IMPORTANT : je ne recopie JAMAIS une page d’un site en entier, mais la page des « 50 ans du Cezanne » a été suffisamment piratée par des pubs Viagra et autres pour en être aujourd’hui illisible ! Si vous voulez vérifier, voilà le lien : http://50ans.lecezanne.com/category/le-livre/ . J’ai communiqué cette information à la direction du Cezanne afin de savoir si je conserve ou pas ma page.
En attendant, la voilà nettoyée de tout, recopiée au mot et à la faute près mais sans les photos ni vidéos dont je n’ai les droits, juste celle-ci :
50 ans en images…
« Depuis quatre générations, nous tentons de donner aux autres les moyens d’exprimer leur art cinématographique, leurs talents et convictions dans les meilleures conditions possibles. Dans ce creuset se produit l’alchimie qui anime le Cézanne depuis sa création, à la fois sensible et exceptionnelle. C’est en grande partie l’œuvre bâtie par mon père et ma mère. Chez eux, aucun calcul, juste du bon sens, l’amour du cinéma et de ceux qui le font, un grand respect du public, de ses envies et de ses attentes. Pour le cinquantenaire du Cézanne, j’ai souhaité en partager avec vous les souvenirs. Cette salle de cinéma, un peu particulière, est chère aux cinéphiles de la région qui, génération après génération, la fréquentent assidument. Ils contribuent à sa réputation, à son dynamisme et permettent à Aix-en- Provence d’être inscrite au palmarès très envié et très restreint des villes les plus cinéphiles de France. Avec ce livre, je rends l’hommage du fils aimant mais aussi celui d’un grand admirateur. Il réunit plus de 5 décennies de photos, les irremplaçables témoignages de la famille Ely, Henry et Jean-Eric, et les textes de Jean-Paul Delfino, écrivain Aixois. Ils vous feront partager l’histoire du Cézanne, et bien plus modestement, celle du cinéma. Avec ce CD joint, Rachid Oujdi avec le soutien d’IMASUD (encore des aixois !) a mis en scène des images retrouvées, recueilli les interviews et témoignages des réalisateurs, metteur en scène, équipes et spectateurs. Ils vous permettront d’appréhender la vie du Cézanne et l’émotion des équipes qui s’y rendent pour présenter leur film. Préparez-vous à quelques moments pour le moins surprenants. La vie m’a confié très jeune l’avenir du Cézanne. A mon tour d’en assurer l’évolution et d’y apporter mon dynamisme. Cette aventure qui continue ne pourrait se faire sans la qualité de mes associés et partenaires, Gaumont et Pathé hier, Europalaces aujourd’hui. Ils accompagnent le Cézanne depuis plus de 30 ans en nous accordant leur confiance. Ils nous encouragent en permanence à aller de l’avant, dans notre passion commune du cinéma, des films et de l’émotion unique, car partagée, de la projection en salle. Enfin je ne peux conclure sans une dédicace toute spéciale à mon épouse Patricia qui m’a porté et supporté…..tout au long de ce projet. »
Jean-Marie Guillaume
Jérôme Seydoux
Imaginer en 1957 la construction d’une salle de cinéma confortable et moderne à Aix en Provence en abandonnant Moulins et sa petite salle de l’Artistic : il fallait une bonne dose d’audace et de témérité pour se lancer dans un projet aussi ambitieux. Jérôme Seydoux
Ces qualités, notre cher Marcel Guillaume n’en manquait pas. Ajoutées à une passion dévorante pour le cinéma et une capacité de persuasion aussi efficace que son enthousiasme communicatif, elles faisaient de lui un entrepreneur intrépide, toujours en avance sur son temps.
« Celui qui n’a pas le goût de l’absolu se contente d’une médiocrité tranquille » écrivait Paul Cézanne, enfant du pays qui allait rendre mondialement célèbre la montagne Sainte Victoire. Et ce n’est sans doute pas un hasard si Marcel Guillaume choisit le nom du peintre pour son cinéma. La médiocrité tranquille, c’était bien tout le contraire de ce qui animait cet homme dont la passion du cinéma n’avait d’égal qu’un appétit insatiable pour la création et l’innovation. Amoureux des artistes, il en était un à sa manière. Entrepreneur dans l’âme, il ne cessera d’anticiper les goûts du public, qu’il s’agisse du confort des salles, de la qualité de l’image et du son, de l’importance de l’animation et de la promotion. Visionnaire, il était convaincu que l’avenir lui donnerait raison, même si beaucoup lui prédisaient l’échec. Puissamment soutenu par une épouse qui partageait sa passion créatrice mais savait aussi modérer ses rêves lorsque c’était nécessaire, il réussit à convaincre des financiers de le soutenir dans cette aventure exceptionnelle.
Dès l’ouverture, en 1959, il ne cessera de développer le Cézanne avec de nouvelles salles et d’imaginer des améliorations, qu’elles concernent l’aménagement intérieur, les moyens techniques (du THX au numérique), l’animation des salles ou la promotion des films, avec toujours cette volonté d’offrir le meilleur. Comme Marcel avait lui-même poursuivi la belle histoire d’un grand-père qui parcourait les routes de l’Allier avec son cinéma itinérant, son fils Jean-Marie a repris le flambeau d’une dynastie familiale tout entière vouée au grand écran.
