Les Rues d’Aix – Rue du puits juif


Les Rues d’Aix
ou recherches historiques sur l’ancienne capitale de Provence
par Roux-Alpheran en 2 tomes 1848 et 1851
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RUE DU PUITS-JUIF

ANS les XIIe et XIIe siècles, les Juifs de la ville comtale étaient concentrés dans cette rue, comme ceux du bourg Saint-Sauveur l’étaient dans la rue actuellement dite de Venel et qu’on appelait alors plus particulièrement la Juiverie. Un puits public à leur usage seul existait vers le milieu de la rue qui en a conservé le nom depuis lors.
Antoine de Saint-Marc, reçu conseiller au parlement d’Aix en 1544, habitait cette rue et y mourut en 1595, étant le plus ancien membre de la cour. Nous rapporterons, à l’occasion de ce magistrat un fait assez singulier et qui tient à l’un des événements les plus importants de notre histoire. Mais il faut auparavant dire en peu de mots ce que nous raconterons plus longuement ailleurs 1 sur le duc de Savoie, Charles-Emmanuel.
Ce prince, appelé en Provence en 1590 par les états du pays, les principales villes et la portion du parlement qui tenaient le parti de la Ligue, fit son entrée solennelle à Aix, le dimanche 18 novembre de ladite année. Le 23 du même mois, Charles-Emmanuel se rendit au palais, et, ayant pris place dans la salle dorée, à la droite de la cour, celle-ci lui donna, par arrêt, toute autorité et commandement des armées, état et police du pays, sous l’état et couronne de France.
Nul historien de Provence n’a encore publié le texte de ce fameux arrêt. Tous se bornent à en donner le précis, tels que Nostradamus, Bouche, Pitton, Ruffi, Gaufridi, Papon et autres, ce que font aussi les historiens particuliers du parlement, d’Agut, Louvet, Guidi et d’Hesmivy de Moissac, dont les ouvrages sont demeurés manuscrits.2 Le voici tel que nous l’avons copié sur la minute qui existe encore dans les registres du parlement, 3 conservés au greffe de la cour royale de cette ville.
Sur la requeste et réquisition judiciellement faictes par les procureurs des gens des trois estats de ce païs 4 adcistés des depputés du clergé, de la noblesse et autres mentionnés en leur réquisition tendant à fin pour les causes y contenues que ” Son Altesse duc de Savoye, Chablais, Aouste et Génevois, marquis en Itallye, prince de Piedmont, comte de Genéve, Baugé, Romon, Nisce et Ast, baron de Vaux, Gex et Fancegni, seigneur de Bresse, Virail et du marquisat de Ceve , Marro, Oucellys, aye toute auctorité et commandement des armées estat et police en ceste province et la conservation d’icelle en l’union de la relligion catholique, apostolique et romayne soubs l’hobéissance et auctorilé de l’estat royal et couronne de France.
” Veu ladicte requeste contenant au regard conclusions du procureur général du roy adhérant à icelle, du vingt-uniesme de ce moys.
La cour a ordonné et ordonne que Son Altesse aura toute auctorité et commandement des armées, estat et police de ceste province pour icelle conserver en l’union de la relligion catholique, apostolique et romayne, soubs l’hobéissance et auctorilé de l’estat royal et couronne de France ; et seront baillés extraits audict procureur-général, pour les envoyer par tous les sièges de la sénéchaussée de ce païs, pour y estre le présent arrest leu et enregistré, gardé et observé sellon sa forme et teneur.

