Les Rues d’Aix
ou recherches historiques sur l’ancienne capitale de Provence
par Roux-Alpheran en 2 tomes 1848 et 1851
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PLACE DE L’ARCHEVÊCHE
L n y a guère plus d’un siècle que cette place existe, Car elle n’est pas figurée dans les deux plans d’Aix de Cundier, dont le dernier est de 1680, et on la voit dans le premier des trois plans de Coussin, gravé en 1741. 1
L’archevêque Arnaud de Barchesio jeta les premiers fondements du palais archiépiscopal, vers l’an 1338. Ses prédécesseurs habitaient auparavant le château qui existait tout près l’église de Notre-Dame-de-la-Seds (aujourd’hui les dames du Saint-Sacrement), qui était anciennement la cathédrale. Arnaud échangea avec le prévôt de Saint-Sauveur la maison que celui-ci possédait adossée à la sacristie de cette église, et lui céda celle que les archevêques possédaient de l’autre côté de la rue comme un pied à terre lorsqu’ils venaient officier dans la moderne cathédrale. 2 Les successeurs de Barchesio augmentèrent les bâtisses qu’il avait commencées. Robert Damian fit faire le quartier qui fait face dans la grande cour, du côté du levant ; Pierre Filholi, le grand escalier ; le cardinal de Richelieu, la galerie ; et le cardinal Grimaldi, le beau corps de logis qui envisage le midi, à gauche de la cour en entrant. 3 C’est sans contredit la plus vaste habitation de la ville d’Aix et la plus susceptible d’une grande représentation.
Le roi Charles IX logea à l’archevêché, au mois d’octobre 1564, et l’on ne sera pas fâché, nous l’espérons, de connaître le cérémonial observé à l’occasion de sa réception dans Aix, par la cour des comptes, aides et finances. 4
» Le jeudi XIX octobre, année susdite 1564, estant la court dès l’assemblée de la matinée, advertie de l’arrivée que ledict seigneur espéroit faire ledict jour en ladicte ville, ayant prins son disner en une maison aux champs appelée Sainct-Jehan de la Salle, proche d’une lieue, et ayant délibéré sur l’ordre à tenir, elle manda se assembler a la près-disnée pour s’en aller en corps de court au rencontre de Sa Majesté…. Et tout aussitost fut délibéré de partir et de si bonne heure que comme étant la justice la plus antienne instituée ci establie audict païs, ont peu se présenter premier que tout autre à Sa Majesté, à temps et en lieu convenable pour la révérence de sa grandeur, de sorte que tout sur l’heure chacun en bon ordre fut à cheval. Les deux huissiers Phillippe Regnard et Pierre Lauthier pour l’absence des deux autres, allants avec leurs verges haultes et borrelets en signe de souveraineté devant monsieur maistre Jehan de Sade seigneur de Mazan et de Saumane premier président marchant premier tout seul ne s’estant peu accompagner de monsieur maistre Jehan Garnier seigneur de Montfuron, second président, lors détenu par malladie ; et apres messieurs des comptes deux à deux selon leur priorité scavoir maistres Jehan François seigneur de Chasteauneuf et de Carri au Martegues, et Artus Descalles seigneur de Bras et d’Estoblon maistres Jehan de Farges seigneur de Bruc et Raynaud Tressemanes seigneur de Chastueil et de Brunet, maistres Vincent Bompar seigneur de Magnan et André Albi, maistres François de Clappiès seigneur de Villehaultes et du Sambuc et Gaspard Guiran, maistres Jehan Arbaud seigneur de Bargemont et Gaspard de Beccaris son contretenant conseillers, après rnaistres Balthezar Albert et Arnaud Borrilli, moy Thomas Boisson et maistre Bertrand Malbec auditeurs secrétaires archivaires, maistre Honoré Arbaud advocat dudit seigneur se trouvant seul pour l’absence de maistre Jacques Arbaud son fraire procureur du roy en la susdicte court, faisans tous les susnommés le corps d’icelle et ainsi partant du palais sortirent hors la ville par la porte Sainct-Jehan 5 prenant droit le chemin d’Avignon par lequel ledict seigneur devoit estre conduict, et tant parce que ledict jour estoit clair et beau que parce qu’on s’estoit advancé de l’heure et que ainsi aussi la compagnie le desiroit, d’un bon zelle jour la révérence deue à leur roy à son arrivée ils se conduirent jusques au dessus de la montée du grand chemin d’Avignon à une petite pleine où la royne 6 fut apperceue à l’improviste venant premier que la majesté dudict seigneur, accompagnée de monseigneur le cardinal de Guise et de monsieur de Crassol et autres grandz seigneurs de la court qui la conduisoient, dont la compaignie l’ayant approchée mondict seigneur le président et toute ladicte suite luy fist entendre que ceste compaignie, les gens des comptes du roy son trez honnoré seigneur et filz en ceste sienne province s’estoient assemblés en l’estat pour se venir rendre aux pieds de Sa Majesté comme à leur roy prince et naturel seigneur, luy offrir à sa bienvenue la fidellité et obéissance et service qu’ ils lui doibvent, et que leur intention estoit dautant en présenter, honnorer, révérer et recognoistre. Sa Majesté comme royne, mère et protectrice de la personne, biens et affaires dudict seigneur et de son royaulme…ce que ladicte dame