Le cinéma aime Aix, Aix aime le cinéma
A la fin des années 1950, la France découvre, malgré les tensions de la guerre froide, les délices de l’abondance. La grisaille du deuxième conflit mondial est encore dans tous les esprits et, pour l’oublier, les Françaises et les Français plongent avec gourmandise dans les joies de la consommation insouciante. Pour suivre la conquête de l’espace entre les USA et l’URSS – qui vient de mettre en orbite le fameux Spoutnik – , pour ne rien rater des événements d’Algérie, pour assister à l’épopée du Brésil en coupe du monde de football qui va révéler Pelé, un gamin de dix-sept ans, tout le monde piaffe d’impatience à l’idée de pouvoir s’acheter un poste de télévision à lampe, en noir et blanc. Il s’agit d’un temps béni, sans chômage ni crise du pétrole, sans récession ni préoccupations économiques. C’est une société construite sur des certitudes, celle que la guerre mondiale n’aura plus lieu, celle que les techniques industrielles vont libérer la ménagère des tâches fastidieuses, celle que le progrès est en marche et que, cette fois-ci, on en est sûr, ce progrès ne pourra qu’apporter avec lui la paix, le bonheur et la fraternité.
À Aix-en-Provence, comme dans la France entière, cet appétit de vivre suit la même frénésie que celle du désir de se divertir, et les lieux de plaisirs ne manquent donc pas pour les 55 000 habitants. Le Festival d’art lyrique, dans la cour de l’Archevêché, comble régulièrement les passionnés d’opéra. Au théâtre du Jeu de paume, les représentations des plus belles pièces consacrées par le tout-paris s’enchaînent sur un rythme trépidant et, après les spectacles, le public flâne volontiers sur le cours Mirabeau, où les cafés ouvrent leurs bouches d’or dans la nuit. Pour les férus de danse et les étudiants, déjà nombreux, les discothèques et autres petits bals, plus ou moins autorisés, font résonner les succès de l’époque, à grands tours de Teppaz qui crachotent les standards du rock et annoncent déjà les années yé-yés. Là, au Mistral ou au Moulin à huile, filles et garçons se déhanchent sur les disques de Miles Davis, Ray Charles, Chuck Berry, Tito Puente…
Dans la cité du Roi René, les cinémas, eux non plus, ne manquent pas. En 1958, on n’en compte pas moins de cinq : le Cursal situé sur la Rotonde, le Cinévog à la place de l’actuel Renoir, le Rialto, situé rue Fabrot, sans oublier le Rex en haut du cours Mirabeau, qui alterne les séances de cinéma et les concerts, ainsi que le casino municipal, sur l’avenue de la République. Dans ces salles, les Aixoises et les Aixois découvrent, émerveillés, les succès du moment : Ascenseur pour l’échafaud (Louis Malle), Sueurs froides (Alfred Hitch- cock), Les misérables (Jean-Paul Le Channois), Hiroshima, mon amour (Alain Resnais) ou encore Une chatte sur un toit brûlant (Richard Brooks). Aix-en-Provence est une ville de culture et entend le faire savoir à la France entière et, même, au-delà des frontières.
Parce que l’art et le cinéma résistent depuis toujours à la froide logique cartésienne, c’est ici, à Aix-en-Provence et non pas à Marseille, la capitale industrieuse, que va naître le cinéma le Cézanne. Avant de parcourir son histoire, il convient toutefois de revenir sur sa naissance, une venue au monde où ont alterné le travail, la passion, l’abattement, l’enthousiasme et les prises de risques. Bref, une véritable histoire d’amour entre les rêves d’une famille, une ville qui aime la culture et, surtout, une passion pour un art : le cinéma.
Aix-en-Provence aime déjà tous les arts. Pour Marcel Guillaume, c’est évident, il y ajoutera le 7e.
Derrière chaque belle histoire, il y a souvent un rêve qui semble, de prime abord, irréalisable. Depuis Moulins, où Christiane, Marcel Guillaume et sa mère – Lucienne Guillaume, née Rochard – dirigent l’Artistic, un modeste cinéma familial, une idée se fait jour. Durant l’année 1957, ils décident de tenter un pari risqué : tout quitter pour fonder un nouvel établissement flambant neuf, une salle de prestige privilégiant le confort et équipée des dernières nouveautés technologiques, conçue tout à la fois pour le cinéma et le music-hall.
Après avoir accompli de rapides recherches dans les grandes villes estudiantines, car Marcel Guillaume veut implanter son nouveau cinéma dans une cité possédant une université, le choix se porte sur Annecy et Aix-en-Provence. Un distributeur, avec qui le jeune homme avait travaillé durant quelques années lors de son séjour à Lyon, fait pencher la balance du côté de la Provence. Là-bas, la concurrence existe déjà mais, de son point de vue, les exploitants des salles ne sont pas aussi âpres et combatifs qu’à Annecy. La décision est donc prise et, en 1957, le couple part en direction d’Aix, à la recherche du lieu idéal. « Pour être entièrement honnête, se souvient son épouse, Christiane, je n’étais que très modérément emballée par ce projet. Surtout, lorsque j’ai vu l’état des lieux ! Il s’agissait d’un petit terrain situé rue Villars, tout près des halles Mazarine. Là, avait été bâtie une ancienne huilerie qui, durant la guerre, avait été transformée en une imprimerie. Mais cela faisait déjà longtemps que les locaux étaient inoccupés et les travaux de rénovation et de transformation du lieu en cinéma étaient importants. De plus, le terrain valait cher et les difficultés financières nous sont tout de suite tombées dessus ! »
Pourtant, on n’arrête pas Marcel aussi facilement dans ses rêves. Une fois le terrain acquis, la famille constate qu’elle n’a pas suffisamment de fonds pour débuter les travaux mais, quelques jours plus tard, Christiane et Marcel font la connaissance de Justin Jourcin qui accepte de participer à l’affaire. Comme cela ne fait, toutefois, pas encore le compte, celui- ci parvient à convaincre une troisième partie, disposant des capitaux nécessaires : Madame et Monsieur Vésian ainsi que leur fils, Gilbert.
