Les Rues d’Aix
ou recherches historiques sur l’ancienne capitale de Provence
par Roux-Alpheran en 2 tomes 1848 et 1851
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RUE DE LA PORTE-SAINT-LOUIS
ENDANT longues années l’agrandissement de Ville-Neuve n’eut aucune porte publique ; il fallait toujours, pour entrer dans la ville ou pour en sortir, passer par la porte Bellegarde ou par celle de Saint-Jean, lorsque, sur les remontrances des habitants de cette rue, qu’on nommait alors la rue des Dominicains ou des Prêcheurs, parce qu’elle bordait au midi l’église de ces religieux, Henri de Lorraine, duc de Guise, gouverneur de Provence, 1 ordonna, le 24 novembre 1612, qu’une nouvelle porte serait ouverte à l’extrémité de cette rue, et le nom du roi Louis XIII, alors régnant, lui fut donné. Mais les habitants de la rue du Collége, parallèle à celle des Dominicains, la voulaient aussi au bout de leur rue, et pour faire cesser leur opposition, le duc de Guise obtint du roi des lettres-patentes confirmatives de son ordonnance, données à Paris le 28 janvier 1613. 2
La première maison en entrant dans cette rue par la porte Saint-Louis et qui fait le coin après avoir dépassé la lice intérieure, a appartenu, pendant deux siècles, à la famille Saurin, qui a fourni plusieurs personnages d’un mérite distingué. Le premier est sans doute Joseph-Ignace Saurin, célèbre jurisconsulte, qui y était né le 29 décembre 1641, et qui y mourut le 10 septembre 1714. Assesseur d’Aix en 1681 et une seconde fois dix ans plus tard, il eut l’honneur d’accompagner, au nom de la province, le maréchal de Catinat au siége de Nice, et après la reddition de cette ville, il fut nommé premier président du sénat, à la demande du maréchal qui avait la plus haute estime pour son caractère et pour ses talents. Il était syndic de robe du corps de la noblesse de Provence, lorsque se trouvant à Paris pour les intérêts de ce corps en 1702, le chancelier de Pont-chartrin obtint pour lui son entrée au conseil d’Etat, où Louis XIV était présent et où se discutait une affaire de la plus haute importance : – Parlez, Saurin, vous qui savez la loi, – lui dit le monarque avec l’accent le plus flatteur ; et depuis lors ces mémorables paroles sont dans la bouche de tous nos compatriotes.
Pierre Saurin, son fils, duquel nous avons déjà parlé, 3 né le 2 février 1670, dans la même maison où il mourut le 14 septembre 1743,fut également un habile jurisconsulte. Il fut deux fois assesseur d’Aix, comme l’avait été son père, en 1706 et 1724, et ne se distingua pas moins que lui par la sagesse de son administration. Comme son ami François Decormis dont il publia les consultations, il nous a conservé, dans sa correspondance avec ce respectable vieillard pendant la peste de 1720 et 1721, un grand nombre d’anecdotes curieuses de son temps et même des temps antérieurs, dont nous pensons que la publication serait intéressante.
Quelques maisons plus bas, en avançant vers la place des Prêcheurs, est celle qu’habitait, au XVIIe siècle, l’avocat général Pierre Decormis, et son fils, le président Louis Decormis, marquis de Bregançon, seigneur de Beaurecueil et de Roqueshautes. Le premier se lit connaître par l’austérité de ses mœurs, son savoir et sa probité. Avant d’entrer au parlement, il avait été deux fois assesseur d’Aix, en 1600-1601 et en 1610-1611, comme le fut deux fois après lui, Artus Decormis, son frère, en 1605-1606 et en 1616-1617. Antoine, fils d’Artus, fut également assesseur en 1639-1640, non moins habile jurisconsulte et bon administrateur que son père et son oncle, et fut le père de ce François, auteur des Consultations dont nous venons de parler. L’avocat général Pierre Decormis, son grand-oncle, était né à Aix le 14 mars 1577, et y mourut le 21 janvier 1649. Un autre Pierre Decormis, son aïeul, était venu s’établir à Aix vers l’an 1534, en qualité de secrétaire du comte de Tende, gouverneur de Provence, et avait laissé, comme Claude Decormis, son fils, des mémoires manuscrits sur ce qui s’était passé de leur temps, que Louvet a fait imprimer en partie, un siècle environ après leur mort. 4
Cet avocat général Decormis était si rigide, qu’il ne se montrait jamais qu’en robe en public, et lorsqu’il voyait des jeunes magistrats se promener en manteaux sur la place des Prêcheurs, alors la seule promenade de la ville, le Cours n’existant pas encore, il les poursuivait jusque dans les boutiques d’alentour où ils allaient se réfugier, et les regardant bien sous le menton : O ! le biou cadet ! leur disait-il amicalement, voulant ainsi leur faire confusion.