entendant print avec bon visaige et vous en remercia…et ayant incliné sa teste sur la compaignie par une forme de despart continua chemin vers la ville, et vous mesdits seigneurs, vous acheminates plus avant en entendant tousjours nouvelles des venants de vers le roy et fust advisé que de passer plus oultre on deviendroit à un estroict et long chemin costoiant une colline laquelle ne pourroist estre passée que au grand hazard d’y rencontrer ledict Seigneur où seroit mal aisé de s’y présenter sans l’incommoder, par quoy fust résolu de l’attendre et de se tenir au large en ceste petite plaine… et peu après la majesté du roy fust apperceue venir dont estant prez chacun mit pied à terre et comme la compaignie luy fut en veue et pouvoir de l’approcher, l’ayant recogneu accompaigné de monseigneur son frère duc d’Orléans 7 et du prince de Navarre 8 et autres princes sçavoir monseigneur le révérendissime cardinal de Bourbon, duc de Montpensier, marquis d’Albeuf, de Longueville, les sieurs de Bourdillon mareschal de France, comte de Tende grand seneschal gouverneur et lieutenant général dudict seigneur en cette province, le sieur de Sommerive, son filz de Sault, baron de la Garde, de Carces, de Cental, vicomte de Cadenet et sieur de Porrières et autres plusieurs princes et grands seigneurs…. vous mesdits seigneurs vous présentates à sadicte Majesté, ce qu’ayant apparceu, ledict seigneur comme roy debonnaire et prince doux et bening congnoissant à quel effect on voulloit devenir, il s’advança de ladicte assemblée pour en donner plus de moyen. Lors mondict seigneur le président approche le genoil en terre et toute la compaignie à l’instant, après luy avoir ouvert par un bon visaige le cœur de tous et faict paroistre la joye et liesse de son arrivée, commença à proposer ce à quoy sa présence, l’occasion en telle arrivée et sa charge l’obligeoient…9 A quoy Sa Majesté respondit avec une gravité accompaignée de doulceur et clémence…. Mondict seigneur le président se leva, et toute sa compaignie par ordre embrassarent la cuisse au roy et ledict seigneur imposa sa main sur un chacun et se retirans avec une grande inclination et jusques à terre de sa présence ledict seigneur leur jecta comme par une faveur et forme d’adieu sa veue et fît cheminer vers la ville…. 10 et estant approché de la susdite église de Lassèz, là furent les consuls et assesseur sçavoir noble Estienne de Mantin seigneur dudict lieu, premier consul, maistre Pierre Seguiran accesseur, Claude Corriollis seigneur de la Bastide et Jehan Fabre, bourgeois second et tiers consuls, accompaignés de plusieurs nobles, bourgeois, marchans et autres de leur maison commune faisans et représentant le corps de ladicte ville, lesquels avec un cœur humble gros et enflé d’aise et contentement de se voir approcher de leur roy et naturel seigneur, et le peuple suivant ravy de liesse chantant souvent avec un bon visaige, une parolle, une grasce et bonne chere, louant Dieu de sa bienvenue disant : Benedictus dominus qui dedit hanc volutatem in cor regis ; oultre encore tout le clergé accompaigné des autres parroisses et couventz fut en rencontre et procession généralle avec chappes et ornementz précieux, chantans et louans Dieu en disans : Laetaré, ô cité d’Aix, quia venit Rex tuus mensuetus exoriens ex alto ad visitandum nos e ad dirigendos pedes nostros in riam pacis… Sa Majesté fut de tous conduicte jusques à la porte de la ville et là receu et couvert d’un ciel-poelle de satin cramoisin broché et solenellement révéré honnoré et accompaigné en tel ordre dans ceste dicte ville par la porte des Augustins jusques à l’arcevesché où on avoit préparé son logis, les rues tendues et couvertes sur les carrefours desquelles on avoit dressé bon nombre de jeuz et moralités avec chansons nouvelles chantées sur des eschaffaultz par la jeunesse de ladicte ville avec plusieurs autres allegresses, pompes, théâtres, trophées, colomnes et pyramides eslevées à honneur et gloire et pour la resjouissance de Sa Majesté…. et ainsi accompaigné dans la grand maistresse esglise de Sainct-Saulveur où il rendit graces à Dieu et après les sainctes cérémonies observées et le Te Deum dévotement chanté, luy fut présanté la saincte croix à baiser et de là se retira ledict seigneur a ladicte arcevesché. »
Le séjour de Charles IX dans Aix fut de quatre jours entiers, pendant lesquels il fit abattre le fameux pin où l’on pendait les huguenots ainsi que nous le dirons ailleurs. 11 Il repartit de cette ville le mardi 24 octobre et alla dîner à Porrières et coucher à Saint-Maximin, d’où il se rendit à la Sainte-Baume, Brignolles, Soliès et Hyères. De là il vint à Toulon, Ollioules, La Cadière, Aubagne, et le lundi 6 novembre il fit son entrée à Marseille où il séjourna sept jours. Il en repartit le 15 novembre et passant par Marignane, le Martigues et Saint-Chamas, il entra, le jeudi 16, à Arles, où les eaux le retinrent pendant trois semaines. Enfin, le 7 décembre il alla coucher à Tarascon, et le 12 du même mois il passa le Rhône pour entrer en Languedoc.