« Je me souviens très bien du jour où l’on s’est associés, avec Justin Jourcin, Christiane et Marcel Guillaume ! sourit Gilbert Vésian. Et comment ne pourrais-je pas m’en souvenir, puisque c’était le premier avril, en 1958, le jour des blagues et des poissons du même nom ! On a signé tous les papiers ce jour-là et moi, pour être franc, je ne connaissais pas grand-chose au cinéma puisque mes parents tenaient une grande pâtisserie et que j’étais moi-même pâtissier. Mais Marcel possédait en lui un petit grain de folie qui m’a plu tout de suite. Son projet était solide et il avait réussi à me persuader que nous étions, en quelque sorte, condamnés à la fortune. Marcel avait une séduction naturelle, un charisme qui finissait toujours par l’emporter… »
Une fois la société créée, Christiane et Marcel s’attellent à la tâche et entendent bien réussir dans cette entreprise qu’ils espèrent au long cours. Dès que les fonds sont débloqués, les premiers coups de pioche se mettent à retentir. Comme dans tout ce qu’il a entrepris dans sa vie, Marcel ne veut pas du médiocre, pas plus que du moyen ni du bon. Il veut offrir aux Aixoises et aux Aixois le nec plus ultra des salles de cinéma. Couleur et modèles des fauteuils, cabine de projection, tentures, scène, climatisation – un véritable luxe ! – esthétique des façades, système de caisses Automaticket, lumières, enceintes, programmation : il a un œil sur tout et ne ménage pas sa peine, tenant seul avec sa femme ce projet à bout de bras car Gilbert Vésian, lui, doit continuer à travailler dans la pâtisserie familiale.
« Mon mari n’avait pas assez de vingt-quatre heures dans une journée pour abattre le travail qu’il s’était fixé. Mais il était heureux. Dès qu’il se levait pour partir s’occuper du Cézanne, c’était le bonheur absolu et c’est là que j’ai compris que le cinéma, c’était la chose la plus importante au monde, pour lui. » Le 16 février 1959, dans une bonne odeur de neuf et celle, encore fraîche, des peintures, le Cézanne existe enfin. Ce qui n’était encore qu’une chimère, quelques mois plus tôt, est désormais devenu réalité. Il reste maintenant une question de taille : est-ce que cette salle va parvenir à trouver son public ?
Un siècle d’exploitants
Marcel, dans sa jeunesse, est déjà « un enfant de la salle » qui a grandi au milieu des pellicules et des affiches de cinéma. Son grand-père maternel, en 1918, organisait des projections itinérantes, au temps du muet, dans les petites villes et villages de l’Allier. . À dix-sept ans, alors que son père est décédé depuis trois ans déjà, Marcel décide de reprendre, avec l’aide de sa mère, le cinéma l’Artistic à Moulins, dans l’Allier, ainsi qu’un dancing hérité de son père, Joseph Rochard. L’ensemble de la famille est marqué par le sceau du septième art. Ainsi, son frère Alex Guillaume part après guerre en Afrique afin de gérer un cinéma à Bamako, au Mali. Sa famille dirige, enfin, deux modestes cinémas, à Rions et Givors. Célestine Giraud, la mère de Christiane, a longtemps exploité un cinéma à la Charité-sur-Loire : le Rex.
On tend la toile et on croise les doigts
Comme le rapporte la presse quotidienne régionale, le Cézanne promet d’être une réussite et, durant les jours qui précèdent son inauguration, Marcel Guillaume colle des affiches dans toute la ville afin d’annoncer l’événement. Pour marquer son attachement à Aix-en-Provence, ces affiches sont imprimées en jaune et rouge, les couleurs de la Provence et de la cité. Si l’on en croit les coupures de presse de l’époque, la soirée inaugurale ne manque pas de pompe. Le lundi 16 février 1959, tout ce que la Provence compte comme personnalités de marque est présent, en costumes d’apparat pour les hommes et en élégantes robes de cocktail pour les femmes. Dans ces articles, tous unanimes et qui paraîtront les jours suivants, on apprend que, pour cette soirée privée, placée sous la présidence de Monsieur Henry Mouret (Maire de la ville et Conseiller général des Bouches-du-Rhône) et Monsieur Mazel (Sous-préfet), se pressent les élites des sphères politiques, industrielles, universitaires, mais aussi religieuses, militaires, sans oublier le haut du panier des personnalités civiles. Au sommaire de la soirée, le programme annonce un documentaire sur les châteaux de la Loire (réalisé par Agnès Varda), suivi d’une projection – en couleurs, précisent les journalistes ! – du Bourgeois gentilhomme. Le tout, soulignera la presse, « présenté par l’élégant et spirituel Toursky(…) et la jeune doyenne de la Comédie française, Gisèle Casadessus! »
Cette inauguration, qui se clôturera par un apéritif d’honneur servi dans le hall du Cézanne, est à marquer d’une pierre blanche. D’emblée, les spectateurs sont séduits par les travaux et le rendu final du bâtiment. Au total, ce sont 1 200 places assises, dont 350 au balcon, qui accueillent les visiteurs. L’écran, de soixante-dix mètres carrés, permet une vision de qualité unique, pour l’époque. D’ailleurs, les journalistes présents ne s’y trompent pas : « L’assistance fut très favorablement impressionnée par la beauté et la richesse d’installation de cette nouvelle salle. (…) Les fauteuils sont confortables, les revêtements muraux d’une grande douceur, le conditionnement d’air permet une constance de température et l’insonorisation des matériaux aide à la parfaite sonorisation de la salle.» En d’autres termes, et dans une belle envolée lyrique, un rien patriotique : « Notre cité est dotée d’un nouvel établissement dont elle pourra s’enorgueillir au moment où son développement et sa modernisation la font, tant en France qu’à l’étranger, citer en exemple sur la voie du progrès! »
