Les Rues d’Aix
ou recherches historiques sur l’ancienne capitale de Provence
par Roux-Alpheran en 2 tomes 1848 et 1851
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PLACE DES TROIS ORMEAUX
N 1524, le connétable de Bourbon qui était sorti de France pour quelques mécontentements qu’il avait reçus à la cour, fit une irruption en Provence, à la tête d’une armée que l’empereur Charles-Quint lui avait fournie. Ayant passé le Var dans le courant du mois de juillet, il arriva rapidement aux environs d’Aix, parce que le pays n’étant pas prévenu, ne se trouvait pas en état de défense. Quelques milices, levées à la hâte, ne purent ralentir sa marche, et, dès le 3 août, il fit sommer la ville de lui ouvrir ses portes. Le parlement et la principale noblesse en étaient sortis. Le reste de la population, voyant l’inutilité de la résistance, fit répondre, à la troisième sommation, qu’il était le maître d’entrer ; mais les consuls aimèrent mieux abandonner leur poste plutôt que de trahir leur devoir en recevant l’ennemi.
Honoré de Puget, seigneur de Prats, prévôt des maréchaux et quelques autres, allèrent alors en députation à Gardanne, où le connétable avait établi son quartier-général, pour lui offrir les clefs de la ville, et le mercredi 9 août, il fit son entrée dans Aix. Il y fut reçu par de Prats qu’il avait nommé viguier, en récompense de son empressement à le reconnaître. 1
Quelques historiens prétendent que de Prats était premier consul d’Aix, lorsque le connétable entra en Provence ; d’autres qu’il était viguier de cette ville. Ce sont là de ces erreurs que commettent les auteurs qui se copient les uns les autres, sans se donner la veille de rechercher la vérité. 2
Au milieu des acclamations, vraies ou fausses, dont les habitants faisaient retentir les airs, un pauvre paysan refusa obstinément de crier, comme les autres, vive Bourbon ! Le viguier de Prats le fit pendre sur le champ à l’un des trois arbres qui ombragent la petite place triangulaire, dite des Trois-Ormeaux. L’histoire ne nous a pas transmis le nom de ce courageux habitant qui, dans son obscurité, mériterait bien plus nos hommages que ces gens puissants, dont tout le mérite consiste bien souvent à savoir se ranger habilement du côté du plus fort.
Ruffi, voulant apparemment flatter ses compatriotes, dit que ce fidèle sujet était Marseillais. 3 Il erre volontairement dans cette occasion, d’autant plus qu’il avait sous les eux la relation d’un auteur contemporain, Jean Thierri de l’Estoille, lequel s’exprime en ces termes : » Sur ces Jours, en la ville d’Aix feut pendu un bon François cytoyen de la dicte ville, parce que le prévost Deprat ne lui peut faire crier ou dire vive Borbon !
Mais toujours ayant la corde au col sur le gibet, disoit vive France ! Par quoy ledit Deprat puni comme verrons cy après. »
Le connétable s’étant assuré de la capitale du pays, alla aussitôt entreprendre le siége de Marseille. La noble et vigoureuse résistance que fit cette ville, détruisit toutes les espérances que Bourbon avait conçues de faire ériger en sa faveur, un royaume composé de quelques provinces qu’il croyait pouvoir facilement démembrer de la France. François 1er accourait avec une armée formidable. A son approche, l’infidèle connétable leva le siége de Marseille, et abandonna la ville d’Aix et la Provence avec autant de précipitation qu’il y était entré.
Le roi étant arrivé à Aix, fit faire le procès à de Prats et à ceux qui, comme lui, étaient allés au-devant du connétable. Ils furent condamnés à perdre la tête ; mais l’arrêt ne fut exécuté qu’en effigie, à l’égard de ces derniers qui avaient pris la fuite. 4 Le prévôt seul expia sur l’échafaud sa coupable trahison et l’injuste supplice qu’il avait fait subir au malheureux paysan dont nous avons parlé.
