Tout commence par une délibération le 8 mars 1957 :
Monsieur le Maire présente le rapport suivant :
Mes chers Collègues,
J’avais été saisi, il y a quelques temps, d’une demande des Combattants de VERDUN pour la dénomination d’une rue ou d’une place de notre Ville.
Je leur avais laissé entendre qu’il serait très difficile de leur donner satisfaction car le changement du nom d’une rue est une chose délicate. C’est supprimer un souvenir du passé un indice qui nous permet de remonter jusqu’aux temps disparus et supprimer également les véritables témoins des âges d’autrefois.
Le changement d’un nom de rue porte non seulement atteinte aux traditions, mais il est encore une gêne pour les habitants et pour les commerçants de la voie dont le nom est modifié.
C’est pourquoi je m’étais toujours refusé à apporter un changement de nom à une rue déjà existante.
Les nouvelles désignations de voies publiques porteront sur les voies à créer ou sur celles des lotissements. Ainsi sera respecté le principe qu’il ne sera procédé à aucun changement de nom de rues.
Or, à l’occasion des manifestations que les Anciens de VERDUN ont organisées pour commémorer les combats qui se sont déroulés en 1916, ce Groupement m’a, à nouveau, demandé qu’une place de notre Ville soit appelée « PLACE DE VERDUN ».
Il a pensé qu’il serait possible de donner cette désignation à la place sans nom située devant le Palais de Justice.
En effet, cette place ne porte pas de nom officiel, elle est seulement dénommée par la coutume.
Je pense donc que sans difficulté elle pourrait s’appeler dorénavant « Place de VERDUN ».
Vous savez, comme moi, que VERDUN est le symbole du courage des Français dont la résistance à l’envahisseur pendant dix mois a, en 1919, soulevé l’admiration du monde entier.
Je pense que la ville d’Aix s’honorerait en donnant le nom de VERDUN à la place du Palais.
Je vous soumets donc cette proposition.
Le Conseil Municipal adopte à l’unanimité la proposition de Monsieur le Maire et
DÉCIDE
1°- D’admettre le principe d’aucun changement de noms de rues, les nouvelles désignations devant porter sur les voies publiques à créer ou sur celles des lotissements,
2°- De donner à la partie de voie publique actuellement non désignée le nom de « PLACE DE VERDUN » qui sera délimitée de la façon suivante :
– au Nord-Est par la place des Prêcheurs,
– au Nord par l’extrémité de la rue Peyresc
– à l’Ouest par le Palais de Justice, l’extrémité des rues Monclar et Marius-Reinaud.
– à l’Est, par les extrémités de la Petite rue St-Jean et rue Thiers.
Le Conseil Municipal adopte à l’unanimité le rapport qui précède et le converti en délibération.
L’arrêté du le 27 avril 1957 nommant « la place sans nom située devant le Palais de Justice » place de Verdun précise qu’elle sera « délimitée de la façon suivante :
– au nord-est par la Place des Prêcheurs,
– au nord par l’extrémité de la rue Peyresc
– à l’ouest par le Palais de justice, l’extrémité des rues Monclar et Marius Reinaud,
– au sud par le débouché du passage Agard,
– à l’est par les extrémités de la petite rue St-Jean et rue Thiers.
Elle est inaugurée le 2 juin 1957 : en voici le discours :
Je vous présente les excuses de Monsieur SCHLEITER Ministre, Sénateur, Maire de VERDUN, qui devait présider cette cérémonie ; malheureusement, les événements actuels ont empêché Monsieur SCHLEITER de se rendre à notre invitation. Nous le regrettons très vivement et il m’a chargé de vous exprimer ses très vifs regrets.
