-roi de Catalogne, etc. ), de faire enclore dans la ville le faubourg Saint-Jean, le jardin et les prés de l’archevêché, depuis le boulevard jusqu’à la porte des Augustins 1 ; y faire, à ces fins, les fossés, murailles, portes, pont-levis, tours, tourelles, etc., et désirant gratifier ledit archevêque, lui donna les vieilles murailles, tours, ravelins, fossés, places, lices intérieures et extérieures, etc.
Au mois de décembre suivant, l’archevêque Mazarin céda tous ses droits, moyennant la somme de quarante-cinq mille livres, à un gentilhomme romain appelé Michel d’Elbène de Ponssevère qui, par un acte du même jour, déclara n’avoir fait que prêter son nom à noble Jean-Henri d’Hervart, seigneur d’Hevinquem, depuis conseiller d’État, lequel doit être considéré comme le véritable auteur de cet agrandissement. C’était un Allemand, d’abord établi à Arles, puis à Aix où il épousa, en 1651, Lucrèce de Venel, 2 sœur de Gaspard, conseiller au parlement, personnage plaisant qui a donné son nom à la rue où il demeurait, 3 et dont la femme, Magdelaine de Gaillard, fut d’abord gouvernante des nièces du cardinal Mazarin, puis sous-gouvernante des enfants de France et dame de la reine.
Avant cet agrandissement qui forme, à lui seul, à peu près un tiers de la ville actuelle, l’ancienne ville, y compris les quartiers de la Plate-forme et de Saint-Louis et celui de Villeverte, était bordée au midi par le rempart qui occupait, sauf quelques sinuosités, l’emplacement de la contre-allée septentrionale du Cour, depuis l’hôtel des Princes, situé à peu de distance de la porte des Augustins, jusqu’à l’ancienne porte Saint-Jean. Celle-ci était ouverte, non pas précisément en face de la rue du Pont-Moreau, mais devant le pâté de maisons qui sépare cette rue de la Petite-Rue-Saint-Jean. De là, le rempart, déclinant d’une vingtaine de toises vers le sud-est, allait aboutir à la Plate-Forme ou Boulevard, en passant en droite ligne sur le sol même des maisons formant les deux îles qui séparent la rue de la Mule Noire de celle de l’Opéra ; au sujet de quoi, nous prions le lecteur de vouloir bien faire attention que pour plus de clarté, nous sommes obligé d’employer les noms actuellement en usage.
La partie de l’ancien rempart comprise entre la porte des Augustins et celle de Saint-Jean, était flanquée de sept tours dont quelques-unes méritent d’être citées. Une huitième avait été démolie, qui existait encore en 1481. 4
L’une, élevée presque en face de la rue du Trésor, était fort ancienne et portait déjà, en 1469, le nom de Tour de Saint-Jacques. 5 Il paraît qu’elle était destinée à servir de défense à la porte de la ville assez voisine de là et qu’on appelait le plus communément la Porte Royale.
