Les Rues d’Aix
ou recherches historiques sur l’ancienne capitale de Provence
par Roux-Alpheran en 2 tomes 1848 et 1851
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PLACE DES TANNEURS
ous arrivons à l’un des passages les plus pénibles de notre ouvrage, ayant à parler de l’un des meilleurs amis de notre enfance, que plus tard nos conseils ne purent retenir sur le bord du précipice et garantir du sort fatal que la Providence lui réservait. Destiné affreuse qui nous arrache des larme amères chaque fois qu’elle se présente à notre souvenir !
Joseph-Philippe-Camille de Clapiers était né à Aix le 7 juillet 1778, 1 et y finit sa carrière d’une manière déplorable, à l’âge de vingt-deux ans et six mois, le 16 janvier 1801.
Entraîné malheureusement par les circonstances, dans ces compagnies de Sabreurs ou du Soleil qui, de 1795 à 1800, jouèrent un rôle dans nos contrées, il fut tour à tour persécuteur et persécuté, et prit, on ne peut le dissimuler, une part très active à la plupart des scènes sanglantes de cette époque. Ce ne fut toutefois qu’au milieu de l’année 1797 qu’il fut généralement reconnu pour un des principaux chefs de ces compagnies.
La catastrophe du 18 fructidor (4 septembre 1797), mit un terme à la réaction royaliste et vint ranimer le cœur des républicains; mais ce ne fut pas sans une lutte terrible entre les deux partis. Le 13 septembre, un événement affreux eut lieu dans une maison située sur la place des Tanneurs, 2 où Camille de Clapiers, à la tête d’une patrouille de la garde nationale, eut le malheur d’ôter la vie au républicain Antoine Gaudin, en assurant jusqu’à la fin de ses jours, n’avoir commis ce meurtre qu’en légitime défense.
Les Sabreurs, vaincus par la force des événements, abandonnèrent la ville vers la fin du même mois, et Camille de Clapiers se réfugia avec plusieurs de ses camarades, dans le fond des bois, tantôt combattant les républicains qui les poursuivaient, tantôt disputant la pâture aux bêtes féroces et se cachant comme elles dans les antres sauvages. Las enfin d’avoir erré çà et là pendant la saison la plus rigoureuse, et deux de ses compagnons 3 ayant été arrêtés, conduits à Marseille et fusillés immédiatement, il se décida à passer en Suisse, puis en Italie, d’où il eut l’imprudence de revenir à Aix au mois de juillet 1799. Découvert, le 7 septembre, dans la retraite qu’il avait choisie, il y fut arrêté et ensuite traduit à Marseille devant le second conseil de guerre qui le condamna à mort, le 10 février 1800, comme chef, commandant et instigateur du rassemblement armé qui avait commis l’assassinat de Gaudin, en 1797. Mais ce jugement, évidemment rendu par un tribunal incompétent, fut cassé trois jours après par le conseil de révision, et Camille de Clapiers fut renvoyé par-devant le tribunal criminel des Bouches-du-Rhône, séant à Aix.
Il était donc détenu dans les prisons de cette ville, lorsqu’une commission militaire extraordinaire y fut installée, et fit comparaître Camille de Clapiers devant elle, le 16 janvier 1801. Sans autre formalité que celle de constater son identité avec l’individu condamné à mort par le jugement du 10 février précédent, et sans égard pour la défense de l’accusé alléguant que ce jugement avait été cassé, sans même mentionner ce point de défense, la commission ordonna, séance tenante, que la sentence de mort serait exécutée dans les vingt-quatre heures, tout comme si ç’eût été par oubli seulement, que, depuis onze mois, elle n’avait pas été mise à exécution. Mais la perte de Clapiers était résolue, et ce fut là sans doute le seul moyen qu’on trouva de la consommer…..
Marchons, s’écria d’une voix forte le malheureux jeune homme en entendant prononcer cet inique jugement, 4 et un quart d’heure après il reçut le coup mortel, sur la lice extérieure, entre les portes Saint-Jean et Orbitelle. Son dernier cri fut celui de Vive le Roi!
Camille de Clapiers avait un talent naturel pour la poésie, comme on peut en juger par deux pièces de vers que nous avons eu occasion de faire imprimer. 5 Sans les fatales circonstances qui le conduisirent insensiblement à une mort prématurée, il eût pu devenir un poète très distingué. Le manuscrit autographe de ses poésies, qui nous fut donné après sa mort par sa vertueuse et respectable mère, contient une foule d’autres pièces non moins intéressantes que les deux dont nous venons de parler, et nous les publierions volontiers, s’il ne s’y trouvait aussi un bon nombre de stances, de complaintes, etc., composées dans les forêts ou dans les cachots d’Aix et de Marseille, et relatives au temps de guerre civile dans lequel l’auteur a vécu. Par cette raison, il ne serait peut-être pas prudent de les livrer de sitôt à l’impression, quoique un demi-siècle se soit déjà écoulé depuis lors. Il y a des gens si susceptibles et qui ne voudraient pas que l’histoire fut de l’histoire !