En 1953, Monsieur BATILLAT et Monsieur le Bâtonnier GARCIN, ont eu la pensée de fonder l’Amicale de « CEUX DE VERDUN ». Leur initiative, inspirée par le plus noble patriotisme, était nécessaire et attendue. Au milieu d’un monde toujours troublé, n’est-il pas indispensable d’affirmer le souvenir de cette prestigieuse et gigantesque épopée des Armes Françaises ? Aujourd’hui nous inaugurons la Place de Verdun ; seule, une de nos belles places, au cœur même de notre Cité, était digne de cet honneur.
Verdun ! Quel nom prestigieux, qui ne peut être évoqué qu’avec une douloureuse et poignante admiration ; c’est la consécration du triomphe de la Liberté sur la Barbarie.
Verdun ! C’est la victoire française entre toutes, dont le nom sonnait triomphal après tant d’années de désillusions et de doutes.
Ceux même qui n’avaient rien fait pour cette victoire, qui n’avaient été que les lointains spectateurs de cette lutte de Géants, en parlaient avec orgueil, car ils comprenaient que c’était (le mot n’est pas de moi), c’était l’affirmation de la vitalité de notre race et qu’après cela elle ne pouvait plus périr.
DOUAUMONT, THIAUMONT, VAUX, FLEURY, COTE DU POIVRE, MORT HOMME, COTE 304, autant d’étapes dans le douloureux calvaire, autant de lieux sacrés dont chaque pouce de terrain fût arrosé du sang des vôtres ; les survivants portaient dans leur chair d’ineffaçables cicatrices, et dans leurs regards, la vision Dantesque de ce que l’homme n’aurait pas dû voir, l’Enfer de dix mois passés dans la boue gluante, dans l’atmosphère empuantie du champs de carnage, sous un déluge d’acier, de fonte, de shrapnells, et de gaz toxiques, dont la violence dépassait tout ce que l’imagination humaine avait pu concevoir ; parfois sans espoir de voir arriver la relève à travers les barrages, et, cependant, dans la nuit, sous une pluie glaciale, sous la mitraille, au milieu des détonations infernales, la file interminable de ces hommes pliant sous la charge, montant au combat, allant à la mort, se déroulait à travers les boyaux pour rejoindre les positions de départ et attendre l’heure « H ».
Un jeune Aspirant, tombe, frappé à mort, lorsque le Lieutenant passe il a encore la force de murmurer : « est-ce que ca suit, Mon Lieutenant ? ». « Oui ! ça suit ».
Ces Combattants de VERDUN n’étaient plus des hommes comme les autres, pour eux, les limites de l’horreur et des souffrances avaient encore reculé, ils ont alors eux-mêmes reculé les limites de l’endurance et de l’héroïsme jusqu’à forcer l’admiration du monde.
Dans « l’Homme Enchainé », le 14 Mai 1916, CLEMENCEAU au retour d’une visite aux armées écrivait :
« Et puis, cette conclusion unanime, à voix sourde : on ira. Il le faut. Ah ce « Il le faut » que ne l’avez-vous entendu, jeté d’une voix implacable à l’invisible ennemi, tout proche de l’autre côté du parapet, dans le silence tragique du Boche souterrain, par delà les fils de fer ou les chevaux de frises ! « Il le faut ! », il le faut, c’est le Dieu le veut de cette grande et dernière croisade de la civilisation contre la barbarie. Cet Homme, gauchement empaqueté d’une tunique terreuse, avec deux jets de flamme sous la visière de son casque bleu, vous assure d’un mot, qu’il a la pleine conscience de ce qu’il fait, de ce qu’il veut. Il le faut, cela veut tout dire. Le soldat a accepté les sacrifices terribles que lui demande la destinée de sa France, dont l’histoire, lourde à porter, mais si grande et si belle, exige, à cette heure décisive, un héroïque redoublement de sacrifices continus. Il le sait, il le dit, avec un joyeux sursaut d’amère gaieté populaire, où le flot d’une supérieure noblesse du sang emporte à l’avenir tous les débris de fautes où il sut mettre encore des éclats de beauté.