Au lendemain de cette fête, l’exploitation du cinéma le Cézanne débute donc avec, à l’affiche, la suite de la projection de La vie à deux,de Sacha Guitry. Malgré la présence prestigieuse, dans la salle, de Pierre Mondy, Madeleine Lebaud et Monsieur Bokanowski (secrétaire personnel de Sacha Guitry), les encarts publicitaires achetés dans la presse précisent bien : « Attention ! Attention ! Prix normal des places ! » Salle rutilante et à la pointe du progrès, réception des notables et des comédiens, animation autour de ces événements : les concurrents du Cézanne peuvent désormais s’inquiéter car, durant un demi-siècle, cette formule fera le succès incontestable de ce cinéma. Toutefois, le faste de cette soirée ne doit pas faire oublier que les débuts ne furent pas aussi simples qu’on veut bien souvent le croire. « Bien sûr, se souvient Gilbert Vésian, on avait réussi notre coup, on avait fait salle comble le lundi et le mardi. Mais le mercredi, La vie à deux n’avait pu attirer que trois cents personnes et le Cézanne sonnait creux. On s’est retrouvés dans les escaliers de secours, avec Marcel, et je peux dire que l’on n’était pas fiers… » De la même façon, Christiane Guillaume note : « Mon mari avait voulu un très beau cinéma, il l’avait eu ! Mais les temps ont été durs pour nous. Les travaux de rénovation de la salle avaient coûté un million et deux cent mille francs et nous n’avions, à l’époque, que deux cent quarante mille francs… »
Grâce à son relationnel, Marcel Guillaume réussit alors à faire programmer plusieurs films du précédent festival de Cannes ainsi que la palme d’or 1958, Quand passent les cigognes et ce, plusieurs semaines avant leur diffusion dans les autres cinémas de province. En quelques mois, le Cézanne commence ainsi à se tailler une belle réputation dans la région, et pour la qualité de sa salle, et par la richesse de sa programmation. Toutefois, il est important de rappeler le contexte de l’époque. En effet, les sorties de films étaient moins nombreuses qu’aujourd’hui et le nombre de copies tirées bien plus réduit. Elles étaient destinées, en premier lieu, aux grandes villes de province comme Bordeaux, Lyon, Marseille, Nice, Nantes, Strasbourg, etc. On parlait alors de circuit de première exclusivité. Ce n’est qu’après de longues semaines d’exploitation dans ces villes, et seulement après, lorsque le film avait réalisé ses entrées estimées, que les copies, déjà bien usées physiquement et commercialement, circulaient vers le circuit des villes de continuation, constitué par les agglomérations plus modestes. Il existait donc un vrai décalage entre l’actualité de la programmation cinématographique des grandes cités de province et celle des villes moyennes voisines. Aix-en-Provence, avec ses quelques milliers d’habitants, était bien entendu inclue dans le circuit des continuations. Marcel Guillaume va obtenir ce qu’aucun autre directeur de salles aixoises n’avait réussi jusqu’alors : persuader les distributeurs de films de lui confier, au même titre que la ville de Marseille voisine, des copies en exclusivité. Ceci constituera une avancée déterminante sur la voie du succès, car Aix-en-Provence va pouvoir s’aligner sur la même ligne de départ – et à égalité de chances– avec les autres cinémas des grandes villes françaises.
Quand le Cézanne fait son music hall
Une salle d’une qualité technique irréprochable et une programmation digne des meilleurs cinémas nationaux, cela ne suffit pas à Marcel Guillaume qui, dès la soirée d’inauguration, va miser sur une politique d’animation et d’événements. À l’instar des autres cinémas, et grâce à l’immense salle principale, il va organiser des concerts et, à partir de 1961, les plus grandes stars françaises seront au rendez-vous. Pêle-mêle, comme dans un inventaire à la Prévert, défilent sur les planches du music-hall le Cézanne : Charles Aznavour, Georges Brassens, Jean Ferrat, Marcel Amont, Les chats sauvages, Pétula Clark, Luis Mariano en duo avec Annie Cordy, Enrico Macias, Eddie Constantine, Dalida, Johnny Halliday, Adamo, Gilbert Bécaud et autres Barbara, Léo Ferré, Sylvie Vartan ou Sheila. Les anecdotes ne manquent pas et nombreux sont ceux qui se souviennent des sous-vêtements féminins qui, déjà, atterrissaient sur scène dès que Johnny apparaissait en pleine lumière, sans parler des tomates trop mûres qui récompensaient les prestations de vedettes moins chanceuses…
Dans le tout petit monde du show-business, la salle du Cézanne commence à s’imposer lors des tournées en province, et la presse régionale lui consacre régulièrement des articles. Dans cette pléiade d’artistes, il en est un, toutefois, qui deviendra un véritable ami de Marcel : Jacques Brel. « Mon mari, rappelle Christiane Guillaume, était aussi un bon vivant et il a beaucoup fait la fête, que ce soit avec des Aixois qu’il côtoyait tous les jours, comme avec Jacques Brel, car tous les deux étaient unis par une réelle amitié. D’ailleurs, lorsque Jacques Brel était en tournée dans le Sud, il trouvait toujours un moment pour l’appeler et lui dire : « Ce soir, je poserai mon petit avion à Aix-Les Milles et on ira manger ensemble. »En général, la nouba durait toute la nuit, voire plusieurs mais, même s’il rentrait à sept heures du matin, il déjeunait et il repartait aussitôt travailler… » De son côté, Gilbert Vésian précise : « Avec Marcel, nous étions allés à Paris et l’on avait rencontré Marouani, l’agent de Jacques Brel.Quand il nous a dit que Brel était en concert, à Douai, Marcel n’a fait ni une ni deux : il a trouvé une voiture et on est allés là-bas, pour le saluer, assister au concert et manger un morceau ensemble. Comme souvent, dans ce genre de virées, ça s’est achevé à six heures du matin, avec des verres de genièvre ! »
Des rencontres inoubliables
En 1992, La cité de la peur attire un nombre de spectateurs incroyable, le Cézanne devient le lieu de scènes mémorables lorsque l’équipe des Nuls, tout auréolée de son succès sur Canal Plus, vient présenter son premier film, à Aix-en-Provence. Dès 16h00, le public commence à faire la queue devant le cinéma alors que la projection n’est prévue que cinq heures plus tard. Plus de mille personnes patientent pour seulement cinq cents places ! Face à un tel engouement, les Nuls acceptent de faire deux projections et de participer à deux débats où ils reçoivent un accueil triomphal du public qui n’a montré aucun signe d’impatience durant cette attente. Cette soirée spéciale marque, de fait, le début d’une longue histoire entre ces acteurs et le Cézanne où ils viendront, avec une grande fidélité, présenter tous leurs films.