1 Son père, Jacques-Auguste-Michel-Marie de Clapiers, seigneur de Collongues et de Montfort, officier de dragons, chef du nom et des armes de sa maison, avait été adopté par le dernier marquis de Vauvenargues du même nom de Clapiers, qui, n’ayant point d’enfants, le maria, en 1772, à mademoiselle de Laugier de Beaurecueil, dans l’intention de perpétuer son marquisat dans sa famille. Mais la Providence en disposa autrement….. Camille de Clapiers, qui donne lieu à cette note, avait un frère aîné, mort à Vienne en Autriche, sous la restauration, après avoir été, pendant longtemps, aide-de-camp de l’illustre prince Charles, frère de l’empereur François II, depuis empereur d’Autriche. Retour
2 C’est celle dont la façade septentrionale envisage cette place et qui a deux autres façades la première, sur la rue des Tanneurs ; la seconde, sur la rue de la Couronne. Retour
3 Antoine Cazelle, âgé de trente ans, et Louis Feraud âgé de vingt-deux ans, fusillés à Marseille en vertu de jugements rendus par le conseil de guerre de la huitième division militaire, en dates, l’un, du 22 décembre 1797 ; l’autre, du 16 janvier 1798. Retour
4 On ne croirait peut-être pas à cet acte d’iniquité judiciaire si nous ne le rapportions textuellement. Le voici conforme au placard imprimé, qui fut affiché le lendemain sur tous les murs de la ville et dont nous possédons un exemplaire :
» Cejourd’hui, 26 nivôse an IX de la république française une et indivisible.
La commission militaire extraordinaire, créée en vertu de l’arrêté des consuls de la république, du 29 frimaire an IX, nommée par le général P.. . commandant la huitième division militaire, et composée des citoyens François-Louis G… -S…, chef de bataillon, président, etc., etc.
La commission militaire extraordinaire, convoquée par son président, s’est réunie dans la maison d’Albertas, à Aix, à l’effet de procéder au jugement du nommé Joseph-Philippe-Camille Clapiers, âgé de vingt-deux ans, natif d’Aix, condamné à la peine de mort par le conseil de guerre de la huitième division militaire le 21 pluviôse an VIII, pour cause d’assassinat commis à Aix le 27 fructidor an V.
La séance ayant été ouverte, le président a ordonné à la garde d’amener l’accusé, lequel a été introduit libre et sans fers devant la commission. Le président, après l’avoir interrogé et entendu dans ses moyens de défense, a demandé au rapporteur qu’il ait à faire son rapport. Le citoyen L. . , qui avait été chargé du rapport de cette affaire par le président, a été entendu ; ensuite la commission s’est retirée à huis clos, et le président a posé les questions ainsi qu’il suit :
Première question. – Est-il constant qu’il y ait un jugement rendu par le conseil de guerre de la huitième division militaire séant à Marseille, le 21 pluviôse an VIII, portant peine de mort contre le nommé Camille Clapiers, de la commune d’Aix, comme chef, commandant et instigateur d’un rassemblement armé qui a commis un assassinat à Aix, le 27 fructidor an V ?
Les voix recueillies, la commission militaire déclare à l’unanimité que le fait est constant.
Seconde question. – Est-il constant que le nommé Joseph-Philippe-Camille Clapiers soit l’individu mentionné dans le jugement rendu par le conseil de guerre de la huitième division militaire, le 21 pluviôse an VIII, qui condamne à la peine de mort le dénommé ci-dessus ?
Les voix recueillies, la commission militaire déclare à l’unanimité que le fait est constant.
Vu la lettre du général de brigade G…. commandant la colonne des Eclaireurs ; des Bouches-du-Rhône, par laquelle il invite la commission à constater l’identité de ce condamné et à décider sur son sort, ladite lettre en date du 25 du courant.
La commission militaire extraordinaire ordonne que le jugement rendu par le conseil de guerre de la huitième division militaire séant à Marseille, le 21 pluviôse an VII, qui condamne à la peine de mort le nommé Camille Clapiers, natif d’Aix, sera exécuté dans les vingt-quatre heures, à la diligence du président.
Ordonne l’impression, l’affiche et la distribution du présent jugement au nombre de cent exemplaires, etc.
Fait, clos et jugé sans désemparer en séance publique, à Aix, les jour, mois et an que dessus ; et les membres de la commission militaire ont signé la minute du jugement avec le secrétaire greffier. Signés, etc., etc. » Retour
5 Voyez dans l’Observateur provençal du 24 mars 1827, la pièce intitulée mes Adieux que C. de Clapiers avait composée étant en prison et attendant la mort ; et dans le Mémorial d’Aix du 6 février 1842, celle intitulée la Mort d’Adonis, qu’il avait composée à l’âge de dix-huit ans. Retour