Gustave Rambot le turbulent


Par Thierry Brayer

De Jacques Rambot et de Jeanne Grange naît à Aix, le 24 janvier 1796, Gustave Rambot [2]. À Paris, il s’assoit sur les bancs du Lycée Napoléon, ancien collège Henri IV, puis, une fois ses études achevées, revient en Provence pour s’inscrire à l’École de droit d’Aix. À l’exemple de son père, il revêt la robe, mais en 1815, sous l’uniforme de capitaine des volontaires, pris d’une vocation pour la carrière militaire, il abandonne temporairement ses études juridiques. Il obtient en 1816, à vingt ans, une lieutenance dans les chasseurs du Gard. En 1823, il est promu au grade de capitaine puis d’officier d’ordonnance du général baron Saint-Cyr ; ainsi, il prend part à la guerre d’Espagne où il se distingue. L’année suivante, le capitaine d’état-major Rambot est proposé pour un emploi de maréchal des logis de deuxième classe dans les gardes du corps du Roi, ce qu’il refuse. En 1829, des raisons de santé le contraignent à quitter le service actif et il est admis au traitement de réforme.

Devenu libre, Gustave Rambot séjourne quelques années à Paris auprès de son demi-frère, député, puis à Gréoulx [3] où l’appelle sa mère. Il se livre alors à de longues études sur l’économie politique, l’histoire, l’art militaire et l’agriculture. En 1842, succédant à son demi-frère, le baron Gravier, il devient caissier général de l’amortissement et des consignations. Parallèlement, il publie « De la Richesse Publique, de la Richesse Individuelle et des Besoins Moraux dans les Sociétés Modernes ». Il reçoit alors les félicitations des économistes les plus connus. Cependant, la vie de bureau et le climat de Paris altèrent sa santé : il est alors atteint d’une maladie incurable. Sur le conseil des médecins, il se décide à retourner en Provence, et ce, sans attendre la croix d’officier de la Légion d’honneur qui allait être la récompense de ses services. C’est à Aix qu’il veut passer ses dernières années, non pas seulement parce qu’il y est né, mais encore et surtout parce que peu de villes lui offrent un asile plus littéraire. Dès son arrivée, le Mémorial d’Aix lui ouvre ses colonnes et l’Académie ses portes. En 1847, il n’est encore que simple correspondant de l’Académie, admis aux séances, jusqu’en 1848 où il devient titulaire : il ne cessera de prendre part aux travaux de l’Académie.

Gustave Rambot vit pendant plusieurs années dans une retraite profonde luttant contre la maladie qui le mine. Sentant venir sa fin en 1857, il cherche et trouve, pour y mourir en paix, cours Saint-Louis [4], le vaste enclos de Beaufort [5], lieu de plaisance du roi René, et dont il fait bientôt une villa plaisante qu’il léguera sous conditions à la ville d’Aix. C’est là qu’après une agonie de plusieurs mois, il décède le 15 septembre 1859. Ses restes ont été déposés, suivant son désir, sans honneurs militaires et sans faste, dans la tombe qu’il avait élevée à sa mère.

Quelques-uns de ses ouvrages, dont certains ont totalement disparu :

  • De la Richesse Publique, de la Richesse Individuelle et des Besoins Moraux dans les Sociétés Modernes ;
  • Recensement de 1846, sous le rapport des subsistances, des émigrations, des immigrations, des entreprises industrielles et des travaux d’utilité publique ;
  • De la Guerre des Rues, ou moyens de détruire les barricades sans danger pour la garde nationale et l’armée ;
  • Une Commotion Sociale survenue dans une Ruche à Miel ;
  • Les Distractions[6];
  • Histoire abrégée des Anabaptistes, ou Considérations sur le communisme et le socialisme mis en pratique au XVIe siècle ;
  • Le Poète Delille ;
  • Élisabeth de France ;
  • Bibliographie Provençale ;
  • La Fiancée d’Abydos ;
  • Savonarole ;
  • Le Fonctionnaire et le Bourgeois ;
  • Portrait Cher ;
  • L’Histoire de Corse.