A. DE SAINT-MARC. 5 H. SOMMÂT. 6 N. FLOTE. 7 A. de Saint-Marc. 8
Présents Mess. * Messieurs H. Sommat ancien en absence en empeschement, E. Puget, J.-A. Thomassin, J. Rascas, P. Ventou, C. Arnaud, C. Fabri, O. de Tulles, R. Hespagnet, E. Crose, H. de Saint-Marc, J. de Villeneufve.
N. Flote. 9
Faict au parlement de Prouvence séant à Aix et publié en audience y adcistant Son Altesse, estant messieurs en robbes rouges, le XXIII novembre 1590. ”
Il nous parait hors de doute que cet arrêt ne fut signé ce jour même, que par le conseiller Honoré Sommat comme ancien en absence et en empêchement, ainsi qu’il est dit (tous les présidents étant absents), et par le conseiller Nicolas Flotte en sa qualité de rapporteur, puisque tel était l’usage alors observé et qui l’a été jusqu’à la révolution, usage suivant lequel le président et le rapporteur signaient seuls les arrêts.
Les historiens que nous avons cités plus haut, attestent presque tous que le conseiller Sommat présidait l’audience; les autres ne nomment pas le président. Le procureur Foulque Sobolis, témoin oculaire, dit textuellement dans son journal manuscrit 10 que le vendredi, 23 novembre, ladite Altesse est allée au palais et s’est assise à main droite de la cour en audience, étant la cour en robes rouges, ayant prononcé l’arrest que ladite Altesse est gouverneur-commandant en Provence pour la couronne de France. Présidoit M. du Castellar. 11 Ladite Altesse estoit habillée de satin blanc et en manteau violet semé d’or, perles et diamants, son cheval de même, suivi de grande quantité de noblesse ; et ledit arrest a été publié au siége.
Comment se fait-il donc que la minute soit encore signée par le conseiller Antoine de Saint-Marc ancien de Sommat, et pourquoi le nom de Saint-Marc a-t-il été ajouté par renvoi à la liste des magistrats qui siégèrent dans cette mémorable séance ?
Selon nous, cette signature ne peut avoir été apposée qu’après coup, soit sur la demande de Saint-Marc lui-même, qui aura voulu concourir à l’arrêt rendu par ses collègues, soit parce que ceux-ci s’étant trouvés au nombre de treize, auront eu augure à ce nombre et auront désiré de le porter à quatorze, par l’adjonction du nom de Saint-Marc. C’était d’ailleurs un vendredi que cela s’était passé, et l’on sait que nos anciens ne redoutaient pas moins le jour de vendredi que le fatal nombre de treize.
Quoi qu’il on soit, voici les noms des magistrats ligueurs qui, par leur imprudente démarche, pour ne pas dire plus, faillirent amener l’usurpation du duc de Savoie en Provence.
Antoine de Saint-Marc, reçu conseiller en 1544.
Honoré Sommat, seigneur du Castellar, reçu on 1552.
Etienne de Puget, seigneur de Fuveau, reçu en 1569.
Nicolas Flote, seigneur de Meaux, rapporteur, reçu en 1569.
Jean André de Thomassin, seigneur d’Ainac, reçu en 1570.
Jean de Rascas, seigneur de Bagarris, archidiacre de l’église métropolitaine de Saint-Sauveur, reçu en 1570.
Pierre de Vento, reçu en 1571.
Claude Arnaud, co-seigneur de Riez, reçu en 1571.
Claude Fabri, seigneur de Calas, (oncle du grand Peiresc,), reçu en 1572.
Olivier de Tulles, reçu en 1574.
Raymond d’Espagnet, reçu en 1575.
Esprit Peironeti-de-Croze, reçu en 1577.
Honoré de Saint-Marc,(fils puîné d’Antoine), reçu en 1587.
Jean de Villeneuve, seigneur de Mons, reçu en 1581.
On ne voit pas pourquoi celui-ci n’est pas porté à son rang parmi les présents. Serait-ce parce que son nom n’a été inscrit que postérieurement à l’arrêt, comme celui de Saint-Marc ? Ou est-ce tout simplement par suite d’une erreur du greffier ? Nous l’ignorons.
Ainsi que nous l’avons dit plus haut, il n’y avait aucun président présent à cette audience. Le premier président Jean-Augustin de Foresta, était mort et n’avait pas été remplacé. Le président Louis de Coriolis était à Manosque à la tête de la portion du parlement qui tenait le parti d’Henri IV. Les présidents François d’Estienne Saint-Jean et Louis Duchaine ayant recouvré leur liberté, 12 s’étaient retirés, l’un à Avignon, l’autre à Marseille ; et le président Raymond de Piolenc s’était également retiré au Pont-Saint-Esprit.
Dans la même rue du Puits-Juif, était né, le 18 novembre 1745, et est mort, le 10 janvier 1808, à l’âge de soixante-deux ans, M. Henri Pellicot, avocat, auteur d’une traduction française de l’Histoire de Manosque, écrite en latin par le jésuite Colombi. 13 M. Pellicot avait été député à l’assemblée législative et nommé par elle grand-procurateur de la nation à la haute cour de justice, à Orléans.
Dans cette même rue encore est né, le 17 décembre 1775, notre condisciple et ami M. François-Marius Granet, peintre distingué, aujourd’hui membre de l’institut et conservateur des tableaux des musées royaux. Le nom, les talents et la réputation de cet illustre compatriote, nous dispensent d’en parler plus longuement. 14

