Les Rues d’Aix – Rue de l’école


Les Rues d’Aix
ou recherches historiques sur l’ancienne capitale de Provence
par Roux-Alpheran en 2 tomes 1848 et 1851
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RUE DE L’ÉCOLE

N appelait anciennement cette rue la Carrièro d’oou plan d’oou Four. Elle prit, en 1418, le nom de rue de l’école ou plutôt des Ecoles, à cause d’un établissement d’enseignement public qui y fut créé en vertu d’une délibération du conseil de ville : délibération honorable qui a reçu les justes éloges de tous ceux de nos historiens qui en ont parlé. Une bibliothèque publique fut attachée à cet établissement ; c’était trente ou quarante ans avant la découverte de l’imprimerie. La bibliothèque ne fut donc composée
que de manuscrits dont la perte est à regretter; car on pense bien qu’il n’en reste plus un seul aujourd’hui.
En l’année 1600, le R. P. Jean-Baptiste Romillon , prêtre, natif de Lisle, dans le comtat Venaissin, fonda, dans cette rue de l’école, la première maison que les Oratoriens aient eue en France et qui fut réunie, en 1619, d’un commun accord, à celle de la congrégation du même nom établie par le cardinal de Berulle. Les Oratoriens y bâtirent leur première église, dans la direction du levant au couchant et dont on voit encore la façade, à droite en entrant dans cette rue par celle du Bon-Pasteur. Ils la quittèrent depuis, en 1658, pour s’établir dans cette dernière rue où ils firent construire une église bien plus belle et plus spacieuse, dont nous avons parlé précédemment.
Mathieu Arnaud , prêtre de l’Oratoire et chanoine de Saint-Sauveur, 1 acheta, en 1615, la vieille église et les bâtiments de sa congrégation, et y fonda, avec l’agrément de l’archevêque et du parlement, une compagnie de Pénitents Bleus, sous le titre de Saint-Joachim, qui subsiste encore, d’où vient qu’on donne quelquefois à cette rue le nom de Saint-Joachim. Les fonctions de ces pénitents, qui furent confirmés en 1653 par lettres-patentes de Louis XIV, consistent à administrer des secours aux pauvres agonisants et surtout à donner la sépulture aux malheureux suppliciés qu’ils vont retirer de l’échafaud lorsque le ministère des bourreaux est accompli.
En 1771, le frère Jacques de Laurans, commandeur des ordres royaux, militaires et hospitaliers de N. D. du Mont-Carmel et de Saint-Lazare de Jérusalem, chevalier de l’ordre royal et militaire de Saint-Louis, mestre de camp de cavalerie, inspecteur des maréchaussées et prévôt-général de Provence, étant supérieur de la compagnie des Pénitents bleus, obtint du roi Louis XV, de nouvelles lettres-patentes qui l’érigeait en maison royale et hospitalière ; et quelques années plus tard il y établit un hospice pour les pauvres aveugles, agrégé, en 1782, à l’hôpital des Quinze-Vingts de Paris. C’est alors que cet homme pieux et charitable, voulant agrandir l’église de Saint-Joachim, acquit de ses deniers quelques maisons voisines, et prolongeant ladite église du nord au midi, fit la principale façade dans la rue du Bon-Pasteur, en face de l’Oratoire. C’est là qu’il fut enterré à sa mort, arrivée le 2 janvier 1788. Il était né en cette ville, le 12 mars 1704.