Dans cette même notice, Léon de Berluc-Pérussis nous décrit Gustave Rambot comme un inventeur non reconnu. Pour garder le style passionnant de l’auteur, voici exactement ses propos :

[…] Nous avons hâte d’arriver à deux mémoires inédits qui prouveront qu’à l’étude des sciences les plus abstraites, notre auteur savait joindre celle des sciences appliquées, et que son esprit ingénieux et inventif s’étendait à tout.

Le premier date de 1847. Il est relatif à un mode de transport des dépêches, qui permettrait de les faire arriver d’un bout de la France à l’autre avec une vitesse de cent lieues à l’heure. Le principe de cette invention est la pression atmosphérique, qui ferait courir, dans un tube où l’on aurait fait le vide, un piston auquel seraient attachées les dépêches. Présenté le 1er septembre 1847, au directeur général des Postes, ce travail fut soumis à un examen que la révolution de février vint malencontreusement arrêter. Les Anglais, qui sont à l’affût de toutes les inventions françaises pour s’en emparer, ne tardèrent pas à s’approprier celle-là. En 1855, les journaux d’outre-Manche s’entretinrent de cette découverte, et l’attribuèrent à un savant Anglais ; heureusement la priorité du mémoire de M. Rambot fut officiellement constatée par une lettre que lui adressa, le 3 avril 1855, le directeur général des Postes [7].

Pour être moins connu, le second mémoire de notre auteur n’en est pas moins important. Il est intitulé : nouveau moyen de transport dit chemin sous-câble et pont-volant à machine fixe. Comme le titre l’indique, il s’agit d’un chemin de fer aérien, qui aurait par conséquent le triple avantage d’enlever peu de terrain à l’agriculture, de n’exiger ni nivellements ni coûteux travaux d’arts, et d’être à l’abri de tous les accidents qui font dérailler les roues qui courent sur le sol. L’auteur a divisé son travail en deux parties : dans la première, il développe la théorie du chemin sous-câble ; dans la seconde, celle des ponts-volants, qui en sont le complément nécessaire, pour traverser les cours d’eau où l’établissement de ponts-suspendus serait impossible. Le tout est suivi de devis et évaluations qui démontrent l’économie incontestable qui résulterait de l’application de ce système, dont le seul défaut est d’être resté dans les cartons de l’auteur.

Étonnant, non ?

Le mardi 28 janvier 1862 [8], M. Charles de Ribbe, secrétaire perpétuel de l’Académie, expose, dans la grande salle de l’Université, à Aix :

Messieurs, c’est la première fois que l’Académie d’Aix vient distribuer le prix institué par la généreuse fondation d’un de ses membres. C’est la première fois qu’une solennité, jusqu’ici exclusivement académique, emprunte un nouvel éclat à ce qui n’est pas d’ordinaire la charge et la mission des corps savants, l’éloge public de la vertu. Appelé dans ces circonstances à vous dire comment nous avons inauguré l’exercice d’une difficile prérogative, permettez-moi, Messieurs, d’être tout d’abord l’interprète des sentiments de l’Académie et des vôtres envers celui dont le nom sera désormais inséparable du témoignage subsistant de ses libéralités. Sentiments de vive et profonde gratitude ! Ils conserveront et consacreront parmi nous la mémoire du bon citoyen, du publiciste patriote et bienfaisant qui donna son patrimoine en même temps que ses dernières affections à son pays, aux pauvres, à la ville d’Aix, qui a voulu grandir devant la société, comme elles s’épanouissent aux yeux de Dieu dans le secret de la conscience, les vertus les plus modestes et les plus dignes d’être admirées et surtout imitées. Le nom de M. de Monthyon [9] est prononcé chaque année avec honneur au sein de l’Académie française. Celui de M. Gustave Rambot recevra à Aix, de nous et de nos successeurs dans l’Académie, le même tribut prolongé de respect et de regrets.

