Les Rues d’Aix – Rue St Laurent


Les Rues d’Aix
ou recherches historiques sur l’ancienne capitale de Provence
par Roux-Alpheran en 2 tomes 1848 et 1851
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RUE SAINT-LAURENT

EPUIS la renaissance de la ville d’Aix jusqu’au milieu du XIVe siècle, cette rue était un chemin public qui séparait la ville comtale du bourg Saint-Sauveur. Les murs d’enceinte de ces deux fractions de la cité du moyen-âge bordaient alors ce chemin et ne furent abattus qu’à l’époque de la réunion du bourg Saint-Sauveur à la ville comtale, en 1357.
Elle a pris le nom qu’elle porte depuis lors, d’une très ancienne chapelle qui existait sur la ligne méridionale de cette rue, non loin de la place actuelle de l’Hôtel-de-Ville. Le chapitre de Saint-Sauveur, à qui elle appartenait, la céda, en 1647, aux Augustins-Déchaussés qui y établirent une seconde maison de leur ordre ; car leur première maison, plus connue sous le nom de Saint-Pierre, et située hors la ville, dans le voisinage des casernes, datait de 1616. Ces Augustins-Déchaussés de Saint-Laurent furent supprimés vers 1770, à cause de leur petit nombre et réunis à ceux de Saint-Pierre. La chapelle continua de subsister encore pendant une vingtaine d’années sous la direction d’une pieuse confrérie d’hommes de bien et a fini par être détruite pendant la révolution. Le président de Saint-Vincens dit quelque part qu’elle avait été rebâtie sur les dessins du fameux Puget; mais nous ne trouvons la mention de ce fait en aucun autre mémoire.
Sur la même ligne méridionale de cette rue, en face de celle du Griffon, demeurait anciennement l’honorable famille de l’Evesque, éteinte en mâles en 1805, en la personne de François Augustin de 1’Evesque, d’abord conseiller, puis président en la cour des comptes, aides et finances, ensuite second consul d’Aix, procureur du pays de Provence en 1785 et 1786. Ce respectable magistrat avait eu le malheur de voir périr sur l’échafaud révolutionnaire de Marseille, à la fin de 1795 et à l’âge de 33 ans, un fils unique héritier de son nom, et cette affreuse catastrophe avait rempli ses vieux jours d’amertume et de deuil.
Sa famille, issue d’un secrétaire du bon roi René dès l’an 1438, avait fourni un assez grand nombre de consuls d’Aix parmi lesquels nous citerons entre autres deux frères: Louis de l’Evesque, seigneur de Rougiers, 1 et Jean de l’Evesque, seigneur de Saint-Étienne, 2 l’un et l’autre décorés du collier de l’ordre de Saint-Michel en la même année 1569. Voici la lettre qu’écrivit le roi Charles IX au sieur de Rougiers, à la suite de laquelle nous transcrirons l’instruction donnée à cette occasion au comte de Roussy dont il y est fait mention.
 » Monsr de Rogier, pour vos vertus, vaillances et mérites vous avéz esté choisi et esleu par l’assemblée des chevalliers frères et compagnons de l’ordre de monsr Sainct-Michel pour estre assocyé à ladite compagnie, pour laquelle ellection vous notiffier et vous présenter de ma part le collier dudit ordre, si vous l’avéz agréable, j’envoye présentement mémoire et pouvoir monsr le comte de Roussy, chevalier de mon ordre et d’honneur de ma sœur, vous priant vous rendre devers luy pour cest effect et estre content d’accepter l’honneur que la compagnie vous desire fère, qui sera pour augmenter de plus en plus la bonne volonté que je vous porte et vous donner occasion de persévérer en la bonne dévotion qu’avéz de me faire service ainsi que vous fera plus en plain entendre de ma part ledit sieur comte de Roussy auquel je vous prye d’adjouster sur ce autant de foy que vous feriéz en moi mesme; priant Dieu monsr de Rogier vous avoir en sa garde. Escript à Paris le XI jour d’aoust 1569. Signé CHARLES, et plus bas de Lanbespine; et au dos est écrit : à monsr de Rogier.  »
Une lettre à peu près semblable (car bien des expressions sont différentes) avait été adressée par le même roi, dès le 26 mars précédent, au seigneur de Saint-Etienne, 3 admis dans l’ordre quelques mois avant son frère, quoique celui-ci fut son aîné. Nous ne la transcrivons pas ici pour ne pas faire une répétition inutile, et nous arrivons à l’instruction que nous avons annoncée plus haut et qui paraîtra sans doute fort curieuse.
