Les Rues d’Aix – Rue Loubet


Les Rues d’Aix
ou recherches historiques sur l’ancienne capitale de Provence
par Roux-Alpheran en 2 tomes 1848 et 1851
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RUE LOUBET

E n’est pas le personnage fantastique créé par une brillante imagination, qui a donné son nom à cette rue. Nous devons le dire, dans l’intérêt de la vérité historique, il n’y a jamais eu à Aix d’avocat Loubet, ni de marquise d’Argevilliers. Quel que soit le talent employé par madame R…, née A…, notre estimable et spirituelle compatriote, dans la peinture de ce drame lugubre, 1 comme dans toutes ses productions si remarquables et si remplies d’intérêt, nous regrettons vivement que l’auteur l’ait exercé sur un pareil sujet, puisqu’à raison même de ce talent, les Duchesne et les Ducange futurs pourront vouloir puiser dans ce roman les savantes notes dont ils accompagneront les mémoires sur notre ville qui leur tomberont sous la main et alors quelle confusion dans notre histoire, que d’anachronismes, que d’erreurs ! ! ! Mais hélas ! Notre froide et véridique prose entrera-t-elle jamais en balance avec la charmante production de cet auteur ?
Le capitaine Boniface Buisson ou Bouisson, sieur du Loubet, mort en 1597, et enterré, le 5 avril, dans l’église de l’Observance, après avoir combattu avec honneur pour Henri IV, lors des guerres de la Ligue, est le véritable personnage dont cette rue a retenu le nom, parce qu’il y faisait sa demeure. Son fils Joseph étant mort jeune sans avoir été marié, sa succession fut recueillie par les frères d’Anne de Thomassin, sa mère, femme de Boniface, et parmi ceux-ci se trouvaient Joseph de Thomassin, seigneur de Taillas, avocat-général à la cour des comptes, duquel naquirent entre autres enfants, Pierre et Louis de Thomassin , dont nous allons parler.
Pierre de Thomassin, seigneur du Loubet, vit le jour le 22 novembre 1615, dans la maison qui fait le coin à gauche en sortant de cette rue pour entrer dans celle du Séminaire. C’était peut-être la même que celle du capitaine Loubet, ou du moins n’en était-elle pas éloignée. Peut-être aussi les deux maisons ont-elles été réunies, ce qu’il est difficile de savoir, puisque ça été depuis le vaste hôtel des seigneurs marquis de Peynier, du nom de Thomassin, conseillers, ensuite présidents au parlement, hôtel aujourd’hui occupé par les sœurs de la retraite, ayant son entrée sur la rue du Séminaire.
Quoiqu’il en soit , Pierre de Thomassin du Loubet, entra d’abord comme capitaine d’infanterie, dans les troupes du duc de Savoie, puis dans celles du roi de France. Mais s’étant retiré jeune du service, il fut nommé second consul d’Aix en 1652-53. Il s’adonna dès lors à l’exercice des bonnes oeuvres, et pendant plus de trente ans, son unique occupation fut de secourir les pauvres et de consoler les affligés. En 1674, il fonda, à ses dépens, la maison des Filles de l’Enfance que le cardinal Grimaldi, archevêque d’Aix, fit venir de Toulouse, et dont l’institution était d’instruire les jeunes filles dès leur bas âge, dans les maximes du christianisme, ainsi que nous l’avons dit ailleurs.2 En 1680, il fonda encore la première maison que les Doctrinaires aient eue dans Aix , pour l’instruction des jeunes garçons, les chargeant d’aller faire des missions dans les paroisses du diocèse où son ancien régiment pouvait avoir causé du scandale et des dommages. Après avoir fait des dons considérables au séminaire et aux hôpitaux, il finit ses jours au service des malades à l’Hôtel-Dieu, le 27 mai 1684, et fut enterré le lendemain dans le cimetière de cet hôpital, comme il l’avait désiré.
Louis de Thomassin, son frère, né dans la même maison, le 28 août 1619, est ce célèbre oratorien et ce grand canoniste trop connu dans le monde savant par son immense érudition et par ses nombreux ouvrages, pour qu’il soit nécessaire d’en parler ici. Le pape Innocent XI était si satisfait de son mérite, qu’il voulut l’attirer à Rome, se proposant de lui donner le chapeau de cardinal; mais la grande humilité du P. Thomassin, et le refus que fit Louis XIV de priver la France de ses lumières, firent échouer ce projet. Sur la fin de sa vie il oublia qu’il avait écrit, et il mourut à Paris, au séminaire de Saint-Magloire, dans la nuit du 24 au 25 décembre 1695.
Un autre Louis de Thomassin, neveu des deux précédents, à la mode de Bretagne, né à Aix, le 16 août 1637, fut nommé, en 1671, coadjuteur du célèbre Godeau, évêque de Vence, et lui succéda l’année suivante. En 1680, il fut transféré sur le siége de Sisteron qu’il gouverna pendant trente-huit ans, avec beaucoup de piété et d’édification, et où il fonda plusieurs établissements charitables. Il était le doyen des évêques de France à sa mort arrivée le 13 juillet 1718. Récitant son bréviaire en se promenant sur la terrasse de son château de Lurs, une vieille muraille s’écroula et il vint se briser sur des rochers au fond d’un précipice. Comme il passait pour avare, malgré les nombreuses fondations qu’il avait faites dans son diocèse, un plaisant lui fit cette épitaphe:

CI-GIT MONSIEUR DE THOMASSIN
QUI DE LA MORT SE VOYANT PROCHE
SE PRECIPITA D’UNE ROCHE
POUR EPARGNER LE MÉDECIN.

1 Espagnoles et Françaises, par H. Arnaud, (Madame Charles Reybaud), 2 vol. in-8°, à Paris, chez Ladvocat, place du Palais-Royal, 1857, tome II. Retour

2 Voyez ci-dessus, pag. 219. Retour