Les Rues d’Aix
ou recherches historiques sur l’ancienne capitale de Provence
par Roux-Alpheran en 2 tomes 1848 et 1851
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RUE COURTEISSADE
A rue Courteissade tire son nom d’une famille d’Aix, depuis longtemps éteinte, qui y faisait sa demeure dès le milieu du XIVe siècle.
Deux cents ans plus tard, les Margalet, autre famille éteinte de nos jours, y acquirent une maison qui était située vers le commencement de la rue, à gauche en entrant par celle de Nazareth. Cette maison est celle dans laquelle Malherbe se maria en 1581, et qu’il a habitée pendant le long séjour qu’il a fait à Aix.
Ce père de la poésie Française était venu en Provence en qualité de secrétaire d’Henri d’Angoulême, grand-Prieur de France, qui fut tué à Aix par Altovitis en 1586. La faveur dont Malherbe jouissait auprès de ce prince, lui procura l’alliance de Magdelaine de Coriolis, fille de Louis, président au parlement, et sœur d’une dame de Margalet.
Le contrat de mariage passé chez cette dame, le 1er octobre 1581, devant Abel Hugoléni, notaire d’Aix, dans les écritures duquel nous l’avons découvert après de longues recherches dans plusieurs études, 1 nous a appris que François de Malerbe, écuyer de la ville de Caen, en Normandie, était fils d’un autre François de Malerbe et de Louise de Vallois, ce qu’aucun biographe n’a jamais connu, ce nous semble.
Magdelaine de Coriolis, dont le nom s’écrivait alors Carriolis, ainsi que le prononcent encore les gens du peuple, était, à cette époque, déjà veuve de deux maris : l’un, Jean Bourdon, écuyer d’Aix et seigneur de Bouc, dont elle avait eu un fils 2; l’autre Balthazar Catin, sieur de Saint-Savournin, lieutenant au siége de Marseille, duquel elle n’eut point d’enfants. 3 Ce dernier était un petit homme bossu, et lorsque les amis de Malherbe le raillaient sur son mariage avec la veuve d’un tel magot, il répondait gaîment que c’était une licence poétique. 4
Une chose très singulière dans ce contrat de mariage, est que Malherbe y fait écrire son nom et celui de son père, MALERBE sans H, et qu’il le signe de même, précédé de la particule de, et en un seul mot : DEMALERBE. Cette circonstance nous a conduit à vérifier que Malherbe a signé ainsi constamment dans tous les actes qu’il a passés à Aix chez divers notaires, pendant plus de vingt ans, c’est-à-dire jusqu’en 1603 et 1604, époques des dernières quittances qui lui ont été données du loyer de cette maison qu’il occupait à la rue Courteissade.
A la fin de l’année suivante, Malherbe, qui avait déjà fait depuis son mariage trois voyages en Normandie, dont l’un avec sa femme, quitta définitivement notre ville, pour aller se fixer à Paris. C’est alors seulement qu’il plaça une H dans son nom et qu’il changea jusqu’à la forme des lettres qu’il employait auparavant dans sa signature. Il serait curieux sans doute de savoir pourquoi ces changements opérés à l’âge de cinquante ans mais nous n’avons pu en découvrir le motif. Au reste, il fit plus tard plusieurs apparitions à Aix, où sa femme et son fils ne cessèrent pas de résider. Il s’y trouvait en 1616, lorsque le premier président Duvair fut fait garde des sceaux de France, et en 1622, lors du voyage de Louis XIII en Provence.
En quittant la ville d’Aix en 1605, il y écrivit pour son fils une instruction 5 renfermant les détails les plus circonstanciés sur sa famille et ses affaires domestiques ; détails absolument ignorés et souvent différents de ce que disent les biographes. Il y parle de ses études chez les frères Philippes à Caen ; à Paris avec son cousin de Mondreville le jeune ; puis de rechef à Caen chez Varion ; un an sous Lamy. son précepteur ; après, sous Dinot, environ six ou sept mois à Caen ; et enfin sous le même, deux ans en Allemagne.
