Les Rues d’Aix
ou recherches historiques sur l’ancienne capitale de Provence
par Roux-Alpheran en 2 tomes 1848 et 1851
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RUE DE MAGNAN 1
‘EST bien une des rues les plus sales et les plus dégoûtantes qu’on puisse voir. Il faut pourtant se résigner à y entrer si on veut lire l’inscription que nous allons rapporter et qui se trouve depuis deux cent soixante-deux ans sur le mur de clôture d’un jardin situé le long de la ligne occidentale de cette rue. Nous dirons auparavant que jusqu’au XVIe siècle, elle a porté le nom de la Tannerie-Vieille, attendu qu’elle était habitée principalement par des tanneurs, ainsi que l’indiquent les actes publics des siècles précédents.
En 1489, Vincent Bompar, procureur-général à la chambre des comptes, acquit une maison à la rue du Pont, qui est parallèle à celle dont nous parlons, sur laquelle cette maison avait ses derrières. Hugues Bompar, son fils, seigneur de Magnan, trésorier-général des Etats de Provence au milieu du siècle suivant, acquit à son tour un vaste jardin situé en face de chez lui, de l’autre côté de la rue de la Tannerie-Vieille, et le réunit à sa maison au moyen d’un arceau jeté en travers de cette rue, tel qu’il a subsisté jusqu’en 1776. C’est de ce seigneur de Magnan que la rue située entre son jardin et son hôtel prit le nom qu’elle porte depuis lors, d’autant mieux que les tanneurs s’en étaient retirés peu à peu pour aller se loger dans les rues voisines, l’une desquelles est encore habitée par eux. Cet Hugues Bompar laissa trois fils : Pierre, conseiller au parlement, Vincent II du nom dont nous allons parler, et Jean Gaspard, père d’une fille unique, Marguerite de Bompar, qui fui la mère du grand Peiresc. Gassendi rapporte dans la vie de cet illustre savant, que Marguerite de Bompar était si belle et si bien faite, que la reine Catherine de Médicis, visitée à Aix par les dames de qualité, en 1579, la distingua de toutes les autres et n’embrassa qu’elle seule : ipsam unam deleqerit, quam suo osculo dignaretur. 2
Vincent II de Bompar, seigneur de Magnan, fut successivement reçu conseiller à la cour des comptes en 1555, et président à la même cour en 1568. Il acheta, quelques années plus tard, une source d’eau très abondante qui naissait dans le puits de la maison d’un procureur nommé Gaspard Duchemin, située dans la rue des Rastoin, aujourd’hui la rue Venel, et il obtint la permission de la conduire dans son jardin. Il y fit construire une fontaine adossée au mur donnant dans la rue de Magnan, et lorsque l’eau lui était inutile pour l’arrosage de ses plantes, il la déversait dans le ruisseau public au centre de cette rue. Mais afin que la ville ne prit pas texte un jour de cet écoulement pour s’approprier cette eau par voie de prescription ou autrement, il fit placer à l’extérieur de la muraille l’inscription suivante qu’on y voit encore, bien que la fontaine, transportée depuis longtemps au milieu du jardin, n’ait plus aujourd’hui son écoulement dans la rue :
TANT QVA NOVS
PLAIRRA 1584.
Cette date se lit parfaitement quoiqu’elle porte celle de 1582 dans les titres que le propriétaire actuel, M. François Cabanel a bien voulu nous communiquer avec beaucoup d’obligeance et où il est relaté que la devise de la famille de Bompar Magnan était tant qu’il nous plaira, et qu’elle avait passé en proverbe. Nous avons appris par ces mêmes titres que Françoise de Bompar, dame de Magnan et d’Entressens, fille aînée de Vincent II, ayant épousé, en 1572, Henri de Castellane, seigneur de Biosc, la maison et le jardin dont nous parlons échurent à Vincent de Castellane leur fils, qui les vendit, en 1619, à François de Beaumont, depuis conseiller au parlement-semestre et furent revendus, en 1679, à Michel Bœuf, avocat. Les descendants de celui-ci ont possédé successivement des offices de trésorier de France et de conseiller à la cour des comptes, et sont actuellement éteints comme les Beaumont et les Bompar Magnan.
Joseph de Bœuf, l’un deux, LUS à Aix en 1674, mort en 1755, fut un très habile astronome et, comme tel, correspondant de l’académie royale des sciences de Paris. C’est le même qui avait publié l’État chronologique des noms et armoiries des officiers de la grande cour royale de la chambre des comptes, érigée en 1555 par Henri II en cour des comptes, aides et finances du pays de Provence, depuis l’année 1348, etc., en deux grandes cartes gravées par Coelmans en 1723, et continuées depuis lors jusqu’à la révolution. Ce magistrat avait publié aussi un Calendrier perpétuel pour connaître les Pâques, etc. 3
Son fils sépara le jardin de la maison en 1776, et le vendit à Joseph de Félix, personnage consulaire, qui le réunit à la sienne située dans la rue des Cordeliers. L’arceau dont nous parlons plus haut fut alors abattu et cet autre arceau qui subsiste encore en travers de la rue de Magnan sert de communication entre un jardin situé au couchant de cette rue et une maison dont l’entrée est aussi dans la rue du Pont. Cette dernière maison a été, pendant deux siècles, celle de l’honorable famille de Gras, qui a donné successivement trois conseillers au parlement, le premier desquels mourut doyen en 1712, avec la réputation d’un très grand magistrat. Celui-ci descendait d’un Marcelin de Gras , directeur de la monnaie à la fin du XVIe siècle, marié en 1576 à Melchione de Guiran, d’une des plus anciennes familles d’Aix, aujourd’hui éteinte.
1 D’après les anciens plans de la ville d’Aix et les écriteaux placés aux deux extrémités de la rue qui fait le sujet de cet article, il faudrait dire rue des Magnans. Mais c’est une erreur, puisque c’est un nom de famille qui lui a été donné et non point parce qu’on y élevait anciennement des vers à soie (appelés Magnans en provençal), ainsi que le croient quelques personnes peu instruites. Retour
2 Voyez, pour la venue de Catherine de Médicis en Provence, l’article de la Pioline, au dernier volume. Retour
3 Aix, Choquel et Leblanc, 1734. Retour