Les deux autres adossées au rempart entre les rues de Nazareth et de la Miséricorde, étaient habitées, lors de l’agrandissement dont nous parlons, par deux dévots personnages dont la mémoire a été longtemps en vénération dans Aix : Louis d’Arcussia, prêtre, mort en 1675, à l’âge de quatre-vingts ans, et le P. Yvan, fondateur des religieuses de la Miséricorde, duquel nous avons déjà parlé. 6 C’est dans ces deux tours que vivaient saintement et loin des gens du monde, ces deux hommes pieux, l’un desquels appartenait à l’une des premières familles de la ville, étant fils de Charles d’Arcussia, seigneur d’Esparron de Pallières, auteur de l’ouvrage sur la fauconnerie qui porte son nom. 7
Avant les arrêts du parlement qui ordonnèrent la construction du Cours, il avait été résolu de tracer une rue le long de la ligne méridionale actuelle de celui-ci, qu’on aurait appelée la rue de l’Archevêché. C’est sur cette ligne que commençaient les prés et les jardins de l’archevêque dont nous allons déterminer l’enceinte. Ils commençaient à l’extrémité du jardin des religieuses Carmélites, appartenant aujourd’hui à la famille Bret, et se prolongeaient, en droite ligne dans la direction du couchant, jusqu’à la rue Saint-Lazare, peu avant d’arriver au bout du Cours. Cette rue était alors un chemin public qui conduisait à Marseille en sortant de la ville par la porte des Augustins, et les prés de l’archevêché longeaient ce chemin du nord au midi, jusqu’à peu de distance de l’ancienne maladrerie Saint-Lazare, dont une partie des bâtiments subsiste encore. Là ils contournaient vers le levant en suivant cet autre petit chemin qui, de cette maladrerie, va aboutit aux bâtiments de la Boucherie, et de ce dernier point, ils remontaient vers le nord au jardin des Carmélites dont nous avons parlé et dont ils étaient séparés néanmoins par un troisième chemin qui conduisait également à Marseille lorsqu’on sortait de la ville par la porte Saint-Jean. Ce dernier chemin était à peu près sur l’emplacement actuel de la rue du Cheval-Blanc ou de la Monnaie, et si nous disons à peu près, c’est parce qu’il traversait en diagonale les îles de maisons bâties sur les deux lignes de cette rue. Le point d’intersection était vers le bas de la rue, car après avoir passé sur le bastion voisin de la porte d’Orbitelle, le chemin coupait plus haut là où sont les bains de la rue du Bœuf, pour arriver au jardin précité des Carmélites. 8
Le terrain qui se trouvait au levant de ce dernier chemin, était du domaine du prieuré de Saint-Jean, et ayant été renfermé dans la ville à la même époque de 1646, il forme ce qu’on nomme depuis le quartier de Saint-Jean, tandis que ce qui se trouve au couchant est appelé plus particulièrement le quartier d’Orbitelle.
Ainsi le neuvième agrandissement qui nous occupe, comprend les deux quartiers de Saint-Jean et d’Orbitelle, c’est-à-dire les rues suivantes et le Cours par lequel nous allons commencer.
1 C’est celle qu’on a abattue en 1843, située à l’extrémité de la Grande-Rue-Saint-Esprit et de la place des Augustins, et à laquelle on a substitué une grille de fer. Retour
2 Son mari la força d’embrasser la religion protestante, ce qui lui causa un chagrin dont elle mourut à Arles en 1660, après être rentrée dans la communion romaine. Nous possédons les pièces originales justificatives de ces faits. Retour
3 Voyez au 1er vol., la rue Venel, pag. 412 et suiv. Retour
4 Voyez au 1er vol., pag. 652 et 653. Retour
5 Auprès de cette tour, au sortir de la ville par la porte des Augustins, se trouvait, à la fin du XIVe siècle, la forge d’un maréchal nomme Jacques Rotier. Cet honnête artisan fut le père du savant Esprit Rotier, religieux dominicain, dont les annales de son ordre parlent très avantageusement et qui se fit connaître par une foule d’ouvrages, soit latins, soit français, tous dirigés contre les hérétiques et fort estimés de son temps. Entré, en 1507, dans l’ordre de Saint-Dominique, après avoir prêché avec le plus grand succès dans les diocèses d’Auch et de Toulouse, il fut fait, en 1534, vicaire-général de la congrégation de France, et en 1547, inquisiteur à Toulouse, où il mourut vers l’an 1563. Retour
6 Voyez au 1er vol., rue de la Miséricorde, pag. 574. Retour
7 Voyez au 1er vol., pag. 323 et suiv. Retour
8 Les prés de l’archevêché, dont nous avons décrit l’enceinte et dont une partie subsiste encore en nature de prés et de jardins au midi du quartier d’Orbitelle, n’appartenaient aux archevêques d’Aix que depuis moins de deux siècles. Le bon roi René, dont le nom se trouve à tout moment dans notre histoire, les avait échangés, au mois de novembre 1479, avec l’archevêque Olivier de Pennart, qui lui avait remis la partie de la seigneurie de la ville d’Aups que la manse archiépiscopale possédait auparavant. Les comtes de Provence, prédécesseurs de René, avaient acquis ces prés successivement, et nous aurons occasion, en parlant des rues situées aujourd’hui sur leur ancien emplacement, de parler aussi de quelques jardins qui se trouvaient sur le même lieu dans les XIVe et XVe siècles. Retour