Les Rues d’Aix – Rue des Bernardines


Les Rues d’Aix
ou recherches historiques sur l’ancienne capitale de Provence
par Roux-Alpheran en 2 tomes 1848 et 1851
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RUE DES BERNARDINES

E couvent des religieuses de l’ordre de Saint-Bernard, fondé en 1639, à donné son nom à cette rue. Philippine de Rousset, dame de Prunières, en Dauphiné, étant devenue veuve de Gabriel d’Estienne, président au parlement d’Aix, fut la fondatrice de ce couvent, pour l’établissement duquel elle donna sa maison. Elle y fit elle-même profession avec une de ses filles, et en fut la seconde supérieure après la mort de la mère de Poncenat, qui avait emmené les premières sœurs de Grenoble.
Mais ces religieuses ne furent jamais bien nombreuses et se trouvaient réduites à six ou sept, lorsqu’un arrêt du conseil d’Etat autorisa M. de Brancas, archevêque d’Aix, à prononcer la suppression de ce monastère en 1761, ce qui ne fut effectué toutefois qu’en 1768 par M. de Boisgelin, successeur de M. de Brancas, ces religieuses n’étant plus qu’au nombre de trois.
Leur église n’avait été construite qu’en 1690 et était encore en état, lorsque le fameux abbé Rive, duquel nous avons déjà parlé, 1 attiré à Aix pour occuper la place de bibliothécaire établit dans cette église, en 1790, le club des Frères Anti-Politiques, composé de paysans ou d’artisans de la classe la moins élevée, auxquels ce misérable prêchait journellement le meurtre et le pillage. Ses attaques étaient principalement dirigées contre les anciens administrateurs de la province, qu’il avait si violemment insultés dans ses Lettres Violettes et Noires ou anti-épiscopales et anti-grand vicariales, touchant les administrations de Jean-de-Dieu de Boisgelin, archevêque d’Aix et d’Emmanuel-François de Bausset de Roquefort, évêque de Fréjus, etc., etc., et dans ses Lettres Purpuracées, ou Lettres consulaires et provinciales, écrites contre les consuls d’Aix, procureurs du pays de Provence (MM. Roman de Tributiis, assesseur, Duranti-Collongue et Arnulphy, second et troisième consuls). 2 Le malheureux auquel il en voulait le plus, était l’ancien assesseur Pascalis, contre lequel il fit paraître, le 13 décembre 1790, le plus criminel de ses pamphlets, sous le titre de : Lettre des vénérables Frères Anti-Politiques, c’est-à-dire des hommes vrais, justes et utiles à la patrie, à M. le président du département des Bouches-du-Rhône, appelé Martin, fils d’André, antérieure à l’ incarcération du scélérat Pascalis, suivie d’un post-scriptum écrit après son incarcération. 3
Dans cet affreux écrit, l’abbé Rive, faisant allusion aux mémoires publiés en 1787 par M. Pascalis en faveur du tiers-état contre les deux premiers ordres sur l’égale contribution aux charges publiques, ne craint pas de dire :  » Tout homme , quel qu’il soit, par quelques grands travaux qu’il puisse s’être distingué, s ‘il devient un jour l’ennemi de la patrie, il doit lui faire le sacrifice de sa vie sous une lanterne. . . .  » Et dans le post-scriptum :  » Pascalis est pris et aux fers. Le peuple a eu le droit de le saisir pou le traduire devant l’auguste Assemblée nationale comme coupable de lèze-nation. Il faut faire imprimer les pièces saisies chez lui avec l’infernal discours prononcé en septembre dernier, 4 sur la fosse ouverte à l’ancien parlement désastreux que le peuple avait ici , par ce mortel exécrable que le peuple tient aussi sur sa fosse. . . . . .  » Et le lendemain, 14 décembre, M. Pascalis fut pendu par la populace à une lanterne, sur le Cours ! ! ! 5
Glorieux de cet horrible succès, l’abbé Rive devint plus acrimonieux, plus acerbe que jamais ; insolent même envers les autorités constituées qui le dénoncèrent enfin, le 21 avril, au tribunal de district, comme perturbateur du repos public, en répandant des écrits séditieux tendant à égarer le peuple et à lui donner de fausses idées de liberté. Une procédure s’instruit contre lui ; les Anti-Politiques qu’il ne cesse de diriger, s’en émeuvent et menacent les corps administratifs de les dénoncer à la France entière s’ils ne rétractent leur dénonciation contre l’abbé Rive, comme  » propagateurs du despotisme, meurtriers de la liberté, et leur faisant craindre le courroux des très illustres et très généreux Marseillais qui savent, disent-ils, donner de très justes idées sur la liberté et sont de si austères prostigateurs de toutes indécences et illégitimités nationales. » 6
L’abbé Rive n’en fut pas moins décrété de prise de corps le 21 mai, et contraint de s’enfuir à Marseille d’où il dicta aux Anti-Politiques une nouvelle délibération contre les vexations que les trois corps administratifs réunis (ceux du département, du district et de la municipalité) font éprouver. Disent-ils, à un homme de lettres qui se moque d’eux. Qui ne reconnaît là le style de l’auteur de la Chasse aux bibliographes, de la Lettre vraiment philosophique à l’évêque de Clermont, etc.?
Aussi l’abbé Rive ne reparut-il plus à Aix.  » On peut croire, dit la Biographie universelle, qu’il se serait livré à des excès encore plus coupables, s’il n’eût succombé lui-même à une attaque d’apoplexie, en 1792, à Marseille.  » Il y était mort dès le 20 octobre 1791, d’un accès de rage révolutionnaire.
Environ un an après, le club des Anti-Politiques se transféra dans l’église des religieuses de Saint-Sébastien qui venaient d’être expulsées de chez elles, 7 et l’église des Bernardines fut démolie quelques années plus tard. 8
Le célèbre médecin Pierre Garidel, premier professeur de médecine à l’université d’Aix et l’un des plus savants botanistes de son temps, né le 1er août 1658, demeurait dans cette rue, sur la ligne opposée à celle du couvent des Bernardines. Le grand Tournefort, son compatriote et son ami, avait voulu l’attirer à Paris et lui assurait un revenu de quinze mille francs s’il voulait aller se fixer dans cette capitale.  » Mais il était trop amoureux de sa botanique de Provence pour se résoudre à changer ainsi de résidence pour le gain. 9  » Garidel publia, en 1715, son Histoire des plantes qui naissent aux environs d’Aix (Aix, David, in-f°, imprimée avec luxe et accompagnée de cent planches gravées par H. Blanc), ouvrage encore très estimé et qui assure à jamais à son auteur une réputation méritée. Il mourut le 6 juin 1737. 10