Quel a été le but de M. Rambot, lorsqu’il a créé le prix qu’il s’agit aujourd’hui de décerner ? À quelle pensée non seulement [10] bienfaisante, mais sociale, a-t-il obéi ? — « Je lègue, dit-il, douze mille francs à l’Académie des Sciences, Belles-lettres et Agriculture d’Aix [sic], pour la fondation d’un prix destiné à rémunérer, et honorer les belles actions et les bonnes, fussent-elles les plus modestes et les plus obscures. Le legs fait à l’Académie d’Aix est la fondation d’un prix de vertu, non dans le sens étroit attaché jadis au nom de Rosière[11], mais dans le, but de récompenser, mettre en évidence et proposer en exemple les actes de dévouement, de courage, de désintéressement, les soins donnés à la vieillesse et à l’enfance pauvre et abandonnée ».

Ces lignes écrites au terme d’une vie, toute[12] employée à défendre les intérêts populaires, expriment la nature et l’objet des préoccupations de leur auteur. M. Gustave Rambot avait été le témoin ému et il fut jusqu’à la fin l’adversaire résolu des doctrines socialistes dont l’explosion en 1848 devait, pour longtemps encore, mettre en péril l’ordre social. Il en avait déploré les erreurs elles excès ; il avait vu le déchaînement des masses, le peuple flatté beaucoup moins dans ses vertus que dans ses vices, la démocratie sacrifiant ou ébranlant la famille, la liberté, la propriété, c’est-à-dire ses seuls fondements solides ; et il avait gardé de ce spectacle et de ces mécomptes des souvenirs ineffaçables. C’est sous leur empire qu’il conçut sans doute la pensée de son legs.

[…] Les vertus du peuple, le dévouement des humbles et des petits de ce monde ; ce dévouement soumis et courageux, obscur et constant, qui serait presque sans compensation si Dieu et la conscience n’étaient la source vraie du bonheur ; cette patience inaltérable, cette bonté de cœur plus fortes que la souffrance ; et par-dessus tout cela encore, l’amour du devoir sans bruit et sans gloire, dans la privation, la misère et les tourments d’une vie qui est une longue mort, s’élevant par l’amour supérieur du renoncement chrétien jusqu’à la plénitude du sacrifice ; voilà ce qu’a eu le dessein d’honorer, de grandir, et de récompenser M. Rambot. — Non que la vertu doive et puisse toujours être récompensée ici-bas ; non qu’elle demande à être encouragée par des concours, des prix et des couronnes académiques. La vertu est au-dessus des satisfactions d’orgueil et d’intérêt, ou elle n’est rien. Nul n’en était plus persuadé que M. Rambot. Mais il pensait, en même temps, qu’au point de vue social il y avait des actes de dévouement et de désintéressement exceptionnels, bons à être produits et honorés, comme on met un haut fait de valeur militaire à l’ordre du jour de l’armée. Jetez les yeux sur le monde : partout ou presque partout le vice sinon respecté, du moins accepté, toléré et quelquefois applaudi lorsqu’il est heureux. Ouvrez les journaux et cherchez-y, dans la chronique vers laquelle se porte la curiosité du plus grand nombre des lecteurs, le thermomètre de la moralité publique : toujours ou presque toujours le crime, et rarement de beaux et bons exemples. La vertu se cache, elle se voile ; elle s’abrite à l’ombre du sanctuaire, où elle est bénie de Dieu mais ignorée des hommes. [13]

C’est là sa vraie place, c’est là son rôle, il ne faut pas l’en tirer. Néanmoins, obéissant aux volontés de M. Rambot, nous serons tenus de faire exception à la règle, de vaincre pour l’intérêt social, pour l’honneur des classes populaires, une modestie chrétienne qui est son auréole, sa sauvegarde et son plus nécessaire attribut. On a écrit la morale en action avec l’histoire ; nous aurons la charge de l’écrire avec les faits qui sont près de nous, dans l’intimité de ce que nous appellerons notre famille municipale et les limites de notre arrondissement. Ainsi chaque fait, chaque acte de vertu couronnés donneront lieu à autant de monographies instructives, mettant en évidence par le contraste le vice individuel et social directement contraire.