Louis XIII logea aussi à l’archevêché lorsqu’il vint en Provence, en 1622. Ce prince fit son entrée à cheval, le 2 novembre vers les trois heures de l’après-midi. Il venait de recevoir les hommages des cours souveraines et autres corps de la ville, assis sur un trône qu’on avait élevé devant l’église de Notre-Dame-de-la-Seds, appartenant alors aux PP. Minimes. Les membres du parlement étaient à cheval et en robes rouges, les présidents ayant leurs mortiers sur la tête.
A la porte des Augustins, qu’on appelait aussi la Porte Royale, parce que c’était par cette porte que nos rois faisaient autrefois leur entrée dans Aix, 12 les consuls et assesseur présentèrent à Sa Majesté les clefs en or de la ville, attachées ensemble avec une chaîne du même métal. Le roi rendit aussitôt les clefs aux consuls, disant qu’elles étaient bien entre leurs mains et jura d’observer et de garder les statuts et les privilèges de la ville. Il se plaça ensuite sous un dais porté par le juge-royal, le viguier et les consuls, et s’achemina vers Saint-Sauveur d’où, après quelques prières, il alla prendre son logement à l’archevêché. Le temps avait manqué pour faire les préparatifs convenables; aussi, le roi partant le 5 novembre pour Saint-Maximin et la Sainte-Baume, promit-il de repasser par Aix, ce qu’il effectua le 9 du même mois en venant de Marseille, et c’est à ce second passage que lui fut faite cette magnifique entrée, dont J. de Gallaup-Chastueil nous a donné la description. 13 C’est alors qu’il dit, à ce que rapporte la tradition, qu’à Arles on l’avait reçu comme un gentilhomme, à Marseille comme un roi, et à Aix comme un Dieu. C’est encore alors qu’il visita le cabinet du notaire Borrilli ; 14 que l’avocat Thomas Billon lui présenta son recueil de 500 anagrammes sur le nom de Louis XIII (travail fastidieux que le roi récompensa par une forte pension), 15 et qu’un autre avocat, Jacques Arnoux, lui présenta aussi l’inventaire des reliques des saints conservés en Provence. 16
On a vu plus haut 17 que Louis XIV étant à Aix en 1660, le palais archiépiscopal fut choisi pour la demeure de la reine mère Anne d’Autriche. Nous rappellerons que l’auguste fille de Louis XVI, madame la duchesse d’Angoulême, y a logé aussi lors de son passage à Aix, au mois de mai 1823.
Pendant la révolution, les diverses administrations du département des Bouches-du-Rhône, directoire ou administration centrale, y ont tenu leurs séances jusqu’au préfet Charles Delacroix, qui y fut installé le 7 avril 1800, 18 et qui, dès le lendemain, alla s’établir à Marseille où ses successeurs ont continué de résider depuis. Inutile sans doute de rappeler les titres de la ville d’Aix pour le rétablissement de la préfecture dans ses murs ; mais il n’est pas défendu, il ne saurait l’être, d’exprimer à ce sujet les vœux les plus ardents. Puisse le gouvernement les exaucer un jour, s’il ne veut pas que, suivant l’énergique expression d’une dame de beaucoup d’esprit, notre ville devienne enfin l’antichambre du cimetière.