En janvier de la même année, c’est Jean-Jacques Annaud qui, après Le Nom de la Rose et l’Ours,vient offrir aux Aixois l’avant-première nationale de L’amant. Pour ce cadeau, s’il choisit Aix-en-Provence, c’est peut-être parce qu’il se souvient de la présentation de Coup de tête qu’il y avait faite, en 1978. Alors jeune réalisateur, son film avait reçu un accueil particulièrement chaleureux de la part du public. Le 10 septembre 1992, pour Horizons lointains,un film de Ron Howard avec Nicole Kidman et Tom Cruise, le public se demande s’il ne rêve pas. En présence de Hubert Herr, distributeur de la prestigieuse maison UIP, l’avant-première commence par une animation. Dans la rue Marcel Guillaume (qui s’appelait alors la rue Goyrand prolongée), la troupe Chaps défile dans des chariots des pionniers du far-west, accompagnée de cow-boys à cheval et d’Indiens sur le pied de guerre.
Très vite, l’ambiance monte et, de fil en aiguille, de plaisanteries en défis, le cheval nommé Kentucky, avec son cavalier cascadeur, pénètrent dans le hall du cinéma, franchissent les escaliers de la sortie de secours et terminent sur la scène de la salle 1 pour une nouvelle et totalement improvisée démonstration équestre !
Collège au cinéma
Tout au long de l’année, Marcel Guillaume donnait la possibilité à des centaines d’enfants et d’adolescents de voir des films et ce, pour un prix ridiculement bas. Certains de mes élèves n’allaient jamais au cinéma et ces séances étaient les seules qui leur permettaient de voir des films ailleurs qu’à la télévision. Avec Marcel, on passait aussi des heures à discuter de ces matinées, bien en amont, afin que je puisse faire étudier les textes liés au film à mes élèves avant de les emmener à la projection. » Depuis 1994, l’opération Collège au cinéma perpétue la tradition et, à ce jour, ce sont plus de six cents élèves par an issus de cinq collèges aixois qui, durant leurs études, peuvent profiter, à un prix toujours préférentiel, de ces séances.
De Pulp Fiction à Wenders
De Luc Besson au Goût des autres
Pour la sortie du Cinquième élément, une nuit Luc Besson est organisée au Cézanne, le 29 mai 1997. Huit cents personnes occupent deux salles ultra pleines et, pour mettre les spectateurs dans l’ambiance, les gardes costumés du film, en personne, patrouillent dans la rue et dans le cinéma.
Le 15 novembre 1997, le Cézanne accueille l’avant-première nationale du dernier film d’Alain Corneau, Le cousin. Il s’agit d’un film noir où Alain Chabat et Patrick Timsit incarnent, pour la première fois, des rôles dramatiques. Lorsque l’équipe du film pénètre sur la scène, après la projection, Alain Corneau, Agnès Jaoui, Alain Chabat et Patrick Timsit commencent à répondre aux questions du public lorsque, de la salle, monte une voix, reconnaissable entre toutes, qui s’exclame, au sujet de la scène du baiser entre Agnès Jaoui et Alain Chabat : « Ça vous fait quoi, Monsieur Chabat, d’embrasser ma femme ? » Jean-Pierre Bacri, le compagnon d’Agnès Jaoui, s’est effectivement glissé dans le public, incognito, et déclenche ainsi l’hilarité générale.
La dernière anecdote – mais l’on pourrait en rappeler des dizaines d’autres – figure parmi les plus émouvantes. Le 10 février 2001, en avant-première et devant la presse nationale, Agnès Jaoui vient présenter au Cézanne Le goût des autres, en compagnie de Jean-Pierre Bacri, Gérard Lanvin et Alain Chabat. Il s’agit du premier film où Agnès Jaoui passe derrière la caméra et, dans la sortie de secours, avant d’entrer en salle affronter le public, les visages sont anxieux et la tension palpable. À la fin du générique, la lumière se fait et, dès que l’équipe fait son entrée, une standing ovation commence, la plus longue de toute l’histoire du cinéma Cézanne. Cette soirée restera définitivement gravée dans les esprits des Aixoises et des Aixois, sans oublier ceux d’Agnès Jaoui et Jean-Pierre Bacri qui, depuis, choisissent très régulièrement de présenter leurs films à Aix-en-Provence.
