Les Rues d’Aix
ou recherches historiques sur l’ancienne capitale de Provence
par Roux-Alpheran en 2 tomes 1848 et 1851
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COURS NOTRE-DAME
a porte Notre-Dame, située exactement au nord de la ville actuelle et de l’ancien bourg Saint-Sauveur, a donné son nom au Cours et au petit faubourg dont nous allons parler. Ce Cours s’étend à peu près également à droite et à gauche le long des lices extérieures, d’un côté jusqu’à la porte Bellegarde, et de l’autre jusqu’au jardin de Grassi et la tour de Tourreluco, autrefois la poudrière. 1 Ces deux parties des boulevards qui ornent quelques-uns des alentours de la ville, furent plantées, l’une en 1724, l’autre en 1737, pour l’agrément des habitants des quartiers des Cordeliers, de Saint-Sauveur et de Bellegarde.
Le même Cours Notre-Dame forme comme une espèce de T renversé , au moyen d’une troisième branche, plantée depuis 1680, qui envisage la porte de la ville et qui se dirige vers l’hôpital Saint-Jacques. Sur la ligne à droite, ou remarque le tombeau de Joseph Sec, fondateur de presque toutes les maisons qui forment le faubourg Notre-Dame, notamment dans la partie qui s’étend vers le jardin de Grassi. Cet estimable citoyen, que bien des gens croient avoir aussi fait reconstruire à ses frais la porte Notre-Dame en 1786, 2 fit élever ce tombeau, assez singulier dans sa composition, en 1792 et de son vivant, car il ne mourut que deux ans après. M. Porte en a donné la description que nous ne rapporterons pas ici. 3
L’ancienne aire du Chapitre, ainsi nommée parce que le chapitre métropolitain y faisait fouler, avant la révolution, les blés produits de la dîme qu’il percevait dans le territoire d’Aix, 4 est aujourd’hui le lieu de réunion des bestiaux qu’on amène tous les jeudis au marché public qui s’y tient chaque semaine de l’année et qui est d’un produit considérable pour cette ville. On a fait bien souvent des fouilles dans le terrain occupé par cette aire, et l’on on a toujours rapporté de curieux débris d’antiquités. 5
L’hôpital général Saint-Jacques, situé de l’autre côté du chemin qui conduit à Puyricard, fut fondé en 1519, par Jacques de la Roque, pieux habitant d’Aix, plusieurs fois consul de cette ville, 6 sur lequel M. Mouan notre honorable collègue, a publié une notice pleine d’intérêt, 7 à laquelle nous renvoyons nos lecteurs. Ils y trouveront des détails biographiques sur ce bienfaiteur de l’humanité ainsi que sur l’administration et les progrès de son établissement, qui s’est accru successivement par les libéralités d’une foule de particuliers. A leur tête il est juste de nommer Balthazar de Jarente, grand président de la chambre des comptes de Provence, successivement évêque de Vence et de Saint-Flour, mort archevêque d’Embrun en 1555 ; 8 et Mgr de Brancas, archevêque d’Aix, qui fît bâtir à ses frais, en 1753, l’aile occidentale de cet hôpital, dite des Convalescents.
L’église actuelle de l’hôpital Saint-Jacques appartenait, avant la révolution, aux Capucins, et avant eux c’était une chapelle rurale qui, depuis un temps immémorial, était dédiée à Notre-Dame de Consolation ou de la Sainte-Résurrection. L’époque de sa fondation n’est pas connue, mais doit être fort ancienne, puisque dès le rétablissement du bourg Saint-Sauveur au XIe siècle environ elle donna son nom à la porte de ce bourg qui y conduisait et qu’on nommait aussi quelquefois la porte Dancrota ou das crotas. 9 On a vu précédemment 10 qu’au mois d’octobre 1387, la reine Marie de Blois et son fils Louis II d’Anjou, roi de Naples, comte de Provence, venant prendre possession de la ville d’Aix en suite du traité de la reddition de cette ville et de l’Union d’Aix à leur obéissance, mirent pied à terre dans cette église et jurèrent l’observation du traité entre les mains des syndics et du conseil avant d’entrer dans la ville.