En 1863 [14], M. Jules de Séranon ajoute :

Rambot n’a pas plus oublié du reste la ville d’Aix, qu’il n’a oublié les pauvres ou ceux, qui font de bonnes actions. Cette retraite charmante où il égayait et oubliait ses douleurs, il l’a léguée à notre cité. Il trouvait qu’il lui manquait, ainsi qu’il le dit, un lieu réservé où l’on pût méditer, causer ou lire à l’ombre de quelque bosquet. Il a voulu nous donner ce dont nous étions privés, et sa prévoyance a en quelque sorte tracé le dessin de ce lieu d’isolement et de repos. Point de plantations régulières, dit-il, comme sur un boulevard, mais des ombrages variés, des labyrinthes de verdure, des massifs d’arbres où les gens d’étude et de loisir puissent trouver, dans les jours d’été, une solitude et une fraîcheur agréables. Une me reste plus à cet égard qu’à exprimer un vœu qui trouvera sans doute ici de l’écho ; c’est de voir exécuter au plus tôt les intentions de M. Rambot. Que ceux qui dirigent avec soin notre administration locale s’empressent de préparer pour nos concitoyens ce lieu de repos, de fraîcheur et de verdure où l’on pourra aller lire, causer ou méditer. Notre siècle a sans doute bien d’autres soucis et bien d’autres entraînements [15].

Vous pouvez retrouver la biographie de Gustave Rambot et “l’intégrale” du Prix Rambot au XIXe siècle dans cet ouvrage :

Aix et la Vertu

 


[1] Jean-Claude Rambot (1621-1694) est un sculpteur français, dont nombre des œuvres sont à Aix-en-Provence comme la fontaine des Quatre Dauphins et les atlantes du pavillon Vendôme. Il est l’ancêtre de Gustave Rambot.

[2] Biographie écrite d’après « Notice sur la vie et les œuvres de Gustave Rambot » par le chevalier Léon de Berluc-Pérussis – 1860. La reproduction de la lithographie de Gustave Rambot exécutée par Zéphirin Belliard provient de ce même ouvrage (Bibliothèque Méjanes – Patrimoine Fonds ancien – Cote C 2406)

[3] Qui deviendra Gréoux-les-Bains en 1923.

[4] Cours qui deviendra Cours des Arts et Métiers en 1895.

[5] L’actuel Parc Rambot.

[6] Gustave Rambot avait chargé son ami Léon de Berluc-Perussis, membre de l’Académie, de faire imprimer son recueil de poésies après sa mort et d’en adresser un exemplaire à chacun de ses amis.

[7] À ce jour, personne pourtant ne fait mention de la paternité de Gustave Rambot pour l’invention du tube pneumatique !

[8] Extrait de « Séance Publique de l’Académie… » de 1862.

[9] Jean-Baptiste de Montyon a fondé trois prix dont un, décerné par l’Académie française, sous la dénomination de prix de vertu, remis à des personnes méritantes.

[10] Variante orthographique avec un trait d’union.

[11] Une rosière est une jeune fille récompensée pour sa réputation vertueuse. « Le Rosier de Madame Husson », ouvrage de G. de Maupassant en 1887, fut toutefois un jeune homme… mais surtout une fiction !

[12] Variante orthographique.

[13] Citation sur la première de couverture de cet ouvrage – Photo de la Tour de l’Horloge à Aix-en-Provence, par Thierry Brayer.

[14] Extrait de « Séance Publique de l’Académie… » de 1863.

[15] Le parc Rambot, cours des Arts et Métiers, à Aix-en-Provence.


Sources et droits des documents de cet article :



• Collection personnelle de Thierry Brayer
• Bibliothèque Méjanes - Aix-en-Provence
• voir dans l'article

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