Dans les années 1970, l’évolution du paysage audiovisuel, la création de nouvelles chaînes de télévision ou encore le démantèlement de l’ORTF provoquent un essor de la production. La crise du choc pétrolier, en 1974, n’en est encore qu’à ses prémices. Les loisirs sont donc toujours très prisés et le cinéma, plus que jamais, reste une attraction florissante.Toutefois, le spectateur était jusqu’alors au service des horaires des salles de spectacle. Désormais, il se fait plus exigeant et souhaite pouvoir choisir, et le film, et l’horaire de diffusion, sans avoir à attendre la grand-messe du week-end. Pour pouvoir répondre à cette demande des cinéphiles, les salles aixoises ne sont pas assez nombreuses et pas encore équipées.
En 1974, la décision est donc prise : puisque les lieux de diffusion sont trop rares, il faut reconstruire le Cézanne et le repenser entièrement.
« Au fil du temps, nous nous sommes rendu compte que l’on se faisait déborder par la programmation, souligne Christiane Guillaume. Nous avons donc décidé de tout casser et d’édifier, à la place de la grande salle du Cézanne, un complexe de six, puis neuf salles qui, pour les trois dernières, ne verront le jour qu’en 1980. Nous venions de solder nos crédits avec les banques et, à nouveau, on a dû s’endetter jusqu’au cou car le montant total des travaux s’élevait à plus d’un milliard (d’anciens francs) ! Pour faire face à ce projet, on a vendu le Paris et le Mercœur et là, une grande période d’angoisse a commencé, car le coût réel des travaux a vite dépassé très largement les devis initiaux… »
GAUMONT, Du mariage de raison au mariage d’amour
En 1978, Gilbert Vésian décide de se retirer du cinéma et de céder ses parts. « Ouvrir le capital de la société était un choix de mon père, rappelle Jean-Marie Guillaume. Il avait pressenti que, pour une ville universitaire de plus de cent mille habitants, il allait se retrouver rapidement isolé, face à la concurrence, et qu’il se devait de fortifier très rapidement ses positions. Lorsqu’il a su que Gilbert Vésian désirait vendre ses parts, mon père a contacté la Gaumont et Nicolas Seydoux. Celui-ci a rapidement accepté de prendre une participation dans le capital… ».
Nicolas Seydoux et la Gaumont ont, depuis, toujours soutenu la politique de développement d’investissements et d’animation du Cézanne. Comme aimait, en substance, régulièrement le répéter Marcel Guillaume : le mariage de raison s’est rapidement transformé en mariage d’amour. Les relations ont d’abord été professionnelles, puis elles ont été faites d’amitié et d’estime réciproques. L’ouverture de trois salles supplémentaires, en 1981, les actuelles salles 3-4-5, donnent au Cézanne un rayonnement national et les niveaux d’entrées atteints permettent à la ville d’Aix-en-Provence de décrocher le titre envié de ville la plus cinéphile de France, avec le meilleur taux de fréquentation par habitant.
Le Cézanne entame ensuite une nouvelle rénovation de la salle une qui devient ainsi, dès 1988 et après le cinéma parisien Forum Horizon, la deuxième salle en France à se doter d’un système THX, le fameux label sonore mis en place par les laboratoires de George Lucas. Pour être à la hauteur avec ce qui constitue le nec plus ultra en matière de qualité, la salle est entièrement rénovée et un nouvel écran courbe de cent vingt mètres carrés remplace l’ancien. Sa capacité d’accueil est réduite de six cent cinquante à cinq cents fauteuils,mais le confort y gagne encore et le cinéma reste ainsi l’un des plus modernes de France. Malheureusement, durant cette année de 1988, l’état de santé de Marcel Guillaume se détériore subitement, et c’est en toute logique que Christiane et Marcel font appel à leur fils, Jean-Marie.
« Je venais de terminer mes études dans une école supérieure de commerce, à Bordeaux. J’avais prévu de prendre quelques vacances mais, hélas, mon père a connu de lourds problèmes de santé et je me suis retrouvé parachuté, au pied levé, au Cézanne, sur le chantier, à diriger une douzaine de corps de métiers qui réhabilitaient la salle une. Il s’agit en effet de travaux complexes à gérer puisqu’il faut démolir l’existant et, même, surélever la charpente. Dans ses projets, Marcel Guillaume avait aussi pensé à intégrer un nouveau jeu de lumières, avec des projecteurs rouge, vert et bleu, dont les rayons se diaphragmaient sur les murs et donnaient une sensation d’arc-en-ciel. La salle était de teinte bleu royal et les fauteuils, pourpre cardinal. Avant chaque projection, une animation son et lumières de quelques minutes était proposée aux spectateurs. Mon père, rappelle Anouk, souhaitait absolument que le spectateur soit totalement immergé dans cette invitation au rêve que constitue le film au cinéma. Il désirait que la communion soit absolue avant que les premières images n’apparaissent sur l’écran… » Pour l’inauguration, effectuée en présence de Nicolas Seydoux, le long-métrage Qui veut la peau de Roger Rabbit ? est diffusé en 70 mm, un format qui permet, outre une qualité d’image exceptionnelle, de décoder le son à partir d’une piste magnétique six pistes.
EUROPALACES : Développer, Innover, Préserver
En janvier 1992, l’histoire du Cézanne va entamer un nouveau chapitre de son histoire, mais il ne s’agit pas de travaux de rénovation ni même de l’extension du cinéma. How this sides. I’ve a in my have product. Lorsque, cette année là, Jérôme Seydoux rachète le groupe Pathé, il décide avec son frère Nicolas de réaliser un échange d’actifs afin de ne pas se retrouver en concurrence sur certaines villes. Des cinémas Pathé deviennent Gaumont, et inversement. Lors de cet échange, le Cézanne entre dans le groupe Pathé. Lors de cette opération, Pathé reconduit avec exactitude les termes de l’accord précédent avec la famille Guillaume, ce qui lui garantit toujours une entière liberté dans la programmation et les choix artistiques. Le 8 septembre 1993, un an après ces nouveaux accords et à l’occasion de la réouverture après rénovation des salles 3, 4 et 5, Jérôme Seydoux est à Aix-en-Provence, afin d’assister à l’inauguration. Là, devant toutes les personnalités présentes, le président de Pathé apprécie le résultat des travaux entrepris en trois tranches, depuis trois ans, et un budget investi de seize millions de francs.