Les Capucins furent reçus dans Aix en 1585. Le chapitre de Saint-Sauveur leur fit don de la chapelle de Notre-Dame de Consolation, et le conseil de ville, tenu le 3 février, leur fit également don d’une maison et d’un jardin que la ville possédait auprès de cette chapelle et de l’hôpital Saint-Jacques. C’est de là que se forma l’établissement que ces religieux ont conservé jusqu’à la révolution, c’est-à-dire pendant un peu plus de deux siècles. 11
Plusieurs de ces Capucins s’étaient fait remarquer de leur vivant, soit par leur éminente piété, soit par les divers ouvrages qu’ils avaient publiés et qui sont, pour la plupart, tombés depuis longtemps dans l’oubli. Achard nous en a conservé le souvenir dans son Dictionnaire des hommes illustres de Provence, auquel on peut recourir. 12 Nous ne citerons donc ici que Joseph-Ignace de Mesgrigni, fils du premier président de ce nom, né à Aix en 1653, qui prit la robe de Capucin en 1677, non dans le couvent de sa ville natale, mais dans celui de Paris, et qui fut appelé à l’évêché de Grasse au mois d’avril 1711. C’est lui qui fit construire l’église souterraine de la cathédrale de cette ville, où il se rendit particulièrement recommandable, dit Papon, 13 » par sa régularité, sa modestie et cette naïve simplicité qui se peignait dans la plupart de ses actions. » Il mourut à Grasse le 2 mars 1726. On a conservé jusqu’à la révolution dans la première chapelle à gauche en entrant dans cette église des Capucins (celle où l’on a transporté depuis le Calvaire, qui se trouvait anciennement dans l’église des Augustins et dont nous avons parlé, 14) on y a conservé, disons-nous, un crucifix en bois qui était en grande vénération parmi les habitants d’Aix. Le premier juillet 1593, peu de jours après que le duc d’Epernon eut entrepris le siége qu’il mit devant cette ville pendant un peu plus d’un an, comme nous le rapporterons ci-après, un boulet de canon tiré du fort Saint-Eutrope où était campé le duc, vint traverser, disait-on, la fenêtre qui se trouve au-dessus de la porte d’entrée de l’église, et alla se briser contre le bras de ce crucifix. Un procès-verbal authentique de ce fait miraculeux était conservé aux archives du couvent et un fragment du boulet suspendu au bras de la croix où on l’a vu jusqu’à la révolution. Il est bien étonnant que le procureur Foulques Sobolis, zélé catholique et grand Ligueur, qui nous a laissé un journal si détaillé de ce qui s’est passé à Aix de son temps, notamment pendant le siège du duc d’Epernon, ne dise pas un mot de ce fait dans ses mémoires. Apparemment il n’en entendit jamais parler de son vivant.
Devant cette église passe le chemin public qui conduit à Puyricard et auparavant à Entremonts, côteau assez élevé au midi du côté d’Aix et qui se prolonge au nord en pente douce jusqu’à la vaste plaine de Puyricard. On y découvre un très grand nombre de débris de grossières et anciennes constructions, de poteries, etc., qui témoignent que là ont été autrefois des habitations. M. de Saint-Vincens le fils y voyait un camp romain ; 15 M. Mérimée, un oppidum temporaire, un camp retranché, une fortification improvisée, où les Salyens se retirèrent à l’approche des Romains ; 16 feu M. Michel de Loqui 17 nous parait avoir prouvé jusqu’à l’évidence dans un travail très curieux, 18 que sur le côteau d’Entremonts existait la ville même habitée par les Salyens, lorsque le proconsul romain C. Sextius Calvinus arriva dans nos contrées pour combattre ce peuple qu’il soumit, et fonda la ville d’Aix cent vingt-trois ans avant Jésus-Christ.
1 Voyez notre 1er vol., pag. 408. Retour
2 Voyez notre 1er vol., pag. 300. Retour
3 Aix ancien et moderne, 1re édit., pag. 169, et 2e édit., pag. 208. Retour
4 Dans le territoire d’Aix, la dîme était réglée à la vingt-unième partie des gerbes de blé, seigle, orge et avoine ; à la trente-unième partie des raisins, et au vingtième des agneaux et chevreaux. Ainsi chacun payait proportionnellement à ce qu’il récoltait réellement, et non sur ce qu’il était présumé devoir recueillir. Retour
5 Voyez notre tom. 1er, pag. 81, not. 2, et les rapports sur les fouilles, etc., dues à la commission d’archéologie, cités ci-dessus, pag. 464, not. 1re. Retour
6 Savoir : en 1513-14, 1514-15, 1522-23, 1530-31. – Il est surprenant que M. Mouan n’ait pas fait mention du premier consulat de Jacques de la Roque dont les collègues furent cette fois Jean Durand (de la famille des seigneurs de Fuveau, éteints depuis environ un siècle), et Antoine Donat, assesseur. Retour
7 Aix, Pontier, 1834, in-8°, avec portrait. Retour
8 Voyez notre 1er vol., pag. 231, et ci-dessus pag. 245. Retour
9 Voyez notre 1er vol., pag. 250. Retour
10 Voyez ibid. pag. 315. Retour
11 Le chapitre se réserva, en donnant cette église aux Capucins, le droit d’aller y chanter solennellement, chaque année, le samedi saint, le regina cœli lœtare, en mémoire de la visite que le Sauveur rendit à sa mère d’abord après sa résurrection ; pratique qui a été observée jusqu’à la révolution. Retour
12 Voyez au premier volume de ce dictionnaire, les articles Michel-Ange d’Aix, pag. 22, Hugues d’Aix, pag. 409 ; et Marc de Beauduen, pag. 475 ; et au second volume, les articles Prophire de Barcelonnette, pag. 122 ; Prophire-Marie d’Aix, pag. 123 ; Rolland de Reauville, pag. 164 ; et Bonavanture de Carpentras, pag. 416. Retour
13 Hist. génér. de Provence. tom. 1er, pag. 421 Retour
14 Voyez notre 1er vol., pag. 544. Retour
15 Mémoire sur quelques découvertes d’antiquités faites auprès d’Aix en 1817, etc., par M. de Saint-Vincens, dans le tom. 1er des Mémoires de l’académie d’Aix ; Aix, Pontier, 1819, in-8°, pag. 194 à 211. Retour
16 Notes d’un voyage dans le midi de la France, par Prosper Mérimée ; Paris, Fournier, 1835, in-8°, pag. 235 à 240. Retour
17 Joseph-Etienne Michel de Loqui, né à Aix en 1812, mort dans cette ville le 4 mai 1840, à peine âgé de vingt-huit ans, d’une maladie de poitrine qu’avait précédée une perte presque entière de la vue ; jeune érudit de la plus haute espérance, auteur de plusieurs dissertations et mémoires dont l’académie des inscriptions et belles-lettres avait, apprécié le mérite. » Il promettait à la science un soutien illustre, à notre ville un citoyen digne de l’énorgueillir » dit M. Ch. Giraud, en tête de l’éloge de son ami, imprimé à Aix, chez Nicot et Aubin, en 1840, 15 pag. in-8°. Retour
18 Recherches sur les ruines d’Entremonts (situées près d’Aix, Bouches-du-Rhône), et sur les mœurs des Salyens, par E. Michel de Loqui, avocat ; mémoire auquel l’académie des inscriptions et belles-lettres a accordé une mention honorable dans sa séance publique du 10 août 1838. Aix, F. Guigue, 1839, in-8°. Retour