Son grand-père, dit-il, était cadet de sa maison dont le chef était, lorsqu’il écrivait, François de Malerbe, son cousin, sieur de Bouillon et d’Escorchebœuf. » Mon père, dit-il encore, peut aujourd’hui posséder six ou sept cents écus de rente, selon l’estimation que je lui en ai oui faire plusieurs fois, et même dernièrement quand je partis de Normandie au mois de décembre 1599. »
Suivent quelques particularités sur sa grand-mère paternelle qui était de la maison d’Elleboeuf ; sur sa mère, Louise de Vallois, fille d’Henri le Vallois, sieur d’Ifs, à demi-lieue de Caen ; sur un frère et deux sœurs de sa mère; enfin sur ce même frère Jean de Vallois, sieur d’Ifs , dont la fille avait épousé le sieur de Bouillon, ce cousin de Malherbe, dont il a déjà parlé.
» Nous avons été neuf enfants, ajoute-t-il plus bas : François, Jeanne, Eléazar, Pierre, Josias, Marie, Jeanne, Etienne et Louise. Jeanne la première, Josias et Etienne sont morts en enfance. Pierre mourut à Lisieux au retour du siége de la Fère ; je crois que lors il n’avait que dix-sept ou dix-huit ans.- La seconde Jeanne, décéda il y a environ huit ou neuf ans et a laissé plusieurs enfants mâles, ayant été mariée avec le sieur Fauconnier, trésorier de France.- Marie est mariée au sieur de Reveillon-Putecoste, dont elle a des enfants. -Louise est veuve du sieur de Colombier-Guerville, et a eu un fils et une fille. Mon frère est marié avec demoiselle Marie Lambert, dame en partie de la terre d’Ouville, près Falaise. En faisant son mariage, mon père lui donna un état de conseiller au siége présidial de Caen, qu’il lui avait baillé dès l’an 83 ou 84.
Pour moi, en l’année 1576, je partis de chez nous au mois d’août, et n’y revins qu’au mois d’avril 1586, dix ans après. Dans cette absence, je n’ai pas eu un liard de la maison… Ma femme m’y suivit au mois de juillet en suivant , et nous nous retirâmes au logis de ma cousine de Mondreville, vivant du nôtre, sans aucun secours de ma maison, que peut-être un tonneau de cidre…. «
Quatre ans après son mariage, Malherbe avait eu un premier fils né à Aix le 21 juillet 1585, dont le parrain fut le grand-prieur Henri d’Angoulême, qui lui donna au baptême le nom de Henri. 6 Cet enfant fut emmené à Caen par sa mère, en 1586, lorsque celle-ci alla y rejoindre son mari, aussitôt après la mort du grand-prieur, et il y mourut le 28 octobre 1587.
Son père lui consacra, dans une église de ladite ville, une épitaphe en prose et assez longue, dont nous avons découvert une copie et que nous avons publiée comme une des premières oeuvres de Malherbe. 7
C’est pendant son premier voyage en Normandie que Malherbe eut une fille nommée Jourdaine, dont Jourdaine-Magdelaine de Montmorenci, femme du sieur de la Vérune, gouverneur de la ville et château de Caen, fut la marraine, et qui mourut de la peste à Caen, au mois de juin 1599. 8
Malherbe étant de retour à Aix à la fin de cette même année, sa femme devint une troisième fois enceinte, après dix-neuf ans de mariage, et accoucha, le jeudi 14 décembre 1600, d’un fils qui fut nommé Marc-Antoine. Malherbe écrivant pour lui, comme nous l’avons dit, l’instruction précitée, y invoque le témoignage d’une foule de Normands qui, étant venus à Aix pour diverses affaires, notamment Mme de la Vérune, née de Montmorenci, y ont vu et connu ce fils, » ce que j’ai voulu écrire ici, dit-il, parce qu’il arrive quelquefois que ceux qui sont nés hors de la maison de leur père, sont méconnus de leurs parents qui veulent s’attribuer la part qui leur doit appartenir. Je ne crois pas que mon frère le voulut faire, mais il n’y a pas de mal de laisser les choses avec plus de lumières que l’on peut, vu que le temps n’y met toujours que trop de ténèbres. »
Les principaux amis de Malherbe à Aix étaient : François-Dupérier, l’un des beaux esprits de son temps , qui cultivait avec assez de succès la poésie et la numismatique ;9 César Nostradamus, historien de Provence, poète, peintre et excellent joueur de luth ; Louis de Gallaup-Chastueil, auteur de plusieurs pièces de vers qui n’étaient pas sans mérite 10; Jean de la Cépède, conseiller au parlement, ensuite premier président de la cour des comptes, dont on a quelques poésies sacrées 11; François d’Escallis, 12 N. de Villeneuve-la-Garde, et autres dont les ouvrages sont aujourd’hui oubliés, mais qui formaient à cette époque, une société de gens bien nés, aimables et instruits, sur lesquels planait le génie de Malherbe.