À l’entrée, les caisses sont devenues entièrement informatisées et gèrent tout aussi bien les paiements par cartes bleues que les abonnements ou le système de pré-vente. La climatisation a été, elle, totalement repensée, et un système d’ascenseur, présent dès 1980 mais qui a été rénové lui aussi, rend les salles accessibles aux personnes à mobilité réduite. Si les salles 3, 4 et 5 jouissent d’un système de sonorisation Dolby, toutes offrent aux spectateurs le confort de fauteuils Club et de nouveaux systèmes d’éclairage. Au cours de cette cérémonie, Jérôme Seydoux déclare qu’avec Marcel et Jean-Marie Guillaume, « notre entente est parfaite et notre collaboration, fantastique. Autant dire que rien n’est remis en cause entre nous… »
Quant à l’effort financier consenti pour la rénovation du complexe, le président de Pathé applaudit des deux mains : « De tels investissements, c’est malheureusement peu courant. Pourtant, il y a un lien direct entre la qualité des salles et la fréquentation. Marcel Guillaume et son fils l’ont compris. Aujourd’hui, Aix-en-Provence est très bien considérée dans le milieu du cinéma.s a.Le Cézanne, c’est une affaire qui marche, un fleuron, modèle de réussite d’adaptation d’un complexe cinématographique en centre ville. (…) Je suis quotidiennement en contact avec des gens qui font des films et avec des exploitants de salles. Lorsque tout va mal, les réalisateurs me disent que ce sont les salles qui sont repoussantes. Les directeurs de cinémas, quant à eux, affirment que les films sont mauvais. Il est certain qu’il faut trouver un juste milieu. Marcel Guillaume, lui, n’a jamais formulé de critiques sur les films. »
Être au service de ceux qui aiment le cinéma, le public et les professionnels
Un proverbe dit, en substance, que rien de grand ne pousse à l’ombre des grands arbres. En revanche, un autre rappelle aussi que les chiens ne font pas des chats. Pour Jean-Marie Guillaume, lorsque les nécessités de la vie l’appellent à prêter main- forte à sa mère et à son père, le jeu est risqué. D’ailleurs, il reconnaît en avoir pris conscience très vite : «Quand on est l’héritier de quelqu’un ou de quelque chose, la position est d’emblée délicate. On est immédiatement en butte à toutes les suspicions, justement parce qu’on est “le fils de”. Personnellement, je voulais d’abord faire mes preuves par moi-même, éventuellement dans un autre domaine que le cinéma… » Après avoir été un temps tenté par des études de médecine, puis après avoir décroché un DEUG de sciences économiques et intégré une école supérieure de commerce, Jean-Marie va finalement rester toujours, de près ou de loin, dans le monde fascinant du cinéma. Agent d’accueil ou caissier, durant les vacances scolaires, stage de distribution chez Paul Brilli à l’AMLF, il a la possibilité de choisir, lors de l’une de ses périodes de formation, de partir aux USA. « Mon père avait rencontré l’un des dirigeants de la Warner, à l’occasion d’un festival de Cannes, et il lui avait demandé la possibilité pour moi de faire un stage à Los Angeles. En été 1987, je suis donc parti aux USA pour suivre un apprentissage de trois mois à Burbank, dans le département international de la Warner. À la fin de mon stage, Richard Fox, le directeur de Warner international m’a accordé un rendez-vous et, très simplement, m’a dit qu’il était satisfait de mon travail et m’a proposé un poste. C’était irréel de se retrouver dans cette compagnie prestigieuse, moi dont l’arrière grand-père faisait du cinéma itinérant dans les villages de l’Allier ! ».
Et demain ?