M. Mouan ayant publié sur ce magistrat une précieuse notice, 5 nous n’en dirons rien de plus et nous parlerons de Louis Decormis, son fils, marquis de Bregançon, seigneur de Beaurecueil et de Fabrègues, qui lui succéda dans son office d’avocat général en 1639, et en acquit ensuite un de président à mortier en 1650. Ayant pris une grande part dans la fameuse sédition du jour de saint Valentin en 1659, 6 il fut arrêté prisonnier et conduit au château de Pierre-en-Cize, à Lyon, d’où il fut exilé en Normandie. Il se lia d’amitié, à Caen, avec le célèbre Huet, depuis évêque d’Avranches, qui fait dans ses mémoires 7 un grand éloge des qualités et de l’érudition du président. Sa charge avait été confisquée ; mais à la demande du parlement, le roi lui avait accordé trois semaines pour s’en défaire. Il obtint même la permission de revenir à Aix où il mourut en novembre 1669. Le président Decormis passe pour être l’auteur des Tables contenant les noms des Provençaux illustres par leurs actions héroïques et faits militaires, par leur élévation aux grandes dignités de l’église, etc., qui ne furent imprimées que dix ans après sa mort, et qui parurent sous le nom de Pierre d’Hozier. 8 Comme il n’y a presque aucune de ces tables où il ne se trouve un ou plusieurs Decormis, c’est peut-être la raison pour laquelle on le suppose l’auteur d’un livre peu digne d’un personnage aussi distingué et qui est rempli de faussetés, de répétitions inutiles et d’un grand nombre de noms étrangers ou de personnes qui ne se sont rendues illustres en aucune manière. » Tel est le jugement qu’en portent les bibliographes. 9 Claude Decormis, petit-fils du président et grand-sénéchal au département de Toulon, mourut sans avoir été marié, et cette famille s’éteignit quelques années après en la personne du jurisconsulte François Decormis, leur cousin dont nous avons parlé à l’occasion de la rue des Epinaux, où il mourut, le 4 juin 1754, dans la maison que Pierre Decormis, avocat, leur auteur commun, avait achetée en 1534.
Les l’Enfant acquirent la maison de Decormis en 1664, et après eux elle fut occupée par les Galliffet, seigneurs du Tholonet ; ensuite par les Arnaud, seigneurs de Rousset, les uns et les autres membres du parlement. Ces derniers la vendirent, en 1768, à la veuve de Pierre de Bobineau de Beaulieu, commissaire des guerres et l’un des membres fondateurs les plus distingués de l’académie de Marseille, dont les descendants la possédaient encore à l’époque de la révolution. Nous citerons parmi eux Armand-Benoit, membre de l’académie d’Aix, mort en 1841, et qui fut, comme le dit le secrétaire perpétuel de cette compagnie : 10 savant et modeste, botaniste éclairé, agriculteur remarquable, musicien distingué. 11
Dans la même rue demeuraient, au XVIIe siècle, Jacques et Etienne Macadré père et fils, peintres médiocres, et Honoré Cibon, trésorier-général de France, mort en 1686 ; possesseur d’un cabinet dans lequel se trouvaient, dit P.-J. de Haitze, 12 un grand nombre de médailles, d’objets de curiosité et surtout des manuscrits du savant Peiresc.