 » Monsr la Joute de Roussy enverra au sieur de Rogiers l’aisné la lettre que le roy luy escrit par laquelle il sçaura que pour ses vertus et mérites, il a esté esleu et choysi par iceluy sieur souverain et les autres chevalliers de l’ordre monseigneur Sainct-Michel estant auprès de luy, pour y estre assocyé, et s’il accepte ladite ellection qu’il luy fasse sçavoir où ils se pourront treuver ensemble.
Luy arrivé la luy fera entendre et desclarera plus amplement ladite ellection, et ce quy a meu iceluy sieur souverain et les autres chevalliers dudit ordre l’appeler en icelle compaignie a esté la renomée de ses grants et vertueux mérites et vaillances esquels ladite compaignie espère qu’il persévérera et les augmentera à l’honneur de l’ordre et à sa plus grande louange et recommandation.
Cela faict iront ensemble à la plus prochaine esglise et après avoir ouï la messe se mettra ledit de Rogiers l’aisné à genoux devant mondit sieur la Joute de Roussy et là promettra et jurera en ses mains par sa foy et serement, sa main touchant les Saincts Evangiles de Dieu, ainsy qu’il s’ensuict:
Vous juréz Dieu vostre créateur et sur la part que vous prétendez en paradis que à vostre loyal povoir vous ayderéz a garder, soustenir et déffendre les hautesses et droicts de la couronne et majesté royalle et l’auctorité du souverain de l’ordre et ses successeurs souverains tant que vous vivréz et seréz d’iceluy ; que de tout vostre povoir vous vous employerez à maintenir ledit ordre en estat et honneur et
mettréz peyne de l’augmenter sans le souffrir descheoir et amoindrir tant que vous y pourréz remédier et pourvoir. S’il advient, que Dieu ne veuille, que en vous feust trouvé aulcune faulte pourquoy sellon les coustumes de l’ordre en feussiez privé, sommé et requis en rendre le collier, vous en ce cas le renvoyerez audit souverain ou au trésorier dudit ordre, sans jamais après ladite sommation porter ledit collier ; et toutes peines, pugnitions et corrections que pour autre ou moingdre cas vous pourroient estre enjointes et ordonnées, vous porteréz et accompliréz pareillement sans avoir paour ni porter à l’occasion de ce haine, malveillance ou rancune envers ledit souverain, frères, compaignons et officiers dudit ordre, et de vostre loyal povoir accompliréz tous les statutz, poincts et articles et ordonnances dudit ordre et le promettéz et juréz en spécial, tout ainsi que si particulièrement et sur chascun poinct en aviez faict serement.
Cela faict icelluy sieur Joute de Roussy prendra ledit collier de l’ordre et le mettra autour du col dudit sieur de Rogiers l’aisné en lui disant:  » L’ordre vous reçoit en son aimable compaignie et en signe de ce vous donne ce présent collier. Dieu veuille que longuement vous le puissiez porter à la louange, service et exaltation de la saincte église, accroissement et honneur de l’ordre et de vos mérites et bonne renommée, au nom du Père, du Filz et du Saint-Esprit.  » A quoy ledit de Rogiers respondra :
 » Dieu m’en donne la grâce.  » Après le baisera en signe d’amour perpétuelle.
Retirera mondit sieur la Joute de Roussy un acte de son acceptation dudit ordre signé de son seing et scellé de son scel, de la teneur dont luy est envoyé le mémoire et le renvoyera après au roy souverain dudit ordre.
Jean de L’Evesque, seigneur de Saint-Estienne , frère puîné du sieur de Rougiers, fut comme lui chevalier de l’ordre du roi, ainsi que nous l’avons dit plus haut, et comme lui encore deux fois premier consul d’Aix. Il eut successivement le gouvernement de la ville et de la viguerie de Forcalquier, puis celui du château de Tarascon et acquit, dans ces divers postes, la confiance et l’estime du souverain, ainsi que le justifient. plusieurs lettres du roi Henri III dont nous avons vu les originaux. En voici une de ce prince qui nous semble assez curieuse :