À l’heure du tout numérique, d’Internet et du téléchargement, sans oublier les équipements audiovisuels domestiques qui ne cessent de gagner en qualité tout en devenant de moins en moins onéreux, il est logique de s’interroger sur le devenir de la salle de cinéma. Pour le Cézanne, en l’occurrence, l’avenir est peuplé de possibles. « Dans la configuration actuelle, avance Jean-Marie Guillaume, et à force de travaux de rénovation réguliers, je pense que nous avons su tirer la quintessence du lieu, mais il nous faudra faire preuve de beaucoup d’imagination pour poursuivre cette course au progrès en matière d’équipements et d’agencements, toujours en raison du manque d’espace. » Parmi tous ces possibles, depuis la mi-2008, la salle 1 offre la possibilité d’assister à la retransmission en direct de spectacles tels que les opéras joués au MET de New York ou encore à des concerts comme celui qu’Elton John a donné à Paris. En 1959, à sa création, le Cézanne diffusait des films mais accueillait aussi des chanteuses et des chanteurs. L’histoire se répèterait-elle et le Cézanne serait-il en train de redevenir une salle de spectacles ? « On ne peut pas se projeter dans l’avenir avec beaucoup de certitudes, modère Jean-Marie Guillaume. Tout ce que je sais, c’est que les salles de cinéma devront sans cesse innover pour continuer à attirer les spectateurs et se différencier de la télévision, d’internet et de tous les supports qui permettent de découvrir des films à domicile. Aujourd’hui, la grande nouveauté, c’est le passage au numérique qui va, à terme, s’imposer pour des raisons évidentes de qualité, de diversité en termes de programmation et de diffusion de contenu alternatif. De la même façon, des systèmes de projection de très haute qualité en 2D et 3D sont en train d’être développés et, même si nous n’en sommes encore qu’aux balbutiements, les résultats sont très impressionnants et n’ont rien à voir avec les systèmes déjà existants que l’on trouve dans les parcs d’attractions et les parcs à thèmes. Est-ce que cela fera la différence ? A court terme ? J’en suis persuadé et les plus grands noms du cinéma actuel se sont déjà emparés de cette nouvelle technologie. À long terme, personne ne le sait. Rien ne remplacera cependant la qualité d’un scénario, sa mise en scène et son interprétation. En revanche, il apparaît évident que le Cézanne est un lieu qui a été très performant durant les trente dernières années. Le pari est aujourd’hui de continuer à le rendre attractif durant les cinquante à venir ! » Le Cézanne sera-t-il prochainement conçu comme une salle multi-spectacles ou bien sera-t-il transformé pour devenir un grand complexe intra-muros de cinéma d’art et d’essai ? La question reste posée. Ce qui est certain, en revanche, pour son directeur, c’est qu’une salle de cinéma reste un lieu unique : « Pour mon père comme pour moi, une salle de cinéma, au contraire du séjour d’un appartement, permettra toujours de vivre des émotions décuplées, de façon collective. Je suis intimement persuadé que, lorsque l’émotion est partagée par une salle pleine de plusieurs centaines de personnes, elle est irremplaçable. Quant à nous, je nous considère beaucoup plus comme des passeurs d’images, des vendeurs de rêves que des exploitants. Toute l’équipe du Cézanne ressent un véritable respect pour les œuvres, les créations cinématographiques. Nous sommes le dernier maillon d’une grande chaîne de talents cumulés et c’est pour cette raison que nous essayons d’être irréprochables sur les plans du confort et de la qualité technique. Ce maillon doit être fort et notre rôle est de nous mettre au service des œuvres et de les valoriser de notre mieux. Nous avons aussi la chance d’être associés avec Europalaces, un groupe qui réunit les marques Pathé et Gaumont. Il est dirigé par son président Eduardo Malone et Jérôme Seydoux qui, tous deux, croient profondément dans l’avenir du cinéma en général et de la salle en particulier. Parce qu’il tient à garder sa place de leader européen des salles de cinéma, Europalaces améliore en permanence le confort des salles et la qualité des services offerts aux cinéphiles. Ils nous ont toujours préservés en nous associant à leurs projets de développement et ils nous encouragent dans notre politique d’investissements et de rénovation, tout en préservant notre indépendance et notre passion du cinéma. Ce sont des associés dont nous partageons les valeurs fondatrices d’indépendance, d’innovation, de qualité et de diversité. Professionnels, fidèles et loyaux, ils constituent, pour le Cézanne, des associés précieux… »
Après un demi-siècle d’existence, on peut légitimement se demander ce qui a permis au Cézanne de devenir l’une des références en matière d’exploitation cinématographique.
Parmi toutes les réponses que l’on peut donner, il en est une, essentielle : l’amour et la passion du cinéma. Christiane et Marcel Guillaume, avec Gilbert Vésian, ont su tenir cette salle à bout de bras et, à force d’efforts, lui ont permis de prendre son envol. Les rôles sont d’ailleurs parfaitement définis au sein du couple Guillaume, se souvient Christiane : « Marcel s’occupait de tout ce qui avait trait à l’art cinématographique, la programmation, les avant-premières, sans oublier les relations avec les collectivités locales, etc. Moi, j’étais plus impliquée dans l’administration – essentielle, d’après notre fils Jean-Marie, pour tempérer Marcel, qui était débordant de projets et d’énergie, parfois au-delà du raisonnable. De plus, mon mari avait la communication et l’animation chevillées au corps et trouvait toujours quelque chose à organiser pour que l’on parle du Cézanne, dans la presse. Gilbert Vésian, pour sa part, était plus versé dans la gestion… » En effet, Marcel est un homme qui, parce qu’il a été distributeur de films, à Lyon, possède de solides relations dans le milieu du cinéma. Ses connexions et ses amitiés lui permettent ainsi d’obtenir très régulièrement des films en avant-première et, son charme aidant, il parvient presque toujours à ses fins. Jean Reboulleau, Président adjoint à la Fédération française des cinémas français, n’a d’ailleurs jamais oublié leur première rencontre : « J’étais déjà distributeur chez Cinédis lorsque j’ai vu arriver, dans mes bureaux du boulevard Longchamp, à Marseille, un grand monsieur, très souriant, qui m’a tout de suite dit : « Je suis Marcel Guillaume et je voudrais faire du cinéma, à Aix-en-Provence… » Je dois avouer qu’il ne m’a pas attiré une sympathie immédiate, car il était un peu cabotin. Puis, j’ai eu l’occasion de le rencontrer à plusieurs reprises, avant l’ouverture du Cézanne et, très vite, le charme s’est mis à opérer. Finalement, c’est moi qui lui ai donné son premier film : Le bourgeois gentilhomme ! En très peu d’années, nous sommes devenus de vrais amis et, ensuite, nous nous sommes considérés comme deux frères. Quand je vois les risques qu’il a pris, tout au long de sa vie, je ne peux qu’être admiratif… »
Sources et droits des documents de cet article :
• Collection personnelle de Thierry Brayer
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Bonjour. Trés intéressée par votre info sur les 5O ans du Cézanne. J’ai la change de posséder l’album édité à cette occasion, le cd complète bien les commentaires. Merci pour toutes vos informations qui rappellent beaucoup de souvenirs.