IL LE FAUT ! IL LE FAUT ! Gardons ce mot, amis. C’est le mot d’ordre que je vous rapporte des tranchées. C’est la parole suprême de ceux qui sont à la bataille pour la plus grande patrie qu’il fut donné à l’homme de construire en vue des plus hautes fins d’humanité. IL LE FAUT, c’est le cri de celui qui tombe. IL LE FAUT, c’est l’unique pensée du soldat blotti au fond d’un cratère d’obus, quand tout lui manque jusqu’à l’écroulement de sa tranchée, et que, dans le tonnerre infernal des monstrueux blocs d’acier, hébété du ciel et de la terre déchainés contre lui, il n’attend plus que la mort, sans même le réconfort d’un geste personnel de bataille, parce que, s’il reculait d’un pas, c’est d’un pas que l’ennemi avancerait. IL LE FAUT ! IL LE FAUT ! En cette inexorable nécessité d’être au-dessus de lui-même se résume tout ce qu’il est capable de sentir, de penser. Et il s’agrippe à la pierraille croulante, qui l’enfonce encore plus profondément dans sa terre, au lieu de l’en chasser.
Pour l’arrière, tout comme pour l’avant, il y a un devoir supérieur à remplir. Notre mot d’ordre est le même. IL LE FAUT. Je l’ai reçu d’hommes qui sont sous les obus et qu’il nous appartient de rejoindre, en accommodant nos actes de citoyens à leurs actes de soldats. IL LE FAUT. Honte à qui ne le comprendrait pas ».
Ma pensée, en cet instant, va vers tous ceux qui ne sont pas revenus. Plus de quarante ans se sont écoulés, depuis cette effroyable tragédie, il était permis d’espérer qu’après tant de souffrances et de sacrifices, les hommes auraient compris, et qu’ils auraient su vivre dans la paix retrouvée. Hélas ! La folie des hommes ne connait pas de bornes et nous avons alors connu les tragiques épreuves de 1939-1945. Les fils de ceux qui étaient tombés à VERDUN, se sont à leur tour dressés, souvent même avec les survivants de VERDUN, pour libérer le sol de la patrie envahie, à l’intérieur du Pays, dans les prisons et les camps de concentration, sur les champs de batailles, forts de l’Idéal qui animait ceux de Verdun, ils sont tombés à leur tour, unis dans le sacrifice suprême pour nous apporter la victoire.
Aujourd’hui la paix est de nouveau menacée. Malgré les organismes internationaux, de lourds nuages noirs s’accumulent à l’horizon, les événements internationaux récents nous montrent les conséquences prévues, mais chaque jour plus tragique, d’un droit international systématiquement bafoué, défiguré, et, finalement, mis au service non plus même de la force, mais de l’intérêt, de l’intrigue et de la ruse.
VERDUN n’aurait-il donc été qu’un épisode de cette ronde infernale et macabre dans laquelle le monde a été précipité, et dans laquelle il risque encore d’être entraîné demain, n’y a-t-il pas eu suffisamment de larmes et de sang versés, depuis des générations ? Je me refuse à la croire. De tout mon cœur de Français et d’ancien combattant, je t’adjure « peuple de France », de prendre conscience des réalités de l’heure, c’est à ce prix seulement que la Providence nous aidera, pour que « VIVE LA FRANCE».
À noter que Nicolas Creisson très justement m’a fait remarquer que :
Cette coïncidence pourrait faire croire que ladite place de Verdun doit son nom à ce président Verdun de la 5e chambre…. Mais non !
Si ce « scoop » était sorti plus tôt, peut-être qu’aujourd’hui, il serait l’origine du nom de la place, comme « on » dit que la place Richelme est nommée en l’honneur du ténor Aixois Richelme, alors qu’elle honore en réalité sa nièce Marie-rose Richelme
Sources et droits des documents de cet article :
• Collection personnelle de Thierry Brayer
• Bibliothèque Méjanes - Aix-en-Provence
• Archives Municipales d'Aix-en-Provence
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