Les Burle, les Mimata, les Orcin, ont aussi habité la même rue, et sont éteints comme la plupart des familles que nous avons nommées auparavant. Honoré Burle, conseiller à la sénéchaussée d’Aix, puis secrétaire du roi, premier audiencier en la chancellerie du parlement, né le 25 septembre 1706, en cette ville, où il mourut le 15 juin 1692, avait publié un Discours sur l’intelligence des arcs de triomphe dressés par l’ordre des consuls d’Aix, procureurs du pays de Provence, à l’heureuse entrée de son altesse de Vendôme, gouverneur de ladite province ; 13 et a laissé en manuscrit une chorographie du même pays, sous le titre de Provinciae Galliae-Narbonensis, alias Braccatœ vulgo Provence, exacta et brevis chorographica descriptio, dont Pitton parle avec éloge et qui le mérite en effet. 14 Cet auteur était le neveu de Balthazar Burle, dit de la Burle, gentilhomme-servant de Charles, cardinal de Bourbon, oncle d’Henni IV ; puis, audiencier en la chancellerie de Provence, natif d’Aix et mort en cette ville le 9 février 1598. Belleforest nous a conservé de lui une pièce de vers provençaux sur la Sainte-Baume et sainte Magdelaine, qui se fait lire avec plaisir. 15
1 Nous possédons dans notre bibliothèque un volume grand in-f° de 199 feuillets, relié en maroquin rouge, avec filets sur plat et doré sur tranches, qui a appartenu à ce prince auquel il est dédié, et qui probablement est unique. Il est intitulé : le Théâtre d’honneur de plusieurs princes anciens et modernes, avec leurs vies et faicts plus mémorables et leurs vies et naturels portraicts, etc., etc., recueillis et mis en ordre par LV. Claude de Valles, secrétaire ordinaire de la chambre du roy ; à Paris, M DC XVIII. Le frontispice colorié est orné des armoiries du duc de Guise (Henri de Lorraine), gouverneur et lieutenant général pour Sa Majesté en Provence, à qui le livre est dédié. Il renferme au-delà de deux mille figures ou portraits de rois, de reines, de papes, d’empereurs, d’hommes illustres, etc., gravés et extraits d’une foule d’ouvrages, puis collés avec soin par C. de Valles. Celui-ci est cité dans la Biblioth. hist., par le P. Lelong, comme auteur de divers recueils manuscrits d’armoiries et blasons ; le Diction. typographique d’Osmont et le Catalogue de la Vallière, deuxième partie, citent aussi plusieurs ouvrages de lui, mais aucun n’est un double exemplaire de celui que nous possédons. L’épître dédicatoire imprimée nous parait d’ailleurs indiquer suffisamment qu’il est unique. Retour
2 Levadour ancien de l’Hôtel-de-Ville, f° 54 v°. Retour
3 Tome 1er, pag..492 et suiv. Retour
4 Additions et illustrations sur les deux tomes de l’histoire de Provence, Aix. David, 1680, in-12, tome 1er, pag. 512 à 543. – Pierre Decormis avait étudié le droit sous le savant Philippe Dèce qui, en lui donnant le bonnet en 1519, lui dit : Hic est filius meus in quo mihi benè complacui. (Lett. mss. de François Decormis à son ami Saurin, du 25 février 1721, pag. 1023 ; et Louvet, aux additions, etc., ci-dessus, citées, tom. 1er, pag. 552). Retour
5 Illustrations du parlement de Provence. – Pierre Decormis. – Aix, Nicot et Aubin, 1842, in-8°. Retour
6 Voyez au 1er vol. pag. 267 et suiv. Retour
7 Cet.-Dan. Huetii, episcopi Abrincensis, commentarius de rebus ad eum pertinentibus ; 1718, in-8°, pag. 229 et suiv. Retour
8 Aix, Charles David, 1677, in-f°. Retour
9 Lenglet, Méth. hist.; Lelong, Biblioth.. hist. de la France, tom. III, n° 38129 ; Michaud, Biog. univ., tom. XI, pag. 285, etc. Retour
10 Séance publique de l’académie d’Aix du 15 janvier 1842, pag. 43. Retour
11 Il avait publié le Calendrier du jardin potager pour les départements du midi de la France ; Marseille, Mossy, 1812, in-12 ; ouvrage anonyme très utile et devenu très rare. Retour
12 Les Curiosités les plus remarquables de la ville d’Aix, Aix 1679, pag. 155. Retour
13 Aix, David, 1660, in-f°. -Voyez. le P. Lelong, Biblioth.. hist. de la France, tom. II, n° 16463. Retour
14 Lelong, Biblioth.. hist., tom. III, n° 38021 ; et Pitton, Sentim. sur les hist. de Provence, Aix, David, 1682, in-12, pag. 72 et 117. Le manuscrit autographe de Burle se trouve à la bibliothèque Méjanes. Retour
15 La Cosmographie de tout le monde, tom. 1er, pag. 340 et 341 de la deuxième pagination. Retour