Les Rues d’Aix
ou recherches historiques sur l’ancienne capitale de Provence
par Roux-Alpheran en 2 tomes 1848 et 1851
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RUE DES MARCHANDS
RÉS anciennement cette rue était nommée la rue des Brouquiès, parce que là se trouvaient les tonneliers appelés Brouquiès en provençal. Les marchands d’ustensiles de ménage en terre cuite s’y étant établis ensuite, on la nomma la rue de la Poterie ou des Potiers. Puis on l’a appelée la rue de la Soounarié ; mais, suivant le bon de Haitze, ce mot provençal Soounarié, signifiant en français plutôt une saignée qu’une tuerie, on y abattait, dit-il, que les veaux, les agneaux et les chevreaux. Enfin, vers les dernières années du XVIIe siècle, les marchands drapiers et toiliers étant venus s’y loger, cette rue a pris le nom qu’elle porte depuis lors.
Les Aygosi, ancienne famille consulaire, éteinte vers la fin du XVIe siècle, y avaient eu longtemps leur habitation. Urbain Aygosi, l’un d’eux, fit élever, en 1470, dans la sacristie du couvent des Grands-Carmes, où était la sépulture de sa famille, cet autel fort curieux où sont représentées en pierre les figures de sainte Anne, de la vierge Marie, de l’enfant Jésus , de saint Maurice, de sainte Marthe avec la Tarasque, le Christ en croix, la lune, le soleil, etc., lequel fut, sous la restauration, transporté à Saint-Sauveur, dans la chapelle de Sainte Catherine, derrière la chaire à prêcher, où on le voit aujourd’hui.
Durand de Pontevès, seigneur de Flassans, frère de Jean, Comte de Carces, possédait la maison des Aygosi vers le milieu du XVIe siècle.1 Ce personnage est connu dans l’histoire du pays pour son zèle ardent contre les sectateurs de la religion prétendue réformée, ce qui lui fit donner le surnom de chevalier de la foi.
Il était premier consul d’Aix en 1561-62, époque où la fureur des huguenots contre les catholiques et de ceux-ci contre les religionnaires, fut portée à son comble ainsi que nous le dirons ailleurs.2 La maison de Flassans serait-elle celle qui est actuellement la quatrième de la ligne septentrionale de la rue des Marchands, en entrant par celle de la Boucherie et se dirigeant vers la rue Sainte-Claire ? Ce qui pourrait porter à le croire c’est qu’au fond de l’allée de la maison dont nous parlons, entre le puits et l’escalier qui conduit aux étages supérieurs, on voit encore aujourd’hui, incrustée dans le mur, une pierre blanche de 50 centimètres de hauteur sur 30 de largeur, où sont sculptées les armes de France ( trois fleurs de lys d’or en champ d’azur ), surmontées de la couronne royale. Mais le cordon qui entoure l’écu n’est point celui de l’ordre de Saint-Michel, dont Flassans fut décoré par Charles IX, en 1568 ; c’est le cordon de l’ordre du Saint-Esprit qu’on voit sur la pierre en question, ainsi que l’atteste la croix du Saint-Esprit qui y est suspendue, et Flassans n’a jamais appartenu à cet ordre institué par Henri III, en 1578.
D’où peut donc provenir cette pierre aux armes de France ? Nous l’ignorons complètement. Elle est peut-être tombée par hasard aux mains de quelque propriétaire de la maison, qui l’a fait placer là, par curiosité. C’est l’explication que nous croyons la plus raisonnable.
L’avant-dernière maison de cette rue, à droite, en allant vers celle de Sainte-Claire, appartenait, en 1620, à l’avocat Mathieu Alpheran, lorsque Peiresc, Gassendi et le prieur de la Valette 3 y tracèrent la ligne méridionale dont parle Pitton, 4 et qui fut remplacée en 1665 par celle qu’on voit encore aujourd’hui sur l’appui d’une des fenêtres de la grande salle de l’Hôtel-de-Ville.
1 Acte du 27 novembre 1549, notaire Hugues ou Hugon Martelli. Retour
2 Voyez Place des Carmélites, au second volume. Retour
3 Joseph de Gantier, prieur de la Valette, au diocèse de Toulon, fils de Suffren, seigneur de Saint-Pierre, et frère d’honoré, conseiller au parlement d’Aix, naquit en cette ville (ou peut-être à Rians), le 24 novembre 1564, et devint l’un des plus célèbres astronomes de son temps. Ami de Peiresc, de Gassendi, de l’astrologue Morin, d’lsmaël Boullian, de Godefroy Wendelin et autres personnages de grand mérite, il le fut aussi d’honoré II, prince de Monaco, du cardinal Antoine Barberin et du comte d’Alais, gouverneur de Provence, qui lui donnèrent souvent des preuves non équivoques de leur haute considération. Il mourut à Aix dans sa 83e année, le 6 septembre 1647, et fut enterré dans l’église de l’Oratoire, après avoir été plusieurs fois vicaire général du diocèse, et laissant en manuscrit des Observations astronomiques, recueillies depuis par MM. de Mazaugues, et qui ont passé, plus tard avec la bibliothèque de ceux-ci, dans celle de Carpentras. Retour
4 Histoire d’Aix, in-f°, pag. 506, 507, 517 et suivantes. Retour