Les Rues d’Aix – Place Mazarine ou des Quatre-Dauphins


Les Rues d’Aix
ou recherches historiques sur l’ancienne capitale de Provence
par Roux-Alpheran en 2 tomes 1848 et 1851
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PLACE MAZARINE OU DES QUATRE-DAUPHINS

N assure que l’intention de l’archevêque Michel Mazarin fut, en faisant, construire cette jolie place et en lui donnant son nom, de l’orner de la statue du cardinal Jules, son frère, premier ministre sous la minorité de Louis XIV. Nous n’affirmerons pas le fait, sur lequel nous ne trouvons rien d’écrit, mais nous dirons qu’au lieu de la statue, une fontaine à quatre canons et à quatre faces, envisageant les deux rues (Cardinale et des Quatre-Dauphins), sur l’axe desquelles cette place est située, avant été élevée après la mort de l’archevêque au point de rencontre, et la base de cette fontaine étant surmontée de quatre dauphins qui fournissent l’eau et qui supportent une pyramide surmontée jadis d’une fleur de lys dorée, ce monument a donné à la place le nom des Quatre-Dauphins, sous lequel elle est au moins aussi connue, que sous celui de place Mazarine.
Il parait par les registres du prieuré de Saint-Jean, que les prieurs possédaient encore au milieu du XVe siècle, dans les environs de la place Mazarine, des censes imposées sur des prairies et des jardins faisant partie des biens qui avaient été donnés aux Hospitaliers dans les premiers temps de leur établissement à Aix. Les comtes de Provence avaient sans doute racheté ces censes successivement, puisqu’on ne trouve plus, dès la fin de ce XVe siècle, que les prieurs de Saint-Jean en aient perçu aucune dans toute l’étendue du terrain que le roi René échangea en 1479 1 avec l’archevêque, et qu’on nomma depuis les prés de l’Archevêché, dont une partie, avons-nous dit, compose aujourd’hui le quartier d’Orbitelle. C’est là, sans contredit, ce qu’il importe assez peu d’éclaircir ; mais ces anciens actes dont nous parlons, nous apprennent qu’en 1440, Jean Billard ou Bellard, évêque de Fréjus, possédait un de ces jardins ; en 1449, Tanegui du Châtel, grand sénéchal de Provence, un autre qu’on appelait le Clos du Sénéchal ; et en 1440, Louis Dini, notaire, un troisième qu’habitaient auparavant des filles de mauvaise vie.
L’évêque de Fréjus dont nous parlons, avait assisté au concile de Bâle en 1431, au nom de Louis III, roi de Naples et comte de Provence ; et, plus tard , il avait accompagné à Naples la reine Isabelle de Lorraine, première femme du hon roi René, lorsque cette princesse alla y soutenir les droits de son royal époux qui gémissait alors dans la captivité. Le titre de conseiller de la reine que l’évêque de Fréjus obtint à cette occasion , fut cause qu’il fixa son séjour à Aix pendant quelques années, lorsque la princesse y fut revenue.
Tanegui du Châtel est plus connu. C’était un gentilhomme breton qui, dans sa jeunesse, avait commandé l’armée de Louis II d’Anjou, comte de Provence, avec laquelle il avait défait en Italie, en 1409, celle de Ladislas, compétiteur de ce prince au royaume de Naples. 2 Quelque temps après il fut fait prévôt de Paris et il se qualifiait de maréchal des guerres de monsieur le Dauphin en 1419 et 1420. S’étant lié d’amitié avec le président de Provence Jean Loubet, duquel nous avons parlé, 3 il fut accusé comme lui du meurtre de Jean-Sans-Peur, duc de Bourgogne lâchement assassiné lors de son entrevue avec le Dauphin sur le pont de Montereau-Faut-Yonne le 10 septembre 1419. Tanegui le poignarda suivant quelques-uns, ou le terrassa d’un coup de hache suivant les autres, lorsqu’il s’approchait sans défiance du Dauphin. Voyant que le souvenir de cette action nuisait aux intérêts de ce prince, il se retira généreusement de la cour de France lorsque celui-ci parvint au trône sous le nom de Charles VII.
Le roi René, ennemi de la maison de Bourgogne, le nomma grand-sénéchal de Provence en 1443 suivant le père Papon; 4 mais nous croyons que ce fut quatre ans plus tôt, 5 et en 1446 il fut député à Cènes pour négocier la réduction de cette ville à l’obéissance du roi, qu’elle désirait avoir pour souverain. En 1448, Tanegui du Châtel fut envoyé en ambassade à Rome avec l’archevêque de Rheims et autres personnages éminents, pour rendre obéissance filiale au pape Nicolas V. Les historiens sont tous en désaccord sur l’époque de sa mort ; mais la plupart la placent à peu d’années après cette dernière mission. Nous avons vu en effet, 6 qu’en 1451 il avait prêté de l’argent au roi René, ainsi que le chancelier Jean Martin et quelques autres seigneurs et officiers de la cour de ce prince. Il mourut sept ans plus tard, s’il faut en croire un ancien manuscrit que nous avons sous les yeux et qui porte :  » Le 4 avril 1458, Tenequin du Chastel estant décédé, le conseil eslut et députa, ledict jour, six conseillers pour aller à Beaucaire assister à ses funérailles et les honorer de quatre douzaines de flambeaux. 7« 

