Les Rues d’Aix – Rue de Littera


Les Rues d’Aix
ou recherches historiques sur l’ancienne capitale de Provence
par Roux-Alpheran en 2 tomes 1848 et 1851
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RUE DE LITTERA

UILLAUME DE LITTERA, chanoine et ensuite prévôt de l’église métropolitaine de Saint-Sauveur, mort en 1404, a son nom à cette rue où il demeurait. Il appartenait à une famille noble de cette ville, éteinte depuis fort longtemps et qui avait fourni un assez bon nombre de syndics pendant les XIVe et XVe siècles.
Il était prévôt lorsque le roi René fut reçu chanoine de Saint-Sauveur, le jeudi 29 décembre 1437. Revêtu du surplis et de l’aumusse, le prince fut introduit dans le chœur de la cathédrale et jura sur les saints Evangiles de garder et observer les statuts et les privilèges de cette église.  » Serenissimus, princeps dominus noster Renatus dei gratia, etc., canonicus dictae ecclesiae, super-pellicio et merlio indutus in choro dictae ecclesiae magn, juravit super sancta dei Evangelia mana dextera corporaliter tacta , libertates dictae ecclesiae servare et privilegia ejusdem custodire, illamque defensare, modo et forma per suos dominos retro principes, etc.  »
On peut justement conclure de ces mots qu’il était chanoine-né en sa qualité de comte de Provence, et que ce ne fut pas seulement par une galanterie en harmonie avec les mœurs du XVe siècle, que le chapitre de la métropole offrit à son souverain l’insigne titre de chanoine d’honneur, ainsi que le dit l’historien de René. 1 On lit en effet dans le journal manuscrit de Jean Lefèvre, évêque de Chartres, chancelier de Louis 1er et de Louis II d’Anjou, rois de Sicile et comtes de Provence, que  » le 27 jour (d’octobre 1387), Végile saint Simon et saint Jude, Madame (Marie de Blois, veuve de Louis 1er , alors à Aix où elle avait été reconnue depuis peu de jours comme souveraine du pays en sa qualité de tutrice de Louis II son fils), ala oyr messe à l’esglise cathédrale (Saint-Sauveur), et le roy (Louis II, à peine âgé de dix ans, qui fut depuis le père du roi René), et fu le roy receu comme chanoine et vesti surplis et aulmuce et chappe et sei en estal en chor et eust distribucions.  » 2
Le serment prêté par René, le fut entre les mains d’Aimon Nicolaï, alors archevêque d’Aix, du prévôt Guillaume de Littera et des autres chanoines de Saint-Sauveur, en présence d’un grand nombre de hauts personnages, tels que Raymond d’Agoult, seigneur de Sault ; Bertrand de Grasse, seigneur du Bar ; Arnaud de Villeneuve, seigneur de Trans; Hélion de Glandevès, seigneur de Faucon ; Balthasar de Gerente et autres chevaliers nommés dans l’acte qui fut dressé à ce sujet, par Alban Felicii , notaire d’Aix, dont Me Bonnet possède aujourd’hui les écritures.
Dans le recoin qu’on voit à l’extrémité orientale de cette rue, est située une maison qu’a habitée pendant plus de deux siècles la noble famille d’Espagnet. Cette famille a produit pendant huit générations consécutives, un pareil nombre de conseillers au parlement de Provence, depuis 1573 jusqu’à la suppression de cette cour souveraine en 1790. Marc-Antoine d’Espagnet, le troisième d’entre eux, né à Aix, le 17 juin 1545, fut reçu conseiller en 1587, en survivance de son père 3 et se signala comme lui par son dévouement au parti de la ligue contre Henri III et Henri IV. Il fut plusieurs fois commis par sa compagnie à l’effet d’assister de son autorité et de ses conseils, les chefs des troupes que levèrent les ligueurs pour combattre celles du roi, et il fut l’un des députés envoyés par le parlement, en 1590, à la rencontre du duc de Savoie que les Etats de Provence et les principales villes avaient appelé dans ce pays.
Ayant fait sa soumission à Henri IV, il fut depuis aussi attaché à ce prince qu’il l’avait été à la ligue, et devint l’ami du premier président Duvair, qui fesait un cas particulier de ce magistrat. Il mourut dans sa 80ème année le 2 septembre 1624, et fut enterré le lendemain à Saint-Sauveur dans le tombeau de sa famille. Son père et lui avaient donné à cette église un grand tableau, représentant Notre-Seigneur au bas duquel on lisait l’inscription suivante :

CY EST LE VRAY PORTRAICT DE JESUS-CHRIST SELON LA
SAINCTE FACE QUI EST A ROME PEINCTE PAR SAINCT LUC ET
LA GRANDEUR DU SAINCT SUAIRE QUI EST A TURIN, A PRESENT
APPORTE PAR L’EMINENTISSIME CARDINAL DE LORRAINE
A TREZ ILLUSTRE PRINCESSE MADAME RENÉE DE LORRAINE
ABESSE DE SAINCT PIERRE DE RHEIMS. 1584.
EX DONO FAMILIAE D’ESPAGNET QUORUM CINERES
IN HOC TEMPLO SANCTI-SALVATORIS JACENT.

Nous ignorons la destinée de ce tableau depuis la révolution. 4
D’Espagnet était l’ami de Malherbe et de César Nostradamus, qui composa en son honneur une pièce de vers intitulée: Sur le trespas et le tumbeau de feu monsieur Marc-Antoine d’Espagnet sénateur très magnifique, conseiller au parlement, le phenix des amys et des hommes. Cette ode funèbre est composée de vingt-cinq stances de treize vers chacune, et elle est suivie d’un sonnet et d’une épitaphe latine. Les curieux peuvent lire le tout dans la seconde édition de l’estimable ouvrage de M. Porte, intitulé : Aix ancien et moderne, Aix, 1833, in-8°, pag. 215 et suivantes. L’aimable poète provençal, Claude Brueys écuyer d’Aix, était aussi l’ami de Marc-Antoine d’Espagnet, à qui il avait adressé plusieurs pièces de vers qu’on trouve dans son Jardin deys Musos provensalos, 5 où on lit encore quelques pièces de d’Espagnet, qui témoignent de son goût pour la poésie.

 

1 Histoire de René d’Anjou, par M. le vicomte F.L. de Villeneuve Bargemont, Paris, 1825, en 3 volumes in-8°, tome 1er, pag. 247. Retour

2 Voyez ci-dessus, pag. 316. Retour

3 C’est celui-ci, Raymond d’Espagnet, qui siégea, le 23 novembre 1590, lorsque le duc de Savoie fut proclamé par le parlement d’Aix en qualité de commandant en Provence. – Voyez ci-dessus, pag. 160. Retour

4 Un tableau gothique, bien plus remarquable sous le rapport de l’art, existait dans la chapelle des d’Espagnet à Saint-Sauveur ; c’est celui qu’on voit, aujourd’hui à la Magdelaine, représentant l’Annonciation, où le Père-Eternel est figuré dans un nuage, et la vierge Marie à genoux en face de l’ange qui annonce la volonté du Très-Haut. Un rayon de lumière qui sort de la bouche du Maître du monde pour entrer dans l’oreille de Marie, renferme un petit enfant qui va pénétrer chez celle-ci par cet organe. Cette singulière peinture est attribuée à Albert Durer, et est, dit-on, d’un grand prix. Retour

5 Voyez ci-dessus, pag. 77, note 2. Retour