Les Rues d’Aix – Partie inférieure de la rue des Cordeliers


Les Rues d’Aix
ou recherches historiques sur l’ancienne capitale de Provence
par Roux-Alpheran en 2 tomes 1848 et 1851
>>> Retour Accueil du Blog <<<

PARTIE INFÉRIEURE


DE LA


RUE DES CORDELIERS

AYMOND DE TURENNE, duquel nous avons parlé, 1 fut surnommé le Fléau de la Provence, parce que vers la fin du XIVe siècle, il fit des ravages infinis dans ce pays, en haine de ce que la seconde maison d’Anjou lui avait retiré les grands biens que la reine Jeanne avait donnés à sa famille. Il commit d’immenses dégâts dans le territoire d’Aix et fit notamment mettre le feu au couvent des Cordeliers, fondé vers l’an 1220, tout près des murs de la ville comtale du côté du sud-ouest, à peu près là où est aujourd’hui la place que nous appelons la Rotonde. Les religieux se retirèrent alors dans le nouveau quartier qui n’était pas encore entièrement bâti, et en occupèrent la partie située au midi du bourg des Anglais. Leur nouvelle église, l’une des plus belles de la ville, et qui a été détruite au bout de cinq cents ans d’existence, pendant la révolution, bordant à peu près la ligne méridionale de la continuation de l’ancienne rue des Fabres, donna son nom à cette partie de la rue et a fini par le donner à la rue entière depuis la porte publique jusqu’à l’Hôtel-de-Ville.
On voyait dans cette église, avant la révolution, la statue en bois de la Sainte Vierge, connue sous le nom de Notre-Dame de Grâce, qui est actuellement conservée dans l’église paroissiale de Sainte-Magdelaine, où elle fut portée solennellement le dimanche 22 mai 1791, comme nous le dirons plus bas. On y voyait aussi le tombeau en pierre de Marguerite de Cossa, petite nièce du pape Jean XXIII et fille de Jean de Cossa comte de Troye, baron de Grimaud, etc., grand-sénéchal sous le roi René, laquelle avait épousé Honoré de Lascaris, comte de Tende, et en secondes noces Georges de Grimaldi, baron de Beuil. Cette dame mourut à Aix, le 1er mars 1505, ainsi que le portait son épitaphe. Sa statue était couchée sur le couvercle de son tombeau, ayant les mains jointes et un chien étendu à ses pieds. Peu de temps avant sa mort elle avait fait son testament 2 par lequel elle prescrivait que son sépulcre fût pareil à celui de l’amie de son enfance, Blanche d’Anjou, fille naturelle du roi René, morte en 1470, et dont nous avons parlé plus haut. 3 Ce monument a disparu pendant la révolution. 4
On conservait dans la sacristie des Cordeliers une portion de la mitre et un rochet qui avaient appartenu à saint Louis, évêque de Toulouse, fils de Charles II et frère de Robert, rois de Naples et comtes de Provence, mort en 1297. Ces objets ont aussi disparu. 5
Plusieurs illustres religieux de saint François, autrement dits Frères Mineurs ou Cordeliers, ont vécu dans ce couvent, et sans parler de Philippe de Aqueriis, mort en 1269, en odeur de sainteté, à l’âge d’environ cent ans ; d’Antoine de Ségovie, mort également en odeur de sainteté en 1278, et de Raymond Gaufridi, natif d’Aix, général de son ordre, mort vers l’an 1300 ; non plus que de quelques autres qui sont cités dans Pitton, 6 nous rappellerons le souvenir du savant Père Antoine Pagi natif de Rognes, mort à Aix, le 5 juin 1699, quoiqu’en dise la Biographie Universelle de Michaud, qui le fait mourir à Nice, nous ne savons sur quel fondement. 7 Cet illustre chronologiste, sans autre secours que les livres de son couvent et de quelques bibliothèques de particuliers, releva avec succès les erreurs qui se trouvent dans les annales de Baronius et composa quelques autres ouvrages cités par Michaud, et mieux encore par le père Bougerel, qui a écrit une vie de ce religieux. 8
Un autre savant religieux de ce couvent était le père Honoré Moulin, né à Aix, le 17 février 1685, mort le 16 octobre 1758. 9 Il avait recueilli toutes les inscriptions latines et françaises qui se trouvaient de son temps dans les édifices publics de cette ville, et son manuscrit existe à la bibliothèque Méjanes. Il est vrai que la grande partie de ces inscriptions avait déjà été rapportée par de Haitze, dans son Histoire d’Aix, suivant leur ordre chronologique. Mais il faut bien des recherches pour les y trouver, tandis que dans le père Moulin il n’est besoin d’aucune peine pour les lire. Il y en a d’ailleurs dans son recueil que de Haitze n’avait pas connues.
Ainsi que dans toutes les anciennes églises, beaucoup de familles nobles et bourgeoises avaient leur sépulture dans celle des Cordeliers. Les principales d’entre elles étaient : les Antoine, les Audiffredi, les Basteti, les Bompar et les Borrilli, les Brun, les Capuci, les Chazelles et les Croze, les Dedons, marquis de Pierrefeu, etc., les Dupont, les Gaufridi et les Guiran, seigneurs de la Brillanne, les Jusbert, les Lalande, les Laugier, les Mayne et les Marcel, les Meyronnet, marquis de Châteauneuf et les barons de Saint-Marc, du même nom, les Mévolhon, les Montés et les Olivari, les Papassaudi, les Perier, marquis de Flayosc, seigneurs de Clumans, et les Rabillaud, les Solliers, les Sommat, les Trichaud, seigneurs de Saint-Martin, les Veteris, seigneurs du Revest et les Vincent.

1 Voyez ci-dessus, pag. 309, note 2. – La guerre de Raymond de Turenne occupe une place importante dans l’histoire de Provence, à la fin du XIVe siècle. On en a conservé les détails dans une ancienne chronique manuscrite intitulée : Discours das troublés qué fouron en Provenso dal temps de Loys second dal nom, filz de Loys premier, reys de Sécilo et comtés de Provenso, per aquel Reymond Rougier dict de Thoraino, surnomat lo viscomté de Thoraino et Alienor de Comingés sa maïré, en l’an 1389.-Cette chronique, dont nous possédons une copie, est très curieuse , malgré une foule d’erreurs qui s’y trouvent dans les dates, mais qu’on peut rectifier avec le secours d’autres manuscrits et surtout des registres publics de cette époque. H. Bouche la croyait composée dans le temps même de ces troubles. Le langage, quoique rude, en paraissait plus moderne au président de Mazaugues ; et le P. Papon estimait qu’elle était du temps du roi René. Retour

2 Devant Imbert Borrilli, notaire à Aix. Retour

3 Voyez ci-dessus, pag. 233. Retour

4 Il est juste de dire que les religieux l’avaient déplacé pour la décoration de leur église, au commencement du XVIIIe siècle, et l’avaient relégué dans la chapelle du Crucifix, au fond de leur cloître d’où on ne sait où il a passé. Retour

5Nous conservons, à titre de curiosités, deux autres objets qui ont appartenu à cette église: 1° une statue en bois du même saint Louis, évêque de Toulouse, haute de deux pieds (environ 65 centimètres ) et qui date évidemment de la fin du XIIIe siècle. Le saint est revêtu de la robe de Cordelier et a les reins entourés du cordon de saint François qui pend jusqu’à terre. Il porte sur ses épaules un manteau long, d’azur, parsemé de fleurs de lys d’or, dont la dorure est assez bien conservée. Les bras sortaient de ce manteau ; mais ils ont disparu. La tête n’est pas sans expression et est surmontée de la mitre, telle que les évêques la portaient alors ; 2° Un écusson en pierre, très délicatement travaillé, portant les armoiries de la famille Jusbert , éteinte vers le milieu du XVIIe siècle, après avoir donné plusieurs consuls d’Aix en 1511, 1581, 1584 et 1596. Ces armoiries étaient de gueules, à un aigle aux ailes éployées d’argent, au chef d’azur chargé de trois fleurs de lys d’or. D’où les Jusbert tenaient-ils le droit de porter ces fleurs de lys ? Il serait curieux de le savoir, mais nous n’avons pu le découvrir. Cet écusson était un pendentif de la voûte de la petite chapelle où ils avaient leur sépulture, dans cette église des Cordeliers. Nous devons le premier de ces objets à M. Baille, et le second à M. Boyer, ancien pharmacien, auxquels nous en renouvelons ici nos remerciements. Retour

6 Annales de la sainte Eglise d’Aix, pag. 140 et suiv. Retour

7Tome XXXII, pag. 368 et suiv. Nous pensons qu’il y a là une faute d’impression. Retour

8 Mémoires pour servir à l’histoire de plusieurs hommes illustres de Provence. Paris, 1752, in-12, pag. 260 à 290. Retour

9 Jean Moulin, son aïeul, avocat distingué avait été assesseur en 1675, et Honoré Moulin, son oncle, dernier consul en 1711. Retour