1 Voyez rue du Pont-Moreau. Retour

2 Nous possédons dans notre bibliothèque, des copies de ces divers manuscrits. On en trouve aussi des copies à la bibliothèque Méjanes, moins cependant l’histoire de Louvet qui est très rare. Retour

3 Deuxième registre des Arrêts publiés à la barre, 1590, neuvième cahier. Retour

4 C’étaient Jean de Forbin, seigneur de la Fare; Jean Barcillon, seigneur de Mauvans; Jean Fabri et François Ausac, consuls et assesseur d’Aix, procureurs du pays de Provence, entrés en exercice le 1er du même mois de novembre 1590, pour un an. Retour

5 Signature apposée en marge de la minute de l’arrêt. Retour

6 Signature apposée a gauche de la minute, à la suite du dispositif. Retour

7 Signature apposée à droite de la minute, sur la même ligne que les précédentes. Retour

8 Sic par renvoi, au-dessus de la ligne où commencent les noms des présents. Retour

9 Signature du rapporteur, lequel n’était plus mentionné au nombre des présents, cette signature en disant assez apparemment. Tel était l’usage. Retour

10 L’original de ce journal, très curieux pour l’histoire d’Aix, commençant en 1562 et finissant en 1607, se trouve à la bibliothèque de Carpentras, parmi les manuscrits de Peiresc. La bibliothèque Méjanes, à Aix, en possède une copie, ainsi que M. Rouard, bibliothécaire, et nous. Retour

11 Honoré Sommat, seigneur du Castellar, était plus connu sous le nom de cette terre que sous le sien propre. – Voyez plus bas. Retour

12 Voyez rue du Grand-Séminaire. Retour

13 Cette traduction est imprimée à Apt, chez Tremollière, 1808, in-8°. Retour

14 Une délibération du conseil municipal, du 20 juin 1844, approuvée dans les formes ordinaires, le 11 août suivant, a exprimé le vœu des habitants d’Aix, que le nom de Granet fût donné à l’une de nos rues, et a fait choix, à cet effet, de la rue Neuve, dont nous allons parler. Il n’est sans doute pas un seul de nos concitoyens qui n’ait applaudi à cet hommage rendu au grand artiste dont la modestie égale d’ailleurs le talent; mais quelques-uns ont pensé, peut-être avec raison, que la rue où il est né et qui s’ouvre sur la rue Neuve, eût été plus convenablement choisie que celle-ci pour être le théâtre de cette honorable distinction. Et si l’on disait que l’épithète de Neuve, donnée depuis plus de 500 ans à une rue, n’a plus aujourd’hui aucune signification raisonnable, nous répondrions que les noms de Vauvenargues, de Mazaugues ou de Gallaup-Chastueil, qu’on va retrouver dans l’article suivant, n’auraient pas été moins dignes d’être rappelés au souvenir de leurs compatriotes. Retour