Monsr de Saint-Estienne, encore que j’estime qu’en ma faveur vous préféreréz volontiers le sieur du Buisson à tous autres, au mariage de vostre fille, suivant l’instance et prière que je vous en ay cy devant faicte, comme aussi à Monsr de Fréjus auquel j’ay sçeu qu’elle a …… 4 néanmoings l’affection que je porte audict sieur du Buisson que j’ay nourry et honnoré de l’estat de gentilhomme de ma chambre, et le désir que j’ay de veoir les choses parfaictes m’ont meu à vous faire ceste seconde prière, en vous asseurant que vous ne sçauriéz faire chose de laquelle je reçoyve plus de contentement ny satisfaction qu’en cest endroit pour estre personnaige qui mérite beaucoup, ainsi que j’ay bon tesmoignaige par les bons services qu’il m’a faictz et faict chascun jour, l’aiant asseuré qu’il ne se passera jamais occasion que je ne le face ressentir de ma faveur comme je feray tres vollontiers en vostre endroict, vous conformant comme j’espère à ceste myenne intention à l’effect de laquelle je seray très aise qu’il tienne la main, et comme je crois que vous auréz son alliance pour agréable de laquelle n’en pourréz recevoir que tout contentement, ainsi m’asseurant qu’a ceste occasion vous ne vous y rendréz difficile, je me contenteroy de ne vous en dire autre chose pour le présent ; priant Dieu, Monsr de Saint-Estienne, vous avoir en sa saincte garde. Escrit à Paris le XXIXme de janvier 1583, signé Henry, et plus bas de Neufville.  » Au dos est écrit :  » à Monsr de Saint-Estienne, chevalier de mon ordre et cappitaine du Chasteau de Tarascon.  »
La recommandation du monarque fut suivie d’un prompt succès, et le 23 avril 1583, Jeanne de l’Evesque épousa à Aix René de Bousquet, seigneur du Buisson, gentilhomme ordinaire de la chambre du roi, lequel fut depuis viguier de Marseille, en 1587. Il ne paraît pas par le contrat de mariage que le roi fit, à cette occasion aucune donation à son protégé.
Bernard de Nogaret de la Valette, gouverneur de Provence 5, où il soutenait avec beaucoup de courage et d’ardeur le parti du roi contre celui de la ligue, convoqua à Riez, au commencement de 1589, les gentilshommes dont il connaissait la fidélité. Louis de l’Evesque Saint-Estienne fut des premiers à se rendre à cette assemblée, et y ayant donné des preuves de son dévoûment, le roi l’en remercia par la lettre suivante :
 » Monsr de Saint-Estienne, vous avéz faict cognoistre par vostre adsistance en l’assemblée deuement teneue en la ville de Riéz et par la déclaration que vous y avéz faicte de vostre bonne volonté à mon service, en quel prix et estime vous avez la fidélité envers un roy, qui est à la vérité le titre dont la noblesse est plus recommandable, comme aussi la perte d’icelluy apporte à ceux qui la délaissent et & leur postérité une perpétuelle infamie, et d’autant que tout ainsy que je déteste à bon droict les uns, ainsy je loue et chéris les autres, je vous ay bien voulu dire par la présente le gré que je vous sçay de l’affection que vous continuéz à mondit service, vous exhortant d’y perseverer et la faire valoir près le sieur de la Valette aiant la charge du gouvernement dudit pays et sous ses commandements aux occasions qui s’y présenteront pour mon service, assuré que je le recognoistroy en ce que je pourroy faire pour vostre bien et avancement, priant Dieu qu’il vous aie, Monsr de Saint-Estienne, en sa saincte garde. Escrit à Tours le XXVIIIme may 1589, signé HENRY, et plus bas…  »
Pendant trois ans Saint-Estienne soutint valeureusement les efforts de la Valette, mais celui-ci ayant été tué le 11 février 1592, devant le village de Roquebrune , près Fréjus, dont il faisait le siége, il paraît qu’il se retira dans ses foyers, puisqu’on ne trouve plus rien de lui après cette époque. Voici toutefois la lettre qu’Henri IV lui écrivit à l’occasion de la mort de la Valette :
 » Monsr de Saint-Estienne, la nouvelle de la mort du feu sieur de la Valette me treuva aux confins de mon royaume le plus esloigné, et si envelloppé d’affaires que pour le premier reméde à ceste signallée perte, j’avoys délibéré de renvoyer en diligence le sieur chevallier de Buoux 6 pour visiter mes serviteurs.
Depuis j’advise de despécher quant et luy le secrétaire Vicose avec les pouvoirs et instructions nécessaires, les ayant chargé tous deux de vous voir, vous représenter ce qui se passe et le désir que j’ay qu’un chascun remédie à ceste occasion l’assistance et le debvoir à quoy il est obligé. Je m’asseure que vous n’y manqueréz point de vostre part, comme je vous en prie et vous asseure aussi que je ne perdroy point le souvenir de l’affection et fidellité que vous m’y tesmoigneréz ainsi que j’ay chargé lesdits sieurs chevallier et Vicose vous dire de ma part sur lesquels je me remettroy, priant sur ce le créateur, Monsr de Saint-Estienne vous avoir en sa saincte garde. Au camp devant Routy, le XXIXme jour de mars 1592, signé HENRY, et plus bas Forget. Et au dos est écrit : Monsr de Saint Estienne. 7« 