Ce fut à cette occasion que les Marseillais donnèrent aux habitants d’Aix le surnom de Bourbonnais, en signe de mépris, à raison de leur prompte soumission. Nos voisins auraient dû avoir la générosité de remarquer que notre position et la leur étaient bien différentes, et que nos remparts n’étaient pas comme les leurs, capables de résister à une armée appuyée par l’artillerie. Ce qui arriva douze ans plus tard, lors d’une nouvelle tentative que l’empereur Charles-Quint fit en personne sur la Provence, justifie pleinement, à cet égard, les habitants d’Aix. Les plus habiles généraux de François 1er décidèrent que cette ville n’était pas tenable, et l’abandonnèrent à l’empereur…
Nous avons remarqué plus haut l’erreur dans laquelle est tombé Pitton, à l’égard des consuls qui étaient en exercice lors de l’invasion de Charles-Quint. 5 Une erreur pareille a été commise par le P. Papon, relativement à ceux qui étaient en fonctions lors du connétable de Bourbon. Cet auteur, d’ailleurs si instruit, place l’irruption de celui-ci sous le consulat de Jean de l’Evesque, Hugues Bompar et Jean-Baptiste de la Lande. 6 Ces derniers n’entrèrent en fonctions que le 1er novembre 1525, et le connétable étant venu en Provence quinze ou seize mois auparavant, il s’ensuit que son arrivée et sa retraite eurent lieu sous le consulat précédent qui dura deux ans, c’est-à-dire du 1er novembre 1523 au 31 octobre 1525, comme nous le dirons plus bas. Or, ce consulat précédent était celui de Balthazar de Rodulphe, seigneur de Châteauneuf-le-Rouge, Bernard Pinelli, Raymond Bourdon et Antoine Gaufridi, assesseur, entrés en exercice le 1er novembre 1523 pour en sortir le 1er octobre 1524, mais que François 1er prorogea pendant un an, voulant récompenser ces quatre magistrats de leur fidélité. Nous avons rappelé plusieurs fois qu’avant 1669, nos anciens magistrats municipaux remplissaient leurs charges, non du 1er janvier au 31 décembre de la même année, mais du 1er novembre, jour de la fête de la Toussaint, au 31 octobre de l’année suivante. 7 Faute d’avoir fait cette remarque, le P. Papon s’est mépris sur ce consulat, comme Pitton s’était trompé dans une circonstance semblable.
Le seigneur de Châteauneuf et ses collègues s’étaient retirés, avons-nous dit, à l’approche de l’armée du connétable, ce dont ils furent récompensés par la confirmation dans leur magistrature pendant tout le cours de l’année d’après ; mais la ville n’en fut pas moins punie en leur personne par la privation du droit que nos consuls avaient auparavant de porter la robe rouge. Le roi ne leur laissa que le chaperon qui, de cramoisi qu’il était, fut mi-partie de noir et de rouge, ainsi qu’ils l’ont porté jusqu’à la révolution. 8
Bertrand Bérici , troisième syndic en 1433-34, et dont la maison était située sur cette place, lui avait donné son nom comme nous l’apprenons par quelques anciens actes du prieuré de Saint-Jean. C’était sans doute avant qu’on y eut planté trois ormeaux, qu’on l’appelait la place de Bertrand Bérici.
1 Voyez de Haitze, Histoire d’Aix, livre 6, § 45 et suiv. Retour
2 Voyez de Haitze, Histoire d’Aix et Dissertation sur l’état chronologique et héraldique du consulat de cette ville, pag. 28 et suiv. » Les raisons qu’il y donne à l’appui de son opinion, nous paraissent invincibles. » (Jean-Baptiste ROUX, tableau chronologique des syndics etc. . ci-dessus, pag. 176). Retour
3 Histoire de la ville de Marseille, tome 1er, pag. 314, vers la fin. Retour
4 Les principaux de ceux-ci furent l’avocat Jacques Guerin, assesseur l’année précédente, qui mourut pendant son expatriation, et Boniface Séguiran, seigneur de Vauvenargues qui, ayant été compris dans les traités de Madrid et de Cambrai, conclus entre le roi et l’empereur, ainsi que tous ceux qui avaient suivi le connétable à l’étranger, fut relevé de sa condamnation et rétabli dans ses biens, suivant trois lettres de grâce de François 1er, données à Blois le 15 mars 1529, à Paris le 13 février 1533, et à Fontainebleau le 30 août 1534, enregistrées, les unes et les autres, au parlement d’Aix, le 12 décembre suivant ( registre des lettres royaux de 1533 à 1537, fol. 79 et suiv. ). Séguiran fut reconnaissant, comme il devait l’être, de la clémence de son souverain, et lorsqu’en 1536, Charles-Quint vint en personne en Provence à la tête d’une armée formidable qu’il destinait à conquérir la France, il fut l’un des plus zélés habitants d’Aix qui, avec Fouquet Fabri, bisaïeul du grand Peiresc, persuadèrent à leurs concitoyens de brûler leurs meubles et de détruire leurs provisions, plutôt que de les abandonner à la discrétion de l’ennemi. Acte admirable de patriotisme qu’on ne saurait trop exalter pour l’honneur de notre ville ( Pitton, Histoire d’Aix, pag. 265). Retour
5 Voyez ci-dessus, pag. 82 et suiv. Retour
6 Histoire générale de Provence, tom. IV, pag. 46, note 1. Retour
7 Voyez ci-dessus, pag. 48, note 2 ; pag. 93, note 2 et ailleurs. Retour
8 Voyez ci-dessus, pag. 103, note 2. Retour