1 Voyez ci-dessus pag. 328, n° IV, V, VI, VII et VIII. Retour
2 Voyez ci-dessus, pag. 264. Retour
3 Pitton, Annales de la sainte église d’Aix, in-4°, pag. 175. Retour
4 La relation que nous donnons est tirée d’un manuscrit autographe de la bibliothèque Méjanes, duquel nous possédons une copie et qui est intitulé : Ordre tenu par les seigneurs des comptes à l’arrivée du roy Charles IX en son pays et comté de Provence. A messeigneurs de la court des comptes, aides, archifz et finances du roy nostre syre en son pays et comté de Provence, Forcalquier et terres adjacentes, Th. Boisson, conseiller auditeur, secrétaire, archivaire dudict seigneur en ladicte court, leur humble serviteur en toute humilité et révérence leur présente salut. – Thomas Boisson était le sixième aïeul du bon M. de Boisson la Salle, mort sans postérité en 1823, auteur d’un Essai sur l’histoire des comtes souverains de Provence, et duquel nous avons parlé ci-dessus, pag. 246. C’est lui qui donna à la bibliothèque Méjanes, le manuscrit en question. Retour
5 On doit se rappeler que la porte Saint-Jean était alors vers l’extrémité de la rue du Pont-Moreau où finissait, la ville avant l’agrandissement de 1646. Retour
6 Catherine de Médicis, veuve du roi Henri II et mère de Charles IX. Elle revint en Provence, sans le roi son fils, Henri III, au mois de juin 1579, pour appaiser les troubles occasionnés par les Razats et les Carcistes! ; voyez ci-dessus, pag. 136, note 1). Elle fit son entrée à Aix le samedi 27 juin, accompagnée du cardinal de Bourbon, du prince de Condé, etc., et logea de nouveau à l’archevêché, jusqu’à son départ qui eut lieu le lundi, 6 juillet. Retour
7 L’auteur se trompe ici : aucun des frères de Charles IX n’a porté le titre de duc d’Orléans. Il s’agit du duc d’Anjou qui accompagna le roi, son frère, dans ce voyage. Retour
8 Henri, qui fut depuis le bon Henri IV. Il était alors âgé de près de onze ans. Retour
9 Suit l’analyse d’un très long discours dans lequel le premier président de Sade remonte à l’origine de la cour des comptes, fait l’histoire de cette cour et des comtes de Provence, etc., ce qui dut probablement fort intéresser le roi alors âgé de quatorze ans, le prince de Béarn et les autres présents. Retour
10 Avant d’arriver à Notre-Dame-de-la-Seds (aujourd’hui les dames du Saint-Sacrement, alors les P.P. Minimes) le cortège rencontra la commission qui, depuis près d’un an, remplaçait la cour de parlement à cheval, en robes rouges et chaperons fourrés, et qui fit son compliment au roi. Retour
11 Voyez au second volume, place des carmélites. Retour
12 Voyez ci-dessous, porte des Augustins. Retour
13 Voyez ci-dessus, pag. 166. Retour
14 Voyez ci-dessus, pag. 345. Retour
15 Sibyla gallica, seu felicitas seculi, justo regnante Ludovico : auctore Thom. Bellonio. Parisiis, Buon, 1616, in-f°. – Secunda editio auctior, 1624, in-f°. Retour
16 Recueil et inventaire des corps saints et autres reliques qui sont au pays de Provence, la plupart desquels ont été visités par Louis XIII en 1622; Aix, Et. David, 1636, in-8°. Retour
17 Voyez ci-dessus, pag. 275. Retour
18 Très peu de gens, si ce n’est les fonctionnaires publics, allèrent le voir à son arrivée, ce qui fut peut-être la cause première de l’aversion qu’il témoigna pour la ville d’Aix pendant tout le cours de son administration (Voyez plus haut, pag. 81, note 2); mais cette froideur des habitants d’Aix à son égard était naturelle, étant le résultat du vote de Charles Delacroix dans le procès de Louis XVI, vote trop récent pour qu’on l’ait oublié, comme on fit quelques années plus tard auprès de deux autres régicides fameux chez lesquels la haute société ne craignit plus de se présenter. Le préfet Delacroix manda venir assez lestement un ancien conseiller à la cour des comptes, M. de la Gal…., chez qui se réunissait alors le petit nombre de personnes de l’ancien régime échappées à la révolution. « Je sais, lui dit-il d’un ton menaçant, que l’on conspire chez vous contre la république et le premier consul (Bonaparte). Je vous ferai surveiller, et malheur à vous si l’on trouve des traces de conspiration. – Citoyen préfet, répondit M. de la Gal…, l’homme le plus jovial qu’il y eut au monde, on vous a mal informé : on ne s’occupe chez moi que des jeux de l’amour et du hazard, » faisant allusion à une très jolie comédie de Marivaux qui porte ce titre. La maison de la Gal…. était, en effet, celle de la joie et du plaisir, autant qu’elle pouvait l’être toutefois dans ce temps si voisin de Robespierre et du directoire, et lorsque tant de familles émigrées n’étaient pas encore rentrées dans leurs foyers. Retour