1 Second consul en 1557-58 ; premier consul en 1568-1569, et pour la seconde fois, premier consul en 1576-77. Retour

2 Premier consul en 1566-67, et pour la seconde fois en 1572-73. Nous avons dit plusieurs fois qu’avant 1669, les consuls et assesseur d’Aix, procureurs du pays de Provence, entraient en exercice le 1er novembre et en sortaient le 31 octobre de l’année suivante, ce qu’il est essentiel de remarquer pour la chronologie de ces magistrats. A dater de 1669, ils n’entrèrent plus en exercice que le 1er janvier. Retour

3 Le chevalier chargé de lui remettre le collier de l’ordre fut le comte de Carces (Jean de Pontevès), depuis grand-sénéchal et lieutenant-général en Provence. Retour

4 Il y a ici un mot absolument illisible, mais qui doit équivaloir à promise ou fiancée. Retour

5 Il avait succédé au duc d’Epernon, son frère, qui vint reprendre ce gouvernement après la mort de la Valette. Retour

6 Antoine de Pontevès-Buoux, chevalier de Malte. Lui et son frère, Pompée de Pontevès, seigneur de Buoux, firent des prodiges de valeur en Provence, du temps de la ligue pour le service des rois Henri III et Henri IV. Retour

7 Cette lettre a été insérée dans le Recueil des lettres missives d’Henri IV, publié par M. Berger de Xivrey, membre de l’institut, etc., tom. III, imprimerie. royale, 1846, in-4°, pag. 602. – M. de Xivrey nous a fait l’honneur de nous nommer, comme lui ayant communiqué cette lettre du bon roi, que nous avions déjà publiée dans le Mémorial d’Aix du 16 juin 1842. Retour