La belle maison dont la porte d’entrée est située dans l’angle nord-ouest de cette place et qui longe la rue Cardinale, fut rebâtie après le milieu du siècle dernier sur l’emplacement de celle qu’avaient occupée successivement quatre conseillers à la cour des comptes du nom de Figuières, par Joachim de Bausset, seigneur de Roquefort, père de l’archevêque d’Aix de ce nom.
Sa famille avait produit avant celui-ci trois évêques qui, sans être nés dans cette ville, ont néanmoins appartenu tous, comme chanoines, à son église métropolitaine. Le premier fut Joseph-Bruno de Bausset, évêque de Béziers, né à Aubagne en 1702, sacré le 5 juillet 1746, mort en 1771 après vingt-cinq ans d’épiscopat ; le second, Emmanuel-François, neveu du précédent, sacré évêque de Fréjus en 1766, mort à Fiume, prés de Trieste, le 10 février 1802, pendant son émigration, à l’âge de soixante-et-onze ans ; et le troisième, a été le célèbre cardinal de Bausset, (Louis-François), né le 14 décembre 1748 à Pondicheri, où son père, frère de l’évêque de Béziers, s’était marié. Envoyé en France pour y faire ses études, il y embrassa le sacerdoce et M. de Boisgelin, archevêque d’Aix, se l’attacha fort jeune encore en qualité de vicaire-général. L’on se souvient dans cette ville du long séjour qu’il y a fait et des charmes qu’il y répandit dans la société par son amabilité et ses connaissances. Nommé à l’évêché d’Alais en 1784 et membre des deux assemblées des notables convoquées pax Louis XVI en 1787 et 88. il fut appelé l’année suivante aux états-généraux du royaume dont il s’éloigna dès que ceux-ci se furent constitués en assemblée nationale. Il refusa bientôt après d’adhérer à la constitution civile du clergé et sortit de France ; mais une mission importante dont il fut chargé, l’y fit rentrer et il fut emprisonné pendant deux ans dans l’antique abbaye de Port-Royal où il eut néanmoins le bonheur de sauver ses jours. Lors du concordat conclu en 1801 avec le Saint-Siége, un des nouveaux évêchés lui fut offert, que l’état de sa santé ne lui permit pas d’accepter. Le roi Louis XVIII étant remonté sur le trône de ses pères, le nomma successivement pair de France, président du conseil royal de l’instruction publique, duc, ministre d’Etat et commandeur de l’Ordre du Saint-Esprit. L’académie française l’avait reçu dans son sein et le pape lui avait envoyé le chapeau de cardinal ; mais ce qui illustrera le plus sa mémoire est la production des histoires de Fénélon et de Bossuet, ouvrages si remarquables par l’élégance du style, l’exactitude des faits et les détails curieux qu’ils nous fait connaître sur ces illustres personnages. Le cardinal duc de Bausset mourut à Paris, le 21 juin 1824, dans sa soixante-et-seizième année.
Tendrement attaché aux enfants de M. de Roquefort, son cousin germain, il ne contribua pas peu à l’élévation de l’un d’eux, Mgr. Pierre-François-Gabriel-Raymond-Ignace-Ferdinand, né à Béziers, le 31 décembre 1757, pendant un voyage que sa mère y avait fait auprès de son oncle, évêque de cette ville ; successivement chanoine de Saint-Sauveur, évêque de Vannes en 1808, enfin archevêque d’Aix en 1817, mort en cette ville le 29 janvier 1829. 8
Sur cette même place Mazarine ou des Quatre-Dauphins s’élève majestueusement un micocoulier d’une grosseur extraordinaire, dont parlent MM. de Lamark et de Candolle dans la Flore Française 9 et qui ne saurait avoir plus de deux cents ans d’existence, la place où il est situé n’ayant été construite qu’après 1646.

1 Voyez ci-dessus, pag. 123, note 1re. Retour

2 Histoire des grands officiers de la couronne de France, etc., par le P. Anselme, tom. II, Paris, Loyson, 1674, in-4°. Retour

3 Voyez notre 1er vol., pag. 402 et 403. Retour

4 Histoire générale de Provence, tom. III, pag. 421. Retour

5 Nous nous fondons en cela sur des lettres-patentes du roi René, données à Naples, le 15 octobre 1439, portant que la cour royale sera fixée perpétuellement en la ville d’Aix ; lesdites lettres suivies de celles de Tanegui du Châtel, qui les adresse au conseil éminent, aux maîtres-rationaux, etc., et qui sont datées d’Aix, le 10 décembre de la même année 1439. Le tout est transcrit dans le livre Rouge de l’Hôtel-de-Ville d’Aix, fol. 13 v° et 14. Retour

6 Voyez notre 1er vol. pag. 522. On trouve dans le même livre Rouge de l’Hôtel-de-Ville d’ Aix, fol. 133, des lettes de Tanegui du Châtel, prévôt de Paris et grand sénéchal de Provence, données à Aix le 1er décembre 1455, contenant plusieurs priviléges en faveur des habitants de cette ville, tels que celui de pouvoir être absous de tous crimes, excepté ceux de lèze-majesté au premier chef, homicide volontaire, fausse monnaie, et hérésie. Ces lettres furent proclamées et publiées le 19 février suivant. Retour

7 Discours des officiers de justice et municipaux tant anciens que modernes de la ville d’Arles, avec une particulière description des fonctions de ceux qui les exercent. Mss. petit in-fol. de la bibliothèque de M. Bouteuil, professeur, doyen de la Faculté de Droit d’Aix, pag. 140. Retour

8 Voyez notre 1er vol., pag. 298, not. 1. Retour

9 Voyez notre 1er vol., pag. 620. Retour