La maison attenante à l’église de Saint-Joachim du côté du midi, dans la rue de l’Ecole, et que M. de Laurans avait achetée pour y établir l’hôpital des Aveugles, est celle où est né en 1656, le célèbre botaniste Joseph Pitton de Tournefort, non pas le 5 juin comme le disent tous les biographes, mais au plus tard le 3 du même mois, puisque les registres de la paroisse de Saint-Sauveur font foi qu’il y reçut le baptême le 5 juin 1656. Sa famille, éteinte en mâles en 1774, était originaire de Tours en Touraine, d’où son bisaïeul Jean Mesnagier, dit Pitton, avait été attiré à Aix par un Martin Pitton, son oncle maternel, aussi natif de Tours, pourvu, en 1557, d’un canonicat au chapitre de Saint-Sauveur. Ce Jean Mesnagier eut deux fils qui ne portèrent jamais d’autre nom que celui de Pitton, pour se conformer aux volontés du chanoine. L’aîné fut l’aïeul du botaniste dont nous parlons, et le cadet fut le père du médecin Jean-Scholastique Pitton, né à Aix, le 18 décembre 1621, mort le 21 février 1689, auteur: 1° d’une Histoire de la ville d’Aix, in-f°, imprimée en 1666 ; 2° des Annales de la sainte église d’Aix, in-4°, 1668; et quelques autres ouvrages, tous assez peu estimés.
Mais ceux du botaniste, neveu de l’historien à la mode de Bretagne, ainsi que nous disons communément, et non son neveu germain comme on le croit, ont rendu le nom de celui-ci à jamais recommandable à la science. Tournefort , le plus grand botaniste de son temps, s’adonna de bonne heure à l’étude des plantes et parcourut successivement les hautes montagnes de la Provence, du Languedoc et du Dauphiné, les Alpes et les Pyrénées, d’où il rapporta une immense quantité d’espèces qu’il mit en ordre d’après un système plus simple et plus naturel que ceux qu’on avait connus jusqu’alors. En 1683, il fut nommé professeur de botanique au jardin royal des plantes à Paris, et il publia, en 1694, ses éléments de botanique, imprimés au Louvre, en 3 vol. in-8°, dont deux de planches , qu’il traduisit depuis en latin, sous le titre de Institutiones rei herbariae. Son histoire des plantes qui naissent dans les environs de Paris fut publiée en 1698, et la Relation d’un voyage dans le Levant qu’il fit par ordre du roi, attestera à jamais ses profondes connaissances dans les sciences naturelles et dans l’histoire ancienne et moderne. Ce dernier ouvrage était sous presse, lorsque l’auteur mourut à Paris, le 28 décembre 1708, dans sa cinquante-troisième année. 2
Tournefort est, sans contredit, le savant qui a fait le plus d’honneur à la ville d’Aix. Ne serait-il pas digne de l’administration et du conseil municipal de cette ville, de faire placer sur la porte d’entrée de la maison où il est né, une plaque en marbre indiquant que ce grand botaniste y a vu le jour en 1656. Cet hommage, rendu à la mémoire de notre illustre compatriote, nous parait à l’abri de toute critique, et ne serait sujet ni aux vicissitudes des révolutions, ni aux caprices de la fortune, ni même à l’inconstance de l’opinion publique ordinairement si facile à égarer.
La rue de l’Ecole se recourbe en son extrémité méridionale pour se jeter, dans la direction du couchant au levant, dans celle de la Grande-horloge, ce qui forme, pour ainsi dire, une nouvelle rue. On a continué de donner à celle-ci, non pas son ancien nom, mais une partie de son ancien nom, en l’appelant la rue du plan sur laquelle nous n’avons aucun souvenir à rapporter.

1 Claude Arnaud, son frère et comme lui Oratorien né à Aix le 17 février 1602, mort à Arles le 29 août 1643, a traduit du latin en français et augmenté le Trésor des cérémonies ecclésiastiques, du P. Gavantus. On connaît plusieurs éditions de cette traduction qui a été fort longtemps d’une grande utilité dans l’église jusqu’à ce que d’autres auteurs se soient occupés du même sujet. Retour

2 Voyez l’éloge de Tournefort par Fontenelle dans l’Histoire de l’académie des sciences ; tous les dictionnaires biographiques et surtout la Biographie universelle de Michaud, tome XLVI, pag. 360 et suiv. Retour