On sait que lorsque la reine Marie de Médicis passa à Aix, au mois de novembre 1600, allant épouser Henri IV, Malherbe lui présenta une de ses plus belles odes. 13 En partant pour Paris, en 1605, il laissa sa femme à Aix avec leur fils Marc-Antoine. 14 Celui-ci eut, à l’époque de la Fête-Dieu en 1622, une querelle avec un jeune officier que nous croyons être le même Fortia de Pilles avec qui il eut une dernière affaire en 1627 ; car ce Marc-Antoine parait avoir été une assez mauvaise tête.
A raison de l’affaire dont nous parlons, il fut décrété de prise de corps par le parlement. Malherbe, qui était venu passer quelques mois à Aix à la même époque, emmena aussitôt avec lui son fils à Paris et l’envoya de là en Normandie. Mais Marc-Antoine était revenu à Aix en 1627 au plus tard, puisque au mois de juin de ladite année, Paul de Fortia de Pilles, y étant venu aussi pour épouser une fille de Jean-Baptiste de Covet, baron de Trets et de Marignane, conseiller et garde-des-sceaux du parlement, et des fêtes ayant été données à cette occasion dans l’une ou l’autre de ces terres également distantes de quatre lieues de la ville d’Aix, Malherbe le fils y eut avec de Pilles une nouvelle affaire dans laquelle il fut tué par celui-ci, assisté de Gaspard de Covet, baron de Bormes, son beau-frère. 15
Ce duel eut lieu le 13 juillet, et le surlendemain le corps de Marc-Antoine fut apporté à Aix où il fut inhumé dans l’église des P. P. Minimes, aujourd’hui les dames du Saint-Sacrement. Il était alors près d’être reçu conseiller au parlement. On sait encore que Malherbe fut inconsolable de cette perte, et ne survécut à son fils que quinze mois, étant mort à Paris le 16 octobre 1628, ainsi que cette date est constatée dans le testament de Magdelaine de Coriolis, sa veuve. Il avait institué pour son héritier Vincent de Boyer, seigneur d’Eguilles, depuis conseiller au parlement et petit neveu de sa femme, comme le dit encore le même testament de celle-ci 16; mais nous n’avons pu retrouver celui de Malherbe que nous eussions été si jaloux de publier.
Marc-Antoine avait du talent pour la poésie et avait laissé quelques vers où il y avait plus de feu, dit l’abbé Goujet, 17 mais moins de correction que dans ceux de son père. Ces
vers sont probablement perdus pour toujours, ainsi que la plupart des livres de la bibliothèque de Malherbe, pillée et dispersée pendant la révolution et durant l’émigration de MM. d’Eguilles. On trouve cependant quelques-uns de ces livres, de temps à autre, chez les bouquinistes, à Aix. 18
1 Nous le trouvâmes chez Me Perrin, dont l’étude a passé depuis à Me Pison. Retour
2 Contrat de mariage du 16 février 1573, Barthélemy Catrebards, notaire à Aix. Retour
3 Contrat de mariage du 16 avril 1577, même notaire. Retour
4 Papon, Histoire générale de Provence, tom. IV. pag. 255, note, d’après la lettre de Decormis à Saurin, du 10 décembre 1720, voyez ci-dessus, pag. 492 et suiv. Retour
5 M. Ph. de Chenevières, jeune normand, aussi aimable que spirituel et érudit, que nous avons eu le plaisir de connaître pendant plusieurs années à Aix où il faisait son cours de droit, a publié dans son entier cette Instruction de Fr. de Malherbe à son fils, à Caen, chez F. Poisson et fils, 1846, 38 pag. grand in-8°. Dans un avertissement de 4 pag. qui précède et qui est daté d’Aix, février 1844, M. de Chenevières a la bonté de nous citer comme ayant le premier fait connaître cette instruction au public, dans nos Recherches biographiques sur Malherbe, etc. , dont nous parlerons ci-après. Il ajoute à cet égard des phrases trop liai flatteuses pur que nous les reproduisons ici. Retour
6 Voyez son acte de baptême dans les registres de la paroisse Sainte-Magdelaine, à la date du 1er août 1585. Retour
7 Voyez l’Appendice à nos recherches biographiques sur Malherbe, etc., Aix, Nicot et Aubin, 1841, 3 pag. in-8°. Retour
8 C’est de Henri son premier fils et de cette fille Jourdaine, que Malherbe dit dans ses stances à Dupérier :
De moi, déjà deux fois d’une pareille foudre
Je me suis vu perclus, etc. Retour
9 C’est à lui que Malherbe adressa ces belles stances qui commencent ainsi :
Ta douleur, Dupérier, sera donc éternelle ? Retour
10 Voyez ci-dessus, pag. 164, et l’abbé Goujet, Bibliothèque française, t. XIII, pag. 435. Retour
11 Voyez l’abbé Goujet, Bibliothèque française, tom. XIV, pag. 320. Retour
12 Voyez le même ouvrage, tom. XIV, pag. 24 et 464. François D’Escallis ou plutôt d’Escalis, était né à Aix le 1er mars 1569, et était parent maternel de la femme de Malherbe. Retour
13 Voyez toutes les éditions des oeuvres de Malherbe. Retour
14 Voyez son acte de baptême dans les registres de la paroisse Sainte-Magdelaine, à la date du 15 décembre 1600. Retour
15 Voyez, sur toutes les circonstances de ce duel, les lettres de Malherbe dans la plupart des éditions de ses oeuvres; la nouvelle collection de ses lettres à Peiresc (imprimée à Paris, chez Blaise en 1822, in-8°, lettre 207, pag. 498); celle que Malherbe adressa au roi Louis XIII, et que Meusnier de Querlon a insérée dans son édition des Poésies de Malherbe, rangées par ordre chronologique (Paris, Barbou, 1764, in-12) ; Collection des classiques français (Malherbe, tom. II, pag. 140 et suiv.) ; Historiettes de Tallement des Réaux, Paris, 1834, in-8°, 1er vol., à la fin de l’historiette de Malherbe ; nos Recherches biographiques sur Malherbe, etc. Retour
16 Testament du 1er août 1629, déposé le lendemain, en présence de témoins, à Joseph Aymar, notaire à Aix. Sur Vincent de Boyer d’Eguilles et ses descendants, voyez ci-dessus, pag. 39 et suiv. Retour
17 Bibliothèque française, tom. XV, pag. 179. Retour
18 Voyez nos Recherches biographiques sur Malherbe, adressées à MM. les Maire, Adjoints et Membres du conseil-municipal de la ville de Caen, Aix, Pontier, 1824, 28 pag. in-8°, réimprimées sous le titre de Recherches biographiques sur Malherbe et sur sa famille, dans le IVe volume des Mémoires de l’Académie d’Aix, pag. 365 et 426, avec des augmentations et fac-simile de quatre signatures différentes de Malherbe ; et tirées séparément chez Nicot et Aubin, 64 pag., in-8°. Ces recherches sont terminées par une lettre de Malherbe fort curieuse et jusqu’alors inédite, sur la mort de son fils. Il faut y joindre l’appendice dont nous parlons à la pag. 555, note 2, et depuis laquelle on nous a communiqué une cinquième signature Demalerbe (en un seul mot et sans H), différente des autres et que nous aurons peut-être l’occasion de publier avec celle du grand-prieur, Henri d’Angoulême, au bas de laquelle elle est apposée. Retour