1 Voyez au 1er vol., pag. 92, not. 2. Retour

2 Les Lettres violettes et les Lettres purpuracées furent imprimées à Nîmes (à Dacaiopolis, chez Agaton Eleutère), les unes en 95, les autres en 117 pag. in-8°. Retour

3 Cette lettre est extrêmement rare et n’est pas citée dans la Chronique littéraire des ouvrages imprimés et manuscrits de l’abbé Rive, non plus que dans la Biog. univ. de Michaud. Retour

4 Voyez ci-dessus, pag. 90. Retour

5 Voyez ci-après, le Cours. Retour

6 Une bande de scélérats venus de Marseille avait fortement contribué à la pendaison de M. Pascalis. Retour

7 Voyez au 1er vol., pag. 437. Retour

8 Des fouilles ayant été faites en 1841, sous les fondations de celle-ci, par les soins de la commission d’archéologie, on y découvrit, à dix ou douze pieds de profondeur, cette belle colonne de granit, malheureusement brisée en trois pièces qu’on voit maintenant à terre à côté de la porte de Villeverte ; et l’on aperçut le commencement du fût d’une seconde colonne et quelques débris d’inscriptions et de sculptures, sur lesquels objets ou pourra revenir un jour, en faisant de nouvelles fouilles. – Voyez le Rapport sur les fouilles d’antiquités faites à Aix en 1841, par M. Rouard ; Aix, Nicot et Aubin, in-4° avec planches, pag. 32. Retour

9 Lettre manuscrite de Saurin à Decormis, du 28 janvier 1721, pag. 806 de l’original à la bibliothèque Méjanes et 173 de notre copie. Retour

10 Dict. des hom. illust. de Prov., in-4°, tom. 1er, pag. 333 ; et Biog. univ. de Michaud, tom